L’emploi dans la sécurité et la sûreté : une situation très mitigée
La profession de la sûreté ne recrute plus massivement comme cela a été le cas jusque dans les années 2000. Néanmoins, certaines niches de marché sont très demandeuses de catégories de personnel aux compétences pointues.
Alors que l’économie française est en petite vitesse (avec une croissance du PIB de 1,4 % seulement), les nouvelles embauches ont concerné un record de 2,3 millions de personnes dans le pays en 2018 avec une prévision de 2,7 millions cette année, selon les statistiques de Pôle Emploi.
Pendant ce temps, la profession de la sécurité privée, dont la croissance a été de plus de 2 % en 2018, n’a pas créé d’emploi : elle en a même davantage détruit par des suppressions de postes ou des faillites d’entreprises qu’elle n’a effectué de nouveaux recrutements, selon une étude des éditions En Toute Sécurité.
Une situation paradoxale en apparence, mais qui s’explique par la nature même des métiers de la sécurité. En fait, la moitié des effectifs totaux de la sécurité travaillent dans la surveillance humaine : 126 000 salariés sur un total de 260 000. Or, cette activité est aujourd’hui en stagnation complète, si bien que les suppressions de postes dans ce secteur ne sont pas compensées par des créations dans d’autres domaines.
« Nous avons clairement ressenti une baisse des recrutements en 2018 », affirme Alexis Drossos, dirigeant du cabinet Secure Conseil, spécialiste du recrutement dans la sécurité et la sûreté.
Des suppressions de postes dans la surveillance humaine
La surveillance humaine a enregistré une croissance de 1,1 % seulement en 2017 et de 0,5 % l’année suivante, après deux années de forte expansion en 2015 et 2016 (+4,8 % en moyenne) en raison du renforcement des mesures de sécurité à la suite des attentats terroristes, complété par d’importantes prestations durant l’Euro 2016.
Certains dirigeants d’organisations patronales évoquent même une situation économique potentiellement catastrophique en matière de rentabilité. On constate en effet un regain de contrats annulés ou retardés, des faillites de sociétés de gardiennage en plus grand nombre, ce qui signifie des suppressions de postes. De plus, la surveillance humaine est en proie à une mutation profonde et durable : sa digitalisation. Les donneurs d’ordres veulent en effet des systèmes de sécurité électronique plus performants et des agents de sécurité en moins grand nombre, mais mieux formés.
Durant 2017 et 2018, les effectifs de ce secteur ont diminué de 1 500 collaborateurs, alors qu’ils avaient grossi de plus de 4 000 les deux années précédentes. Un retournement spectaculaire. La morosité est cependant moins grande que durant la période 2008-2012 durant laquelle la population active dans la surveillance humaine avait diminué de 11 000 salariés, soit l’équivalent de 8 % du total, selon les statistiques de l’Atlas d’En Toute Sécurité.
La situation est assez similaire dans d’autres secteurs à faible croissance comme la sécurité incendie, le transport de fonds ou la serrurerie : ils ont plutôt tendance à débaucher depuis deux ans. Certes, l’érosion concerne seulement quelques centaines de personnes pour chacun d’entre eux, mais ce phénomène révèle une conjoncture maussade.
Autre point faible structurel : un encadrement intermédiaire très peu nombreux. Seulement 2 % des effectifs ont le statut de cadre et 5 % appartiennent à la catégorie des agents de maîtrise. Le personnel administratif compte pour 3 % des salariés et la proportion monte à près de 9 % dans les petites structures. Les agents d’exploitation représentent donc 90 % de la population de cette branche.
Des goulots d’étranglement dans la sécurité électronique
La tendance est radicalement différente dans la sécurité électronique où les entreprises cherchent à embaucher et ne trouvent pas toujours les profils adéquats. Cependant, le total des recrutements n’est pas en nombre suffisant dans la sécurité high-tech par rapport aux suppressions de postes dans les autres secteurs.
Les effectifs ont ainsi progressé de plus de 700 salariés dans la cybersécurité, un domaine où la croissance annuelle se situe au-dessus de 10 %. Mais on tombe vite à des créations nettes d’une centaine d’emplois seulement dans les drones de surveillance ou l’alarme anti-intrusion.
« Dans la sécurité électronique, on est proche du plein-emploi. Les profils de postes ont beaucoup changé en quelques années en raison de l’évolution de la demande qui se porte désormais sur des projets plus complexes. On ne recherche plus de simples installateurs mais des techniciens ayant des compétences en réseaux ou des chefs de projet. »
Michel Eynaud, fondateur du cabinet IP Recrutement.
De même, le métier de commercial a largement évolué : il ne s’agit plus pour eux de faire la course à la vente en grand nombre de matériels standardisés mais de devenir de vrais chargés d’affaires.
« Avec la chute des prix, un commercial de base doit vendre 30 % de matériel en plus en volume chaque année. Ce n’est pas tenable : il faut miser sur des services à valeur ajoutée », affirme-t-il.
Chez les installateurs, la situation est également très mouvante : il ne suffit plus de poser une caméra mais il faut également assurer sa mise en service et son paramétrage, par exemple. Ce qui implique des personnels avec une formation plus poussée.
Le manque de profils répondant aux besoins est tel que le développement de la vidéosurveillance sur IP a même été freiné au début de cette décennie. De même, les concepteurs de logiciels de supervision ou les ingénieurs spécialisés dans les drones sont très demandés.
« Les candidats dans ces domaines de pointe sont très sollicités, mais la profession de la sécurité n’attire pas les meilleurs talents. Il faudrait par exemple lancer une campagne de communication pour vanter ses mérites », estime Alexis Drossos de Secure Conseil.
Les plus compétents partent vers d’autres secteurs jugés plus attractifs, comme l’informatique, les télécoms ou même certains métiers liés au BTP, tels l’éclairage ou les ascenseurs, relève-t-il.
Des niveaux de salaires trop faibles
Il faut dire que les rémunérations sont grosso modo 15 % à 20 % en dessous de ce que l’on constate ailleurs.
Dans la surveillance humaine, les salaires des deux premiers niveaux d’agents de sécurité ne parviennent pas, depuis des années, à se positionner vraiment au-dessus du Smic. À tel point que Christophe Castaner a critiqué cette situation.
« L’objectif est bien de pouvoir s’appuyer sur un secteur privé fiable et solide. Cela passera par une montée en compétences des agents et par conséquent par une hausse des salaires », déclarait le ministre de l’Intérieur en décembre dernier.
Le dialogue social n’est d’ailleurs pas très fluide dans cette profession. Un sondage réalisé début 2019 par l’Ifop pour le compte de l’organisation patronale de la surveillance humaine, l’USP, montrait que les trois quarts des salariés se déclaraient mécontents de leur niveau de rémunération. Seulement 2 % des salariés affirmaient que le niveau de rémunération est une motivation pour intégrer cette profession.
Le turn-over des effectifs est également une plaie qui sévit habituellement : selon ce même sondage, 51 % des salariés pensent continuer leur carrière dans cette profession, alors que 32 % veulent la quitter, car ils ne sont pas satisfaits et 7 % veulent la quitter même s’ils sont satisfaits.
Les salaires dans la télésurveillance ne sont pas réputés pour être très attrayants. Dans les autres domaines, on relève des niveaux plus corrects, surtout pour les postes à valeur ajoutée. Un technicien débutant en sécurité électronique peut espérer toucher un salaire de 25 000 € bruts annuel et son équivalent confirmé jusqu’à 35 000 €, tandis que l’éventail de rémunération d’un commercial confirmé peut atteindre entre 60 000 et 90 000 € bruts par an.
2 % des effectifs ont le statut de cadre
dans la surveillance humaine.75 % des salariés se déclarent mécontents
de leur niveau de rémunération.
Les disparités peuvent être fortes, notamment si le salarié parvient à changer plusieurs fois d’entreprise dans sa carrière : à cinquante ans, l’écart avec celui qui reste dans la même société peut aller jusqu’à 30 %, affirme Michel Eynaud d’IP Recrutement. Et de pointer que les commerciaux ne sont pas toujours fidèles à leur entreprise.
Autre source de différence de salaire : la nature de l’activité de l’employeur. « En général, les fabricants payent plus chers que les distributeurs à moins que ceux-ci soient aussi des intégrateurs. Dans ce cas, le niveau de rémunération est plutôt attrayant », explique Alexis Drossos de Secure Conseil.
Les filiales françaises des firmes anglo-saxonnes offrent des rémunérations plus attractives, bien souvent basées sur les résultats, ajoute-t-il. On note aussi des différences selon les marques, mais la taille de l’entreprise ne joue pas forcément.
Un salarié a intérêt à bien négocier sa part variable : alors qu’elle représentait 20 % de la rémunération totale voici dix ans, elle est plutôt de 30 % aujourd’hui, affirme Michel Eynaud d’IP Recrutement.
« Le pourcentage variable peut être calculé suivant le chiffre d’affaires ou la marge de l’entreprise. Il peut être plafonné ou non. En fait, on peut voir toutes les configurations possibles », détaille-t-il.
Tout dépend aussi de la conjoncture générale du marché. « Depuis le début de l’année, on sent un frémissement assez marqué au niveau des recrutements. C’est un signe que les employeurs anticipent une reprise des affaires », affirme Alexis Drossos, le dirigeant de Secure Conseil.
L’emploi est un indicateur avancé en quelque sorte.
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