Vidéosurveillance et vidéoprotection, les contours juridiques
Qu’impose la réglementation en matière de vidéoprotection ? Comment trouver le bon équilibre entre protection des biens et des personnes et respect de la vie privée ? Le point sur le sujet.
Vidéosurveillance ou vidéoprotection, quelle que soit la terminologie employée, l’utilisation d’un système destiné à capter les images dans l’espace public et privé est susceptible d’engendrer des risques importants d’atteinte aux libertés et droits fondamentaux. C’est pourquoi son développement et son usage sont encadrés par la réglementation et la jurisprudence.
Pourquoi utilise-t-on à la fois les termes de vidéosurveillance et de vidéoprotection, y a-t-il des différences entre ces notions ?
La loi n° 95-73 d’orientation et de programmation du 21 janvier 1995 relative à la sécurité, dite Lops, utilisait historiquement le terme « vidéosurveillance » pour désigner la captation, la transmission et l’enregistrement d’images prises depuis la voie publique. La consécration du terme « vidéoprotection » en remplacement de « vidéosurveillance » dans les textes réglementaires nous vient de la loi n° 2011-267 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011, dite Loppsi 2. Il s’agissait d’adopter une vision plus large de la sécurité en luttant contre la délinquance et le sentiment d’insécurité (et non plus seulement contre le terrorisme et les atteintes à la défense nationale), tout en rassurant le public grâce à la notion de protection.
La vidéoprotection. Aujourd’hui, la pratique de la sûreté qualifie de vidéoprotection les dispositifs installés :
- sur la voie publique par les autorités publiques, aux fins de prévention du terrorisme, de protection des installations et bâtiments publics et de leurs abords, de sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, de régulation du transport, de constatation des infractions à la circulation, de prévention des atteintes à la sécurité dans les lieux particulièrement exposés aux agressions, au vol ou au trafic de stupéfiants, de prévention des fraudes douanières, de prévention des risques naturels ou technologiques, de secours aux personnes et de défense contre l’incendie, de sécurité des installations des parcs d’attraction ;
- aux abords immédiats des installations et bâtiments privés situés dans les lieux exposés à des actes de terrorisme et aux abords immédiats des commerces situés dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol ;
- à l’intérieur des lieux et établissements ouverts au public aux fins d’y assurer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux et établissements sont susceptibles d’être exposés à des actes de terrorisme, d’agression ou de vol. L’installation de ces systèmes est subordonnée à l’obtention d’une autorisation préfectorale. En sont dispensés et donc soumis à la saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), les systèmes comportant des traitements automatisés qui permettent par eux-mêmes, du fait de leurs fonctionnalités (ex : reconnaissance faciale), une véritable identification des personnes filmées.
La vidéosurveillance. À l’inverse, les dispositifs de « vidéosurveillance » concernent les lieux non ouverts au public et ne nécessitant pas d’autorisation préfectorale. S’ils constituent des traitements de données à caractère personnel, ils relèvent des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui les soumet à une déclaration auprès de la Cnil. Une circulaire du 14 septembre 2011 rappelle les deux conditions cumulatives permettant de qualifier des systèmes de vidéosurveillance de traitements de données à caractère personnel :
- les images sont enregistrées et conservées ;
- le responsable du traitement ou les agents accédant aux enregistrements sont capables d’identifier les personnes filmées, ce qui suppose que le système soit installé dans un lieu habituellement fréquenté par des personnes dont une partie significative est connue du responsable ou des agents (locaux professionnels, établissements pénitentiaires, scolaires, hospitaliers…).
L’installation d’un tel système peut-elle présenter un caractère obligatoire ?
Afin de lutter contre le terrorisme, l’administration a le pouvoir d’imposer la mise en œuvre d’un système de vidéoprotection aux communes, aux opérateurs d’importance vitale, aux gestionnaires d’infrastructures et exploitants de transports collectifs terrestres ainsi qu’aux exploitants d’aéroports ouverts au trafic international (articles L.223-2 et L.223-8 du code de la sécurité intérieure – CSI).
Dans les ERP. En outre, l’article L.271-1 du CSI met à la charge des exploitants de certains bâtiments, en raison de leur importance, une obligation de surveillance qui peut parfois se traduire par la mise en place d’un système de vidéosurveillance. Sont concernés :
- les magasins de commerce de détail de plus de 6 000 m² ou d’une surface de vente de plus de 3 000 m², implantés dans des communes de plus de 25 000 habitants ou dans des communes insérées dans une zone urbanisée contiguë d’une commune de plus de 25 000 habitants ou dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville : les zones ouvertes au public de ces magasins doivent faire l’objet d’une surveillance humaine pendant les horaires d’ouverture ; dans le cas où le critère d’implantation n’est pas rempli, l’obligation de surveillance par au moins un agent, ou à défaut par un système de vidéosurveillance, demeure ;
- les banques, bureaux de change et établissements de crédit, les bijouteries dont la valeur du stock commercial atteint 106 750 € HT, ainsi que les pharmacies selon le critère d’implantation évoqué ci-dessus : l’obligation de surveillance se traduit au choix par un système de surveillance à distance, un système vidéo associé à un dispositif d’alerte, des rondes quotidiennes ou la présence permanente d’un agent ;
- les garages ou parcs de stationnement respectant le critère d’implantation précédemment cité, ouverts au public, d’une capacité d’au moins 200 places lorsque l’ensemble des véhicules n’est pas visible de la voie publique : les exploitants doivent assurer soit des rondes quotidiennes, soit la présence permanente d’un préposé ayant sous sa vue, directement ou par vidéosurveillance, l’ensemble des parties ouvertes au public du garage ou du parc de stationnement.
Dans les installations classées. Par ailleurs, la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) peut, en fonction des risques présents et du régime de classement (autorisation, enregistrement ou déclaration), imposer la mise en place de différentes mesures de sûreté (gardiennage, clôture, vidéosurveillance, contrôle d’accès…).
Y a-t-il des précautions à prendre pour l’implantation des caméras ?
Peut-on filmer indifféremment tous types de lieux ? Les caméras installées au niveau des accès des bâtiments non ouverts au public ne doivent pas filmer la voie publique. Sauf pour les bâtiments implantés dans des lieux particulièrement exposés à des risques de terrorisme, d’agression ou de vol. L’angle de prise de vue doit être réglé avec soin afin de respecter cette règle.
Liberté et vie privée en entreprise. En ce qui concerne la présence de caméras en entreprise, le principe de proportionnalité visé à l’article L.1121-1 du code du travail s’applique : dans la mesure où filmer les salariés est de nature à constituer une atteinte à leur liberté et leur vie privée, cette atteinte doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Il est donc possible de filmer les entrées et sorties, les couloirs, les zones de stockage de marchandises… Mais interdiction de filmer les lieux de pause, de restauration, les sanitaires, les vestiaires ou les locaux des représentants du personnel. Quant aux postes de travail, ils ne peuvent être filmés que si des circonstances particulières l’exigent (pour assurer la sécurité du personnel ou compte tenu de la valeur des biens en cause) et en filmant les salariés le strict nécessaire.
Le rôle des IRP. Dans tous les cas, les raisons et les modalités d’implantation des caméras doivent être évoquées avec les instances représentatives du personnel (IRP) préalablement à l’installation du dispositif, dans le cadre de la procédure d’information et de consultation obligatoire prévue par le code du travail (article L.2323-47).
La Cnil. Les services de contrôle de la Cnil veillent à l’adéquation entre les objectifs poursuivis par l’employeur dans le choix d’installer un système de vidéosurveillance et les restrictions apportées aux droits des salariés et aux libertés individuelles. Ils vérifient également le cas échéant la cohérence entre les informations mentionnées par le responsable du traitement dans sa déclaration et la réalité de l’exploitation du système de vidéosurveillance sur le terrain.
La Cnil a par exemple constaté un DROIT TECHNOLOGIE manquement à l’obligation de veiller à l’adéquation, à la pertinence et au caractère non excessif des données traitées dans le cas d’un groupe de commerce en gros de fruits et légumes dont les établissements, suite à des cambriolages, avaient équipé leurs locaux avec de la vidéosurveillance. Le système filmait notamment les accès aux vestiaires et aux pièces affectées au repos des salariés. La formation restreinte de la Cnil retient que « les seules difficultés liées à l’exiguïté des locaux ne peuvent justifier une atteinte disproportionnée à la vie privée des salariés ou leur mise sous surveillance constante » et prononce à l’encontre de la société, qui ne s’était pas mise en conformité après mise en demeure, une amende de 5 000 € (Délibération n° 2014- 307 du 17 juillet 2014 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X).
Dans un système de vidéoprotection, a-t-on le droit d’exploiter d’autres fonctionnalités que l’image ?
La technologie en matière de vidéoprotection évolue rapidement et permet bien plus que la simple visualisation ou l’enregistrement d’images. La sonorisation, la reconnaissance faciale ou la détection des comportements violents par l’analyse des mouvements, des intonations de voix ou du niveau sonore figurent aujourd’hui parmi les possibilités offertes à l’occasion de l’utilisation de caméras. Pourtant, la réglementation en vigueur relative à la vidéoprotection ne prend en compte que l’utilisation des images.
La sonorisation des caméras. La question n’est pas nouvelle. En 2008, sur l’exploitation du son des caméras, la Commission nationale de vidéosurveillance (CNV) formulait, dans le procès-verbal de la réunion du 20 novembre 2008, les recommandations suivantes : « Sur la question de la sonorisation des images, la CNV recommande de répondre que dans le cadre législatif actuel, loi de 1995 et code pénal, les enregistrements sonores ne peuvent être envisagés. La solution pour une évolution sur ce point ne pourrait être que législative. »
Même son de cloche du côté de la Cnil pour qui, sauf justification particulière, l’écoute et l’enregistrement du son des caméras sont disproportionnés. Elle relève notamment, dans le cas d’un employeur qui utilisait des caméras équipées d’un microphone et d’un haut-parleur pour élucider un conflit entre salariés (et non pour la sécurité des personnes et des biens comme déclaré à la Cnil) : « Il ressort du nombre, de la disposition, de l’orientation des caméras et de la possibilité d’écoute du son que le dispositif (…) conduit à placer les salariés sous la surveillance constante et permanente de leur employeur. » Ceci constitue un manquement aux obligations découlant du 3° de l’article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 qui dispose que les données à caractère personnel collectées doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs (Décision n° 2011- 036 du 16 décembre 2011 mettant en demeure la société X).
De possibles évolutions législatives. Qu’en est-il aujourd’hui ? Avec le renforcement de la menace terroriste, il n’est pas impossible que, dans certains cas (sites ou événements sensibles, situations de danger particulières…), l’utilisation d’autres fonctionnalités que les seules images des caméras puisse être considérée comme justifiée et validée par la Cnil. Ceci sous réserve de la mise en œuvre de mesures spécifiques pour limiter l’atteinte à la vie privée des personnes concernées. Par exemple, déclencher un enregistrement du son sur commande plutôt qu’enregistrer en continu. En attendant, peut-être, une prochaine évolution législative sur le sujet.
Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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