« L’hydrogène n’est pas une substance nouvelle, on l’utilise dans l’industrie depuis plus de 50 ans et la sécurité est bien maîtrisée. Mais on est en train de voir émerger de nouvelles utilisations dans le cadre de la décarbonation de l’économie. L’hydrogène n’est plus seulement utilisé comme substance pour des procédés industriels mais va être utilisé comme vecteur énergétique », explique Franz Lahaie, chargé de mission hydrogène à l’Ineris.
Massification
Cela va conduire, d’après lui, à une massification des systèmes à hydrogène, à la fois en termes de nombre et de puissances installées.
« Avant, il s’agissait d’une industrie très concentrée avec quelques acteurs maîtrisant très bien les risques et ayant des personnels formés. Là, on va avoir de nouveaux acteurs qui ne sont pas forcément familiarisés avec les risques spécifiques à l’hydrogène et de nouveaux systèmes qui vont cohabiter avec des installations existantes dans des milieux urbains ou industrialisés. Il y a un vrai travail de sensibilisation et de formation à faire. »
Accompagner la filière hydrogène
Les systèmes mettant en œuvre de l’hydrogène (réservoirs, compresseurs, électrolyseurs, piles à combustibles, etc.) présentent des risques d’incendie, d’explosion et de projections, soit des systèmes eux-mêmes, soit des conteneurs ou bâtiments qui les renferment. Pour Franz Lahaie, la filière doit être accompagnée sur la maîtrise des risques dès la phase de conception des projets et à travers des actions de formation à tous les niveaux de la chaîne de valeur de l’hydrogène. « Au-delà des ingénieurs qui conçoivent les systèmes à hydrogène, la culture de sécurité doit infuser au niveau des opérateurs et des usagers de ces technologies, de plus en plus nombreux. »
Gaz inflammable, l’hydrogène présente des propriétés spécifiques qui doivent être connues pour mettre en place des mesures de prévention et moyens de protection appropriés.
Gaz non toxique, il est aussi incolore et inodore et donc difficilement identifiable.
C’est une molécule très légère et de petite taille, ce qui permet une rapide dispersion dans l’atmosphère, à l’air libre, mais entraîne aussi une forte propension à fuir.
L’hydrogène présente également des problèmes de compatibilité avec certains métaux, ce qui peut entraîner des phénomènes de corrosion, de fissures, de cloques.
C’est une substance qui présente une plage d’inflammabilité très étendue, entre 4 et 75 % de concentration dans l’air dans les conditions normales de pression et de température, et une énergie minimale d’inflammation si faible (17 μJ) que l’électricité statique d’un vêtement peut suffire à enflammer un nuage d’hydrogène.
Si l’hydrogène s’accumule dans un endroit confiné et qu’il s’enflamme, il peut y avoir des phénomènes d’explosion très brutaux, allant jusqu’à la détonation.
Comme il possède une très faible densité volumique, il est le plus souvent soumis à de fortes pressions (jusqu’à 700 bar dans les véhicules) pour pouvoir être stocké et transporté efficacement. Il peut être aussi stocké à très basse température (- 253 °C) sous forme liquide (ce processus très contraignant est pour le moment réservé à certaines applications de très hautes technologies comme la propulsion spatiale), ou stocké sous forme d’hydrures métalliques solides par réaction de l’hydrogène avec certains alliages métalliques (beaucoup de recherche sur le sujet).
La complexité et la superposition des réglementations applicables aux systèmes à hydrogène (ICPE, équipements sous pression, canalisations à risques, réglementation Atex…) rendent d’autant plus nécessaire cet accompagnement des nouveaux acteurs de la filière.
Changement d’échelle
Si, d’après Franz Lahaie, « la production de l’hydrogène par électrolyse, à l’échelle d’une petite unité de quelques MW, est relativement maîtrisée du point de vue de la sécurité, l’augmentation des puissances et du nombre d’électrolyseurs, va apporter de nouvelles problématiques. Ces “gigafactories”, ou usines à hydrogène, qui coexisteront avec de nombreuses autres installations potentiellement exposées à d’éventuels effets dominos, devront faire l’objet d’études de sécurité rigoureuses », prévient-il.
Idem pour le stockage et le transport de l’hydrogène. Des simulations et expérimentations permettent par exemple de caractériser les fuites, d’étudier leur dispersion avec différentes conditions de ventilation et de mettre en œuvre et tester des systèmes de détection et de mitigation appropriés. Et des recherches restent à mener, notamment sur le stockage sous forme liquide (cryogénique), sur le stockage massif de l’hydrogène dans le sous-sol, le déploiement de stations-service multi-carburants ou encore la sécurité des infrastructures qui accueilleront les moyens de transport à hydrogène.
Manque de sensibilisation des nouveaux acteurs
Dans cette course à l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone, tout semble aller trop vite sans nécessairement mettre la sécurité au centre des réflexions. C’est le point de vue de Damien Roubineau, consultant expert CNPP.
« Ce qui m’inquiète le plus, c’est le manque de sensibilisation aux risques que l’on peut constater chez les nouveaux acteurs de la filière. La culture des risques industriels et plus particulièrement des risques liés à l’hydrogène ne fait pas nécessairement parti de l’ADN des start-up qui se lancent dans le secteur. Il ne s’agit pas de diaboliser l’hydrogène mais de prendre conscience de la spécificité de ce risque. À l’image de la mobilité GPL ou GNV, l’hydrogène requiert une attention particulière dans sa mise en œuvre et son utilisation. »
Une montée en puissance nécessaire
La question de la sécurité de l’hydrogène n’est pas nouvelle. Mais les mégaprojets prévus, l’arrivée de nombreux nouveaux acteurs et une utilisation décentralisée, dans de petites installations fixes ou mobiles, par de petites entreprises avec accès au grand public, nécessitent une montée en puissance de la gestion et de la prévention des risques. Une prise de conscience du risque et une sensibilisation générale semblent indispensables. Et ce avant qu’un accident majeur ne vienne remettre en question les avancées et progrès réalisés.
Article extrait du n° 574 de Face au Risque : « L’hydrogène en lumière » (juillet-août 2021).
Gaëlle Carcaly – Journaliste