Piège mortel à Rouen
Dans la nuit du 5 au 6 août 2016, un joyeux anniversaire regroupant une vingtaine de convives bascule dans l’horreur : le redoutable cocktail mélangeant source de chaleur, matériaux combustibles, gaz toxiques et manque d’issues a durement frappé dans le petit sous-sol du bar Au Cuba Libre. On dénombre 14 morts et 5 blessés.
Après les attentats du 14 juillet 2016 à Nice puis du 26 juillet à Saint-Étienne-du-Rouvray près de Rouen, la tension est palpable dans les engins qui foncent vers le bar Au Cuba Libre situé non loin des rives de l’agglomération rouennaise (Seine- Maritime). En effet, à 0 h 20 le samedi 6 août 2016, les pompiers reçoivent un premier appel « pour explosion suivie de feu » avec notion de nombreuses victimes.
Le kilomètre séparant le centre de secours de l’intervention est vite franchi à cette heure pour les sept premiers engins envoyés. Plus de flammes en façade mais une épaisse fumée s’échappe encore de la devanture dont la vitrine est brisée par des chaises jetées par des témoins pour tenter de désenfumer le bar.
L’agitation est grande parmi les clients et employés regroupés devant l’établissement. Les pompiers prennent immédiatement en charge cinq victimes, tandis qu’un poste médical avancé (PMA) est établi sur la large esplanade faisant face au bar. Les halls des immeubles voisins sont investis pour y délivrer les premiers soins à l’abri des riverains. Une lance est établie et s’engage vers une lueur d’incendie localisée à une dizaine de mètres de profondeur au fond du bar. Mais rapidement, à l’écoute des premiers témoins, la notion de nombreuses victimes encore prisonnières du lieu apparaît.
Un accès difficile et exigu
Outre le bar du rez-de-chaussée, une cave aurait été aménagée en espace privé-discothèque. Reste alors à trouver l’accès menant à ce sous-sol. Alors que le foyer qui intéressait encore un flipper est en voie de résolution, un escalier exigu en bois, coincé entre les toilettes et l’arrière du bar, est découvert.
S’engageant dans ce raide escalier aux murs encore fumants, c’est dans le faisceau de leurs lampes-torches que les pompiers découvrent six premiers corps dans l’étroite discothèque. Immédiatement, la pénible remontée des victimes par l’escalier de bois s’effectue, poursuivie par des tentatives de réanimation au PMA.
Quelques instants plus tard, ce sont sept autres corps qui sont découverts, réfugiés dans un espace fumoir réduit. Deux unités mobiles de réanimation du Samu 76 rejoignent les lieux et médicalisent les soins. Vers 2 h, le feu est maîtrisé.
Les efforts déployés sont vains pour treize des quatorze jeunes gens extraits. Ils s’étaient rassemblés là pour les 20 ans de l’une d’entre eux. Le sous-sol, d’une surface sensiblement égale à la moitié du bar, 25 m² environ, dispose d’un second accès que les pompiers découvrent bientôt. Fermé à clé, il sera forcé pour offrir un second passage ouvrant, via les caves, sur le parking fermé de l’immeuble.
Toutes les victimes sont transportées au CHU de Rouen, où une cellule médico-psychologique attend impliqués et familles des victimes. Les secours assurent l’éclairage des locaux sinistrés toute la nuit. À 5 h 30, l’opération est terminée pour les 90 pompiers ayant participé à l’intervention, appuyés d’une trentaine d’engins.
Les manquements des exploitants
Le bilan, qui est alors de treize décédés, une urgence absolue et cinq relatives, s’alourdit un mois plus tard à quatorze décédés. L’enquête, en cours, a conduit à la mise en examen des deux exploitants pour « homicides et blessures involontaires aggravés par violation délibérée d’une obligation de sécurité ». Ils ont été libérés et placés sous contrôle judiciaire.
L’analyse de cette intervention s’articule autour de trois points essentiels : la transformation de la cave du bar en discothèque, impliquant son changement de catégorie, un second accès au sous-sol verrouillé et l’utilisation d’un matériau d’isolation phonique inflammable incompatibles avec un emploi en ERP.
L’origine supposée de l’incendie est rapidement avancée : le revêtement des parois de tout l’établissement, au rez-de-chaussée comme au sous-sol, y compris portes et plafond, est à base de plaques de mousse polyuréthane et aurait été enflammé par les projections d’étincelles produites par des bougies de type «fontaines lumineuses» ornant un gâteau d’anniversaire porté dans l’escalier par un convive. L’exiguïté de l’accès à l’escalier, sa raideur et le tapissage complet des parois peuvent l’expliquer. La partie supérieure de l’escalier, tapissée de plaques isolantes en feu, entrave la remontée des occupants. Un seul parviendra à la traverser.
Trop peu de temps pour intervenir
Survenant au niveau du plafond, le feu se propage rapidement à l’ensemble de sa surface, entraînant une pluie de gouttes et débris qui tombent sur les banquettes de mousse et le sol. Conjointement, il dévore les parois latérales.
Le volume de cette « mini-discothèque » s’emplit alors rapidement de produits de combustion toxiques dont essentiellement de l’acide cyanhydrique, la transformant en véritable chambre à gaz.
Le temps entre la survenue de l’événement au sous-sol et sa perception au rez-de-chaussée est bref. Des témoins disent même avoir vu une «boule de flammes» traverser le rez-de-chaussée et s’évacuer en devanture. Toute tentative de descente au secours des malheureux serait toutefois impossible, le volume du haut de l’escalier étant lui aussi tapissé de plaques en feu.
Malgré une alerte immédiate, une courte distance et des conditions de circulation favorables à cette heure tardive, le drame est consommé avant même que les sapeurs-pompiers n’arrivent. Seul un système sommaire d’évacuation des fumées de l’espace fumoir vers les caves existe, à l’exception de tout autre dans l’espace discothèque.
La dangerosité de la mousse polyuréthane
Classé 5e catégorie type « N » pour son activité déclarée de bar au rez-de-chaussée, la déclaration de l’activité de discothèque en soussol aurait modifié le classement de l’établissement. Il serait alors tombé en 4e catégorie, avec les prescriptions associées, telles qu’un système d’alarme de type 2b, c’est-à-dire composé entre autres de déclencheurs manuels d’alarme, une deuxième issue à l’ouverture asservie, un message d’alerte, etc. Autant de manquements dont les exploitants devront répondre.
L’addition sommaire des surfaces couvertes d’isolant phonique, dont les trois quarts sont détruits (plaques de 50 x 50 cm par 2,5 cm d’épaisseur), a conduit à la combustion d’environ 1 m3 de plaques dans un espace d’environ 48 m3. Dans ces conditions, le drame s’est déroulé en moins de 5 minutes. Cependant, «l’assassin» court toujours : on le trouve à profusion dans tout bon magasin de bricolage…
S’il est précisé sur l’emballage qu’il est non ignifugé et ne doit pas être approché d’une source de chaleur ni d’une flamme, on en conseille toutefois l’utilisation pour les caravanes, camping-cars, mobil-homes, garages, chaufferies et autres studios d’enregistrement ! Autant de volumes exigus qui, en cas d’incendie, laisseront peu de chances à leurs occupants éventuels. Seul son emploi en sous-couche, protégé du volume intérieur par une paroi incombustible, est à même de limiter sa dangerosité. Comme une infinité d’autres, cet établissement était passé entre les mailles du filet administratif.
À Rouen, depuis le drame, un autre bar semblable a connu un incendie. Et suite à des visites inopinées de la commission communale de sécurité, trois bars se sont vu notifier un arrêté de fermeture totale pour non-conformité.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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