Archive Face au Risque. 50 ans après, le récit original de l’incendie du dancing « Cinq-Sept »
Un Feu Instructif avant l’heure, qui révélait déjà les graves manquements ayant conduit au drame. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970 à Saint-Laurent-du-Pont, “l’ouragan de feu” causait la mort de 146 jeunes gens.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970 à Saint-Laurent-du-Pont, en quelques instants, un incendie à développement foudroyant causait la mort de 146 jeunes gens.
Sans préjuger des résultats de l’enquête judiciaire en cours et bien que les informations sur ce sinistre soient encore très incomplètes, il est possible d’en tirer un faisceau d’enseignements applicables à l’emploi de plus en plus généralisé de matériaux nouveaux dont les réactions au feu restent mal connues.
Description des lieux
Le dancing « 5-7 » a la forme d’un vaste hangar sans étage, bâti en moellons avec charpente métallique et couverture en plaques ondulées d’amiante-ciment.
À l’intérieur, la salle de danse rectangulaire, sans fenêtre, assortie d’un balcon semi-circulaire, peut recevoir environ 300 personnes. L’installation de conditionnement d’air est à l’extérieur de la salle.
Sur deux de ses côtés existent des dépendances : restaurant, cuisine et communs. L’ensemble du bâtiment était conçu pour environ 600 personnes.
L’entrée dans la salle de danse se fait par un tourniquet haut de 1 mètre environ. A proximité immédiate, la sortie présente un autre tourniquet, celui-ci haut de 2 mètres, débrayable par une pédale actionnée par le caissier.
Quatre autres issues existent. Elles sont munies de portes ouvrant vers l’extérieur. Toutefois, par crainte des « resquilleurs » qui tenteraient d’entrer sans payer, ces issues sont verrouillées. De plus, aucune porte n’est signalée de façon claire et l’une d’elles est même dissimulée sous une tenture de jersey servant d’écran de projection. Enfin, leur largeur n’était que de 60 centimètres au lieu des 140 réglementaires.
L’ensemble de ces dispositions rend impossible une évacuation rapide.
Autour de la piste centrale de danse sont aménagées, de plain-pied des stalles séparées par des cloisons légères.
Elles sont surmontées par le balcon semi-circulaire, déjà mentionné, auquel on accède par deux escaliers à vis n’offrant de passage en largeur que pour une seule personne. Ce balcon dispose d’une cinquantaine de places réparties dans de petites loggias desservies par un couloir étroit et tortueux.
Le décor doit faire penser à une grotte blanche. Les parois sont volontairement rendues irrégulières d’aspect par des amoncellements de matière plastique. Plafond, cloisons, décors, tentures, guirlandes, recoins, tout est recouvert ou rempli d’un produit de composition mal connue. En effet, par souci d’économie, les jeunes propriétaires de l’établissement ont fabriqué cette matière eux-mêmes à partir de billes de polyuréthane qu’on leur a vendues comme « ignifugées »· On n’a pas de précisions sur les autres composants, donc sur les caractéristiques du produit final en ce qui concerne l’inflammabilité.
L’application a été faite au pistolet avec un facteur d’expansion non négligeable.
Quant au mobilier, il est construit avec une matière nouvelle à base de carton durci. Les sièges sont garnis de coussins en mousse de plastique sans étui de protection. L’ensemble s’est avéré particulièrement inflammable.
L’établissement n’a pas le téléphone et le poste le plus proche se trouve à 1 kilomètre.
Il n’y a pas d’éclairage de sécurité.
La bouche d’incendie mise en place n’est pas raccordée au réseau de distribution d’eau.
Les seuls moyens d’intervention se limitent à trois extincteurs, dont un seul fut utilisé.
Aucun exercice de secours ou d’évacuation n’a été exécuté depuis l’ouverture de l’établissement, il y a un an.
Déroulement du sinistre
1 h 30 du matin le 1er novembre
160 à 170 jeunes gens achèvent une agréable soirée en dansant et en écoutant la musique.
1 h 35
Dans une loggia du balcon une jeune fille voit s’enflammer un fauteuil (allumette ou cigarette ?). Un serveur s’efforce d’étouffer les flammes ou de disperser le foyer avec ce qu’il trouve à sa portée : un manteau puis une table.
La jeune fille – dont on pourra recueillir le témoignage – descend aussitôt au rez-de-chaussée. Personne autour d’elle ne se rend compte du danger qui menace.
1 h 36
Au moment où elle atteint la piste de danse, il ne s’est encore rien produit de vraiment anormal.
Brusquement, sans que l’alarme paraisse avoir pu être donnée, le local se transforme en fournaise. Des gouttes brûlantes ou enflammées tombent en pluies du plafond.
Malgré les efforts de l’orchestre qui jouera jusqu’au bout et bien que la lumière ne soit pas encore éteinte, la panique est immédiate. Le plus grand nombre des assistants se précipite vers les tourniquets, seule issue connue de la plupart d’entre eux.
Un barman, moins affolé, réussit à ouvrir une porte du fond de la salle. Il appelle à lui ; mais la fumée et le vacarme sont tels que 5 jeunes gens seulement le suivent et s’échappent avec lui.
Du côté du tourniquet d’entrée, le moins élevé, il y a quelques rescapés ; mais quatre d’entre eux sont déjà brûlés à mort. On voit aussi des sauveteurs volontaires rentrer dans la salle en feu. Aucun n’en est revenu.
Le seul survivant des trois propriétaires se trouvait à l’extérieur lors du déclenchement du feu. Il s’élance vers le poste de téléphone le plus proche.
À l’intérieur, les jeunes gens hurlent et frappent en vain aux issues près desquelles on trouvera leurs corps amoncelés.
Moins de cinq minutes après le début du sinistre, les appels ont cessé.
1 h 55
Lorsque les sapeurs-pompiers arrivent, il ne reste plus aucun espoir de sauver qui que ce soit, et le feu est presque terminé. Il n’a pas même gagné les dépendances.
142 victimes sont retrouvées sur place – 4 grands brûlés décèderont les jours suivants dans les hôpitaux.
De graves manquements aux règles de sécurité
Conformément à la réglementation sur les établissements recevant du public (décret du 13 août 1954), un établissement tel que le dancing « 5-7 » ne peut être mis en chantier qu’après l’obtention d’un « permis de construire » délivré par la Préfecture du département.
Lorsque les travaux de construction sont achevés, il appartient encore à la Préfecture de délivrer un « certificat de conformité » au permis de construire et aux modifications qui ont pu lui être accordées.
Ce n’est qu’après que « l’autorisation d’ouverture » et d’exploitation peut être délivrée par le Maire de la localité. Elle est complétée, le cas échéant, par une autorisation « d’ouverture de nuit ».
1 Or, la construction du « 5-7 » ayant commencé avant l ‘obtention du permis de construire, d’importantes modifications avaient été apportées sans faire l’objet d’aucune demande d’accord. On relève notamment :
- la mise en place de tourniquets qui ne sont admis que pour un accès extérieur ;
- la construction d’un balcon desservi par des escaliers et un couloir trop étroits ;
- des issues trop étroites ;
- le déplacement de la chaufferie ;
- la condamnation d’une issue de secours ;
- des cloisons déplacées ;
- des revêtements intérieurs ajoutés ;
- une application abondante de matière plastique de caractéristiques inconnues.
2 Une fois la construction terminée, la visite de conformité n’a pas été effectuée et le certificat correspondant n’a pas été délivré. Les constatations du paragraphe précédent montrent d’ailleurs, à l’évidence, qu’il n’aurait pu l’être dans de telles conditions.
3 L’établissement a cependant pu commencer son activité grâce à une autorisation d’ouverture provisoire de nuit valable pour 6 mois transformée par la suite en autorisation d’ouverture permanente.
Causes probables du sinistre
Dans ce local clos étaient étalées sur des grandes surfaces d’importantes quantités de matière plastique dont les caractéristiques, tant physiques (expansion) que chimiques (composition), envers le danger d’incendie ne sont pas connues. On peut toutefois admettre que le souci d’économie n’avait pas permis d’inclure au mélange préparé par des jeunes gens, inexpérimentés et peu au courant, les produits ignifugeants généralement assez coûteux.
Des produits relativement coûteux permettent de réduire le degré d’inflammabilité.
Il est probable que des sources de chaleur telles que les projecteurs ou l’éclairage à proximité de certains décors ont provoqué la formation de gaz de distillation connus pour leur inflammabilité.
Ces gaz chauds formaient sous le plafond une couche assez peu épaisse pour ne pas être atteinte par les petits foyers des allumettes ou des cigarettes. Mais à l’arrivée des flammes montant dans les tentures, l’embrasement général s’est déclenché brutalement en se manifestant d’abord par ce qu’un témoin a défini de la façon suivante : « Un éclair de lumière jaune d’un éclat inhabituel se propageant comme une fusée au plafond et traversant la salle dans toute sa longueur. »
Conclusion
Certes, si les précautions règlementaires de sécurité avaient été prises, le nombre des victimes aurait été moins élevé.
Mais cette constatation ne touche que le développement du sinistre et de ses ravages.
Il est regrettable que notre réglementation, très complète en ce qui concerne l’aspect administratif, et tout en définissant certaines obligations ne soit pas toujours correctement appliquée et manque par ailleurs de précision sur les qualités de tenue au feu à exiger des matières très diverses et souvent nouvelles, employées dans la construction et surtout pour les aménagements et la décoration.
C’est laisser à des gens, dont la bonne foi ne peut être soupçonnée a priori, le risque de déclencher un « ouragan de feu » aux conséquences tragiques.
À lire également
Notre article « Il y a 50 ans, l’incendie du cinq-sept » du n° 567 de Face au Risque (novembre 2020), qui revient sur le sinistre, la tenue du procès et les conséquences sur l’évolution de la réglementation ERP.
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