Feu sur front de neige à Courchevel

5 décembre 201110 min

Après des incendies à Val-Thorens, Val-d’Isère, Avoriaz et de multiples feux de studios tués dans l’oeuf, c’est à Courchevel où une résidence de tourisme a connu les assauts du feu durant une dizaine d’heures, jetant des centaines de résidents dans la nuit froide.

Ceci est une légende Alt

C’est vers 1 h 45, le 9 mars 2011, que les pompiers sont alertés pour feu d’appartement dans un hôtel / résidence de tourisme à Courchevel. Avec cette précision : « 2e étage en feu, deux personnes sur le balcon ».

Les étages supérieurs enflammés

À leur arrivée, un grand nombre d’occupants a déjà évacué la résidence et l’hôtel contigu, aidé par la police municipale. Vers 2 h 15, un premier message signale « deux appartements totalement embrasés avec propagation à la toiture ». Deux occupants se sont échappés par l’extérieur, sautant dans la neige pour l’un d’eux. La priorité est évidemment de s’assurer qu’il ne subsiste plus personne dans le secteur concerné par le feu (aux 4e et 5e étages), ce qui est heureusement le cas. Il fait – 6 °C et les centaines de résidents sont regroupés vers l’office de tourisme où ultérieurement, ils seront encadrés par la Croix Rouge et une équipe médicale.

Le feu est également très violent dans la cour intérieure de la résidence, là où des coursives extérieures desservent les studios. De l’appartement initialement embrasé au 4e étage, dont la porte est restée ouverte, le feu gagne le 5e et les combles via les balcons intérieurs et les façades de bois. Un unique escalier, desservant également l’hôtel, permet d’accéder aux 4e et 5e étages et servira de point d’appui pour empêcher la propagation aux combles de l’hôtel, plus haut d’un étage que la résidence.

Le feu, qui a gagné les combles de la résidence, court dans la toiture multicouche, de part et d’autre de la zone d’origine. Ce scénario, habituel en montagne, est ici aggravé par la présence des lauzes (pierres plates de couverture) qui, d’une part, empêchent la toiture de se percer et, d’autre part, glissent et tombent au sol, présentant un grave danger pour les intervenants.

Des flammes maîtrisées après dix heures de lutte

Les renforts montent maintenant de la vallée, de Moutiers (environ 15 km), d’Albertville (40 km). Deux échelles pivotantes sont positionnées à la jonction entre la résidence hôtelière et les deux bâtiments l’encadrant, très menacés. Entre les deux, le feu ravage méthodiquement les studios, en retombant par les combles. Si le feu est tenu au niveau de l’hôtel grâce à la présence d’un escalier d’où les lances l’attaquent, en revanche, il se propage à l’opposé à l’immeuble d’habitation contigu, via un balcon et un toit en avancée. Là encore, il gagne les combles et s’y développe avant de retomber dans l’appartement du dernier étage.

Dessin 01 incendie à Courchevel - Crédit René Dosne/Face au Risque

Le gros des flammes est abattu en fin de nuit. Vers 8 h 30, il subsiste ce feu rampant et caché qui court dans les parois et volumes creux, encadré par huit lances, sans pouvoir être déclaré circonscrit. Le travail de mise à jour des foyers, impliquant l’évolution sur les toits gelés et instables, ne sera engagé qu’au lever du jour par sécurité.

La traque des foyers qui se poursuit dans les studios ravagés permet de déclarer le feu « circonscrit » à 10 h 57. Lorsqu’il est maîtrisé, à 13 h 09, on envisage conjointement de permettre la réintégration de l’hôtel et des bâtiments non concernés après mesures de la concentration du monoxyde de carbone (CO).

Après contrôles à la caméra thermique, le feu est déclaré éteint à 14 h 42 et les secours quittent les lieux à 21 h. Une douzaine de studios est totalement ou partiellement détruit sur deux étages et la toiture a disparu.

Des facteurs aggravants

Bien que l’origine du feu soit localisée à un studio d’angle du 4e étage, occupé par quatre personnes, les circonstances de son éclosion ne sont pas clairement établies. Un convecteur électrique est initialement incriminé mais cette thèse est repoussée par l’expert qui suspecte une cigarette sur un matelas ou un halogène enflammant les rideaux. Le feu réveille les occupants du studio. L’un d’eux, en tentant de sortir le matelas en feu se retrouve bloqué sur le balcon et s’échappe en sautant sur le balcon du dessous. Dans le même temps les autres occupants sortent par la porte palière mais la laissent ouverte provoquant ainsi un courant d’air.

Dessin 02 incendie à Courchevel - Crédit René Dosne/Face au Risque

Les façades tapissées de bois, les balcons en encorbellement et le fort surplomb de la toiture permettent au feu de gagner sans effort la couverture. Celle-ci est faite d’un empilement de bois, de laine minérale, de couche plastique armée d’étanchéité, de vides d’air, pour se terminer par une couche de lauzes (20 à 50 kg l’unité) couverts de 20 à 30 cm de neige durcie. Sous ce « couvercle », le feu ne peut sortir qu’en détruisant les charpentes de bois, qui s’écroulent dans les studios du 5e étage.

Le nouveau classement ERP

La résidence hôtelière, actuellement soumise à la réglementation des immeubles d’habitation, ne dispose pas d’alarme. C’est celle de l’hôtel contigu, activée manuellement, qui alertera un certain nombre d’occupants. L’escalier et surtout les couloirs de la résidence sont ouverts sur la cour, retardant leur enfumage. Les occupants du niveau du feu et surtout de l’étage supérieur ont pu évacuer avant que les flammes, s’échappant de la porte palière restée ouverte, ne leur barrent le passage.

L’assimilation de certaines résidences de tourisme au classement ERP de type O – Hôtels (cf. arrêté du 25 octobre 2011 modifiant le règlement de sécurité incendie dans les ERP) permet désormais de réduire les risques dans ce type d’établissement.

Dans le cas de Courchevel, la présence de détecteurs de fumée dans les studios aurait permis de réveiller les occupants plus tôt, un ferme-porte aurait pu contenir le feu plus longtemps côté coursive, une alarme asservie à un SSI aurait alerté plus rapidement le reste des résidents.

Un style architectural aux conséquences dangereuses

Souvent dans les stations touristiques d’altitude, le « cachet montagnard » des bâtiments, quel que soit leur nombre d’étages, « contraint » pratiquement à les déguiser en chalets, avec les conséquences catastrophiques redoutées en cas de feu. Impossibilité d’appliquer la règle du C+D (prévention de la propagation verticale par l’extérieur), feu d’appartement au niveau bas pouvant alimenter un brasier tel qu’on en a vu dans des immeubles de 4e famille en d’autres lieux, sur une dizaine d’étages. Feu sur la voie publique, conteneurs à ordures, véhicules… allumant la façade la plus proche.

À Courchevel, ce n’est pas le cas car les dalles balcons sont en béton et solidaires de la façade. Cependant, l’aspect des immeubles est aggravé par la présence de grandes pierres plates et lourdes, les lauzes, véritables épées de Damoclès pour occupants et sauveteurs. Certaines, en chutant, ont coupé des tuyaux. Lorsque le faîte d’une charpente est détruit et ne retient plus un toit en fort surplomb, celui-ci

© B. FLANDIN - COMM-SDIS73

bascule vers l’extérieur en déversant ses pierres mortelles. Lorsque les pompiers combattaient le feu au 5e étage, ils étaient soumis aux chutes de lauzes traversant les plafonds.

Des clients relogés, l’hôtel rouvert dans l’après-midi

Près de 170 clients pour l’hôtel et plus de 200 pour la résidence de tourisme ont dû être mis à l’abri, encadrés, comptés, réconfortés. Plusieurs d’entre eux ont ensuite réintégré l’hôtel, d’autres, qui occupaient des studios préservés du feu ou faiblement affectés ont récupéré leurs biens de première nécessité. Quelques vacanciers ont quitté la station, interrompant leur séjour tandis que les autres ont été relogés dans des résidences du groupe. Un feu de combles implique traditionnellement des dégâts des eaux. Ici, ils ont été aggravés par la durée de l’intervention, traduisant la difficulté à atteindre les foyers, seulement accessibles après un minutieux dégarnissage. L’activité des commerces du rez-de-chaussée en a été fortement impactée.

En revanche, l’hôtel a pu accueillir ses clients l’après-midi même. Pourtant, une seule porte séparait, sur chaque palier, l’hôtel de la résidence…

Ce quartier de Courchevel 1550, bordant le front de neige, est constitué d’un regroupement d’immeubles élevés desservi par des rues commerçantes assez étroites et pentues.

La résidence hôtelière « Pierres et Vacances » est imbriquée dans un îlot mixte de 3 700 m², en forme de « U » ouvrant sur le front de neige, constitué d’un hôtel R+6 de 500 m², d’habitations R+4 et 5 de 1 500 m² et de la résidence hôtelière R+4 de 410 m².

Plusieurs commerces occupent le rez-de-chaussée. Un parking souterrain s’étend sur deux niveaux sous le complexe. L’ensemble s’élève sur un terrain accusant une pente en diagonale d’environ 10 %. Construit dans les années 1990, l’ensemble, en béton, est isolé par l’extérieur par une couche de laine minérale recouverte de parements bois décoratifs donnant un aspect « chalet » à l’ensemble des bâtiments. Les façades sont toutes équipées de balcons. La charpente bois et acier supporte une épaisse toiture isolante multicouches couverte de pierres plates (lauzes).

Un escalier semi-ouvert, commun à l’hôtel, dessert la résidence, tous les studios étant accessibles via une coursive à l’air libre ouvrant sur une cour intérieure. La résidence est encadrée par l’hôtel et un bâtiment d’habitation, tous deux plus hauts d’un étage.

De nombreux incendies de stations ont été relatés dans notre rubrique « Feux Instructifs ». Parmi les plus récents,restaurant d’altitude à Courchevel (n° 371, mars 2001), galerie commerciale contiguë à une résidence de tourisme à Val Thorens (n° 417, novembre 2005), feux partis d’ERP et se propageant à des résidences de tourisme à Avoriaz et Val-d’Isère en 2008 (n° 451, mars 2009) sont les derniers sinistres traités dans Face au Risque. Plus ancien, lire aussi « Des stations coupées du monde » dans le n° 239 de janvier 1988.

Tous survenus en hiver, ils voient la problématique habituelle d’un sinistre aggravée des mêmes facteurs :

  • environnement hostile (météo et relief allongeant les délais d’intervention) ;
  • particularités architecturales (bâtiments complexes, véritables « navires » de plusieurs centaines de mètres de long abritant un dédale de galeries commerciales, surmontés et parfois communicant avec des immeubles de 4e famille des années 70, isolation extérieure, emploi massif du bois décoratif, toitures multicouches épaisses, ajoutée d’une couche de neige) ;
  • population concentrée dans des lieux mal connus, forte proportion étrangère à l’attitude festive et accidentogène, taux d’occupation des studios difficile à évaluer, etc.

L’îlot à l’exploitation mixte, ERP type « O » résidence hôtelière et habitation (ces deux dernières étant assujetties à la même réglementation), dispose de colonnes sèches, de RIA et d’extincteurs.

Plusieurs poteaux d’incendie sont disponibles dans un rayon de 100 m. Trois faces de l’îlot sont accessibles aux engins de sauvetage. Le centre de secours est à quelques kilomètres au-dessus, à Courchevel 1850. La résidence hôtelière ne dispose en matière d’incendie ni de détection, ni d’alarme.

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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