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Violent feu d’une flotte de vélos et de scooters électriques
Dans la nuit du 13 au 14 décembre 2021, un incendie se déclare dans un entrepôt dont une partie est occupée par l’entreprise Indigo Weel, située à Colomiers dans la banlieue toulousaine. Il s’agit d’un stock de vélos et de scooters électriques, comportant un emplacement de recharge. La violence et la durée de ce feu, difficile à éteindre totalement, illustrent les nouveaux dangers liés aux équipements de la mobilité douce.
Une explosion entendue à des kilomètres
Il est 0h10 le mardi 14 décembre 2021 quand se produit une sourde explosion à Colomiers (Haute-Garonne). Les nombreux appels parvenant au Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (Codis) une minute plus tard décrivent des « feux d’artifice blancs », « de grandes flammes bleues », « une grosse colonne de fumées ». Bref, la pression monte dans les engins qui foncent vers ce feu peu banal…
Le premier « groupe incendie » est constitué de deux engins-pompes et d’une échelle. Il se présente sur la façade de l’entrepôt. Il est confronté à un violent feu généralisé. Les toitures basculent dans le puissant brasier entraînant la façade sud percée de nombreuses baies et de portails. Une équipe Risque technologique est engagée.
La puissante convection propulse verticalement un épais nuage, préservant momentanément les abords des fumées au sol.
De nombreuses explosions se produisent, projetant à des dizaines de mètres des éléments de batteries. L’un d’eux perce une piscine souple à une vingtaine de mètres. De nombreux riverains sont à l’extérieur.
La première action déterminante de deux lances vise deux objectifs. D’une part, protéger du rayonnement un groupe de maisons individuelles situées à une vingtaine de mètres. Et d’autre part, refroidir un stock de palettes, disposé entre le brasier et l’entrepôt voisin, se dressant à 10 m et fortement menacé.
Sur la façade principale, conjointement, une lance sur échelle plonge dans le foyer principal tout en tentant de protéger les murs séparatifs latéraux, et une 4e lance attaque de plain-pied. Il est environ 0h45.
Feu de batteries lithium-ion
Le premier message émanant du poste de commandement à 1h32 indique un feu de batteries au lithium, avec risque de propagation aux tiers et risque d’intoxication des intervenants et riverains.
Un 2e groupe incendie est demandé en renfort. Son engagement permettra de verrouiller les deux faces latérales mitoyennes à une société de déménagement côté est et une entreprise de récupération d’objets et de revente côté ouest.
Il était temps. De part et d’autre du feu, les murs séparatifs de parpaings, enserrés dans les charpentes d’acier, commencent à éclater sous la poussée des poutres qui se déforment. On voit les flammes filtrant à la jonction mur/toitures tandis que les volumes s’emplissent d’un plafond de fumée. Heureusement, la toiture multicouches résiste bien au feu, et seul le revêtement bitumeux s’enflammera localement.
À 2h45, le feu est circonscrit. Il ne sortira plus des limites dans lesquelles les pompiers l’ont trouvé, grâce à six lances l’encadrant.
Un incendie difficile à combattre
« Rencontrons des difficultés d’extinction de batteries lithium-ion avec impossibilité de pénétrer dans les cellules. »
Les habitants des maisons environnantes sont soit confinés, soit ont spontanément évacué.
L’équipe Risque technologique établit un réseau de mesures de toxicité des fumées. La gestion des eaux d’extinction se fait avec le concours de la municipalité.
La façade principale est percée de six larges entrées qui pourraient constituer des points d’attaque. Mais elles sont partiellement occultées par les pans de toiture effondrés qui font écran et gênent un balayage efficace des 2 400 m² de décombres d’où fusent des tas de batteries. L’entrée, dans le périmètre détruit, est par ailleurs entravée par les risques d’effondrement. L’attaque se poursuit par l’extérieur.
Vers 4h, les secours sont « maîtres du feu ». Le dispositif se réduit et trois lances poursuivent le noyage des décombres. Le résultat des mesures toxicologiques effectuées sur les quatre faces du bâtiment sont nulles. Les prélèvements de particules sous les fumées près des habitations ne dépassent plus le seuil d’alerte, qui avait été atteints vers 3h (particules fines à 10 µm/m³).
Jusqu’à 6h, deux lances de plain-pied et une sur échelle aérienne vont poursuivre l’extinction des derniers foyers encore virulents.
C’est sur le front de la pollution par les eaux d’extinction qu’il faudra être attentif : le site n’est pas sous rétention et les débordements possibles devront être suivis par les services des eaux de la métropole toulousaine.
L’extinction finale, compte tenu de la nature du combustible, n’interviendra que le lendemain à 15h.
Des reprises de feux
Alors que les lieux sont confiés à une société de gardiennage, les sapeurs-pompiers doivent à nouveau intervenir, alertés par la société de surveillance, sur des reprises de feux entraînées par des éléments de batteries soumis à des réactions chimiques incontrôlées.
Une odeur persistante, signalée par les riverains les plus proches, stagne sur la zone.
Le 17 décembre, ne disposant plus de sa base logistique, la société Indigo Weel décide de stopper son activité après la destruction de 3 000 vélos et 250 scooters électriques.
Plusieurs semaines seront nécessaires à sa reprise.
L’origine du feu
Elle est inconnue et soumise à enquête. Dans cet entrepôt empli de vélos et de scooters, en dehors de toute activité, l’attention se porte sur le conteneur de charge des batteries, déjà impliqué dans un précédent sinistre en 2019.
Indigo Weel note par ailleurs qu’une intervention sur un cumulus électrique du lieu de vie a été effectué le jour même.
Le conteneur coupe-feu 2h est équipé de prises latérales disposées sur les chariots, permettant de recharger les batteries de vélos et scooters. Sa puissance est de 120 kVA. Il semble qu’il ait été totalement détruit, aucun vestige de sa structure n’étant visible…
Depuis le sinistre de 2019, à défaut de disposer d’un système de détection incendie (SDI), une caméra thermique avait été installée dans le conteneur de charge, avec report dans le bureau et alarme. Il semble que l’alarme disposait d’un report sur le smartphone d’un des responsables. Les explications sont imprécises à ce sujet.
Un appel des secours tardif en l’absence de détection
Le premier appelant habite une maison proche. Il alerte alors que le feu a déjà crevé la toiture et est en cours de généralisation. Les nombreux appels suivants feront état d’incendie très violent, générant des salves nourries d’explosions (des appels proviennent de 2,5 km).
Pour les sapeurs-pompiers, l’effort initial se porte sur la protection des abords contre le rayonnement puissant et les effets missiles. Puis il concerne la protection des deux entreprises latérales dont les murs commencent à perdre leur stabilité. Ils parviennent à circonscrire le feu aux limites où ils l’ont trouvé.
À 2h16, les intervenants sont avertis qu’il s’agit d’Indigo Weel (aucune enseigne sur la façade). La présence de batteries implique des précautions particulières :
- protection respiratoire pour les personnels engagés ;
- confinement ou évacuation des riverains (certains sont partis sans attendre l’avis des sapeurs-pompiers) ;
- prises de mesures de toxicité des fumées (fluorure d’hydrogène entre autres) ;
- et dispositif de contrôle de pollution éventuelle des eaux d’extinction.
Les tentatives d’extinction à la mousse ne seront pas probantes sur les batteries, seule de l’eau avec additif « mouillant » est utilisée ponctuellement, mais l’eau reste l’agent extincteur privilégié.
Un dispositif de protection insuffisant
Suite à l’incendie de 2019 sur un conteneur de charge, la société avait réorganisé sa cellule de 1 200 m² sans pour autant avoir suivi les prescription des sapeurs-pompiers et les recommandations des assureurs : dispositif fixe d’extinction automatique sur le conteneur à défaut de couvrir l’ensemble de la cellule, raccord installé en toiture du conteneur de charge pour permettre son noyage sans l’ouvrir, rétention de 600 m³ (qui avait déjà été prescrite au propriétaire de l’entrepôt lors du permis de construire en 2012).
Quelques semaines avant l’incendie, Indigo Weel avait loué les 1 200 m² de la cellule voisine pour regrouper les deux-roues électriques d’autres stations fermées. Le mur de maçonnerie qui les séparait n’était pas coupe-feu 2 h comme indiqué. Il ne dépassait pas en toiture et était inséré dans les poteaux d’acier de la structure. Il s’est effondré avec la déformation de cette dernière.
Les interventions sur feux de batteries
La violence des incendies générés par les feux de batteries et les difficultés à les éteindre interpellent mondialement les services incendie appelés à les combattre, à mesure que le parc automobile de véhicules hybrides ou tout électriques augmente et que les incendies se multiplient.
C’est ainsi que l’on peut voir, à Anvers (Belgique), un véhicule électrique incendié, plongé dans un conteneur, s’enflammer spontanément dès qu’il en est sorti.
Un fabricant de véhicules électriques, leader dans ce domaine, préconise d’immerger ses véhicules victimes d’incendie dans un conteneur maritime équipé d’un système de déversoir et de les y laisser deux à trois jours. Il invite ainsi les entreprises récupérant les carcasses à s’équiper de bacs aux dimensions de conteneurs maritimes avec déversoir.
Un partenariat entre Renault et les sapeurs-pompiers a permis d’obtenir que la Zoé (véhicule tout électrique) dispose d’une trappe sous la banquette arrière permettant de noyer la batterie. Car le problème réside dans l’accessibilité aux éléments en feu, contenus dans un caisson étanche faisant parfois office de châssis ou y étant intégré.
On cite l’histoire de sapeurs-pompiers qui ne parviennent pas à éteindre un scooter électrique. Ils l’attaquent finalement à la masse pour éclater sa batterie et en disperser les éléments en feu ! Fort du même constat, Airbus a conçu une bâche ignifugée supportant 1000 à 1500 °C, pouvant recouvrir un véhicule et à même de contenir les projections enflammées.
Il n’est pas rare aujourd’hui de voir des batteries non triées être à l’origine de feux dans des centres de traitement de déchets.
La violence du feu d’Indigo Weel
Un feu de bâtiment stockant des batteries est-il d’une puissance supérieure à un feu d’entrepôt traditionnel ? Sans aucun doute, à l’observation des lieux et des vidéos réalisées avant l’arrivée des secours !
Le bâtiment est entièrement détruit, sa toiture complètement effondrée, à l’exception d’une bande de 200 m² environ vide de marchandises. Les poteaux métalliques, de forte section pour certains, sont totalement repliés au sol. La structure semble avoir été soumise à un feu d’entrepôt chargé jusqu’au plafond.
Pourtant la réalité est toute autre : le contenu du hangar ne dépasse pas 2,50 m de haut (stockage des vélos sur deux hauteurs) et les scooters sont au sol. Une zone de stockage réduite d’environ 100 m², haute de 4 à 5 m existe dans un angle.
Le hangar faisant 6 à 7 m sous faîtage, la structure se trouve à l’abri des flammes pendant « un certain temps ».
À moins que le feu généré par le conteneur de charge et les centaines de batteries, auxquels s’ajoutent des milliers de pneus de vélos et les coques plastique des scooters rangés horizontalement, soit plus puissant qu’un feu traditionnel en stockage vertical ?
Il n’est pas courant de voir un incendie conduire à l’embrasement généralisé du contenant, entraînant rapidement sa ruine, généré par des marchandises occupant tout au plus un tiers de la hauteur du bâtiment.
Le plafond de gaz chauds peine alors à englober les marchandises pour les embraser.
Ici, la projection d’éléments de batterie en feu dans le hangar a pu créer un effet domino accélérant la propagation horizontale.
En effet, des éléments constitutifs de batteries, semblables à de grosses piles rondes, ont été trouvés à plus de 30 m de la façade du bâtiment ! Produisant une petite torchère fusant, accompagnée de production d’étincelles, on imagine que ces missiles ont pu générer de nouveaux foyers au milieu des empilements de vélos et alignements de scooters. C’est ce que l’on constate lors de feux dans des stockages d’artifices ou entre casemates aux portes ouvertes dans les poudreries (lire « Feux d’artifice mortels en Hollande », Face au Risque n° 366, octobre 2000).
Une réglementation à parfaire
Ces observations conduiront peut-être à durcir les mesures réglementaires s’appliquant à ces types de stockages.
Lors du dépôt du permis de construire en décembre 2012, le Sdis avait fait des préconisations sur la Deci (défense extérieure contre l’incendie) et la rétention des eaux d’extinction. Préconisations non suivies.
Les vidéos de feux de véhicules, de deux-roues de tous types comme les moyens individuels tels que gyropodes, trottinettes, etc… se répandent sur internet. Outre la violence maximale très rapidement atteinte, les projections enflammées, les dégagements d’abondantes fumées toxiques, les difficultés d’extinction, s’ajoutent au tableau, les réactions chimiques pouvant se déclencher spontanément (charge ou utilisation intensive) au cœur de conteneurs métalliques étanches constituant parfois le plancher des véhicules.
Le 23 janvier 2022, à Lyon, un feu de trottinette dans un appartement a entraîné la destruction partielle des lieux et des brûlures à l’un des occupants. Le même jour, l’explosion d’une trottinette en charge dans un appartement parisien a causé la destruction d’un appartement, d’une cage d’escalier et d’une partie des combles. Les deux occupants ont été légèrement blessés.
Article extrait du n° 580 de Face au Risque : « Troubles psychosociaux : l’explosion » (mars 2022).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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