Parfum de friture sur Alès
Le 9 juillet 2024, les sapeurs-pompiers d’Alès (Gard) sont engagés sur un violent feu d’usine d’huiles alimentaires. Les écoulements en feu s’échappent des bâtiments et les risques d’explosion de cuves surchauffées vont tenir les soldats du feu à distance durant plusieurs heures.
Le premier appel parvient aux sapeurs-pompiers mardi 9 juillet 2024 à 5 h 16. Il émane du directeur de l’établissement, lui-même alors à Nice et voyant le début d’incendie via le report de vidéosurveillance de son smartphone. Il est suivi de l’appel d’un voisin de l’usine décrivant « un camion qui brûle sur l’arrière du site ». Un premier détachement de deux engins-pompes et une échelle aérienne est dépêché sur les lieux.
Le jour se lève et les messages des engins en transit, décrivant un important panache noir visible à des kilomètres, déclenchent par anticipation l’envoi par le Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (Codis) d’une dizaine d’engins supplémentaires.
Les huiles enflammées s’écoulent
Selon le directeur, 500 000 litres d’huiles seraient stockés sous divers contenants sur le site.
À l’arrivée du premier détachement, les deux tiers du premier hangar sont en feu. En parallèle de la protection d’une maison d’habitation située à moins de 30 mètres de l’usine, une première lance est établie pour tenter de couper le feu vers un stock extérieur en bidons, mais de l’huile en ébullition s’échappe sous la porte du bâtiment et s’étale dans la cour. Les premiers intervenants doivent reculer, non sans avoir détruit un muret permettant de détourner le flot bouillonnant vers le fossé bordant le site. L’huile s’étend sous les engins qui reculent.
À 5 h 38, le feu se généralise progressivement à l’ensemble des bâtiments. Un large tour du feu permet d’accéder au nord de l’usine où des bacs en feu sont visibles. Un groupe de constructions précaires est protégé et une trentaine de riverains sont évacués. Sur toutes les faces, les écoulements enflammés s’échappent des bâtiments déformés, obligeant les porte-lances à s’en préserver.
Par ailleurs, des explosions de bouteilles de propane de 13 kg, sans doute affectées aux chariots de manutention, surviennent sporadiquement.
Le feu se généralise
Au cœur du sinistre, un groupe d’une dizaine de cuves libère un bouillonnement de flammes sur plusieurs dizaines de mètres de haut. Le rayonnement est puissant. Les calottes des bacs se bombent sous la pression intérieure.
Le panache dense et élevé, poussé vers le nord sur l’agglomération d’Alès, entraîne maintenant de nombreux appels.
Une cellule mobile d’intervention chimique (Cmic) est engagée et effectue des mesures atmosphériques sous le panache. Elle est bientôt renforcée du véhicule de détection, identification et prélèvement (VDIP) du Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM), en mesure de réaliser des analyses plus fines.
Vers 6 h, la généralisation du feu à l’ensemble des installations contraint les secours à reculer. Ils positionnent des lances-canons permettant de temporiser le feu à distance, de tenter de réduire le panache et de refroidir les 13 cuves baignant dans l’incendie. À 7 h, des consignes de confinement sont données pour la commune de Saint-Christol et le sud d’Alès, malgré les résultats de mesures atmosphériques non significatifs.
Vers 8 h, une centaine de sapeurs-pompiers est engagée sur l’intervention. Vers 9 h 30, le dispositif d’alimentation est réarticulé, et trois lances-canons disposés autour du brasier peuvent fournir un débit de 7 500 l/min, grâce à l’intervention du service des eaux.
Dès l’attaque initiale, des mesures sont prises pour contenir les eaux d’extinction mêlées d’hydrocarbures, en élevant des merlons de terre. Le risque d’explosion qui subsiste ne permet pas une attaque rapprochée et les trois canons poursuivent leur action de refroidissement jusqu’à 12 h 30 environ. C’est vers 14 h 30 que le feu est déclaré circonscrit. Quatre lances-canons et une lance sur échelle aérienne sont alors en manœuvre. À 16 h, les mesures de confinement sont levées. Après la constitution d’un tapis de mousse sur la face est du feu, et le traitement d’un foyer persistant dans les décombres qui enfume le lotissement proche, un dispositif de surveillance est instauré pour la nuit.
L’entreprise prendra en charge la suite du déblai ainsi que le traitement des effluents composés d’huile végétale et d’eau.
120 sapeurs-pompiers issus d’une dizaine de centres de secours, ajoutés aux renforts du Vaucluse et du BMPM, ont été engagés. Aucun blessé n’a été dénombré. Le directeur, victime d’un malaise cardiaque, a dû être placé brièvement en observation.
Les sapeurs-pompiers disposent trois lances-canons autour du brasier pouvant fournir un débit de 7 500 l/min. © Sdis30.
L’origine du feu
Les causes de l’incendie sont indéterminées et font l’objet d’une enquête judiciaire. Le premier appel émane du directeur de l’entreprise qui, consultant le réseau de caméras installé sur le site depuis son smartphone, voit un début d’incendie à l’angle du hangar le plus proche de l’entrée. Il n’est pas possible de déterminer si ces flammes sont issues d’un foyer extérieur ou d’un foyer intérieur, le feu s’étant développé jusqu’à déformer le bardage de façade. Il existe à cet endroit une installation de panneaux photovoltaïques recouvrant partiellement les deux hangars.
Lorsque le premier détachement arrive sur les lieux, les flammes partant du coin du premier hangar recouvrent déjà la toiture. Ce premier appel sera suivi d’un autre, un riverain décrivant un camion brûlant sur l’arrière du site.
Les sapeurs-pompiers ne disposeront pas d’informations techniques sur le site avant l’arrivée du directeur, plusieurs heures après. Ce dernier évalue à 500 000 litres la quantité d’huile présente sur le site.
L’établissement a déjà connu deux fois l’épreuve du feu : en 2001 sur une huilerie de taille plus réduite et en 2013 avec un feu de stock de palettes.
En images, l’ampleur du feu et l’intervention des sapeurs-pompiers d’Alès (Gard), le 9 juillet 2024.
Les pollutions
Nous sommes en présence d’un incendie industriel aux trois composantes : l’incendie, la pollution atmosphérique et celle des sols et cours d’eau. Le traitement de chacune des composantes peut interagir avec les deux autres.
Dans le cas présent, réduire la pollution atmosphérique (production de fumée), très importante dans ce type de feu d’hydrocarbure, s’obtient en maîtrisant l’incendie… mais le feu est virulent, dangereux, et impose de gros débits et longue portée. Cela va augmenter le volume d’effluents pollués et aggraver la pollution des sols.
Un drone mesure la température de l’enveloppe des bacs en feu. Il faut abondamment les refroidir pour éviter leur déchirement et une pollution supplémentaire.
Sur ce sinistre, le panache de fumée aura été significatif cinq à six heures durant. Le volet « pollution atmosphérique » a été d’emblée pris en compte. La convection est puissante, le panache bien formé monte verticalement en altitude, puis s’étale horizontalement vers le nord et les zones densément urbanisées.
L’acroléine, un aldéhyde employé dans cette filière pouvant être responsable d’irritation des yeux, de la gorge et du nez, est particulièrement recherchée lors des prélèvements, mais se révélera introuvable. Des mesures sont effectuées jusqu’à 15 km sous le panache qui est, à cette distance, bien délayé. Si les résultats sont « non significatifs », des analyses plus fines seront réalisées par le VDIP du BMPM, disposant de moyens de détection et de prélèvements puissants.
Dès le début de l’engagement, les sapeurs-pompiers vont être confrontés à des écoulements bouillants d’huile, s’étalant jusque sous les engins avant que ceux-ci ne soient reculés en hâte. Ces écoulements sortent des hangars ou s’échappent des stockages extérieurs de bidons palettisés ou de conteneurs de plastique de 1 m³. Ils rejoignent les fossés via le réseau de collecte des eaux pluviales du site.
La première attaque avec des lances à main est bientôt stoppée, et un barrage de fortune est constitué pour détourner le flot huileux vers le fossé. Cette action va permettre d’assurer la praticabilité de la voie d’accès principale à l’usine. Mais suivant le fossé sur près de 100 m, le mélange huile/eaux d’extinction va se concentrer dans un bassin d’orage, que les sapeurs-pompiers vont tenter d’isoler en posant merlon et boudins gonflables. Ce bassin d’orage, où 7 000 litres d’huile pure seront pompés, se déverse à 600 m dans un ruisseau, affluent du Gardon qui lui se déverse dans le Rhône via le Gard. Quelques fuites se produiront.
L’important panache de fumée, qui montait d’abord à la verticale, s’est étalé ensuite horizontalement vers les zones habitées. Les résultats des premières mesures effectuées jusqu’à 15 km sous le panache se sont révélés non significatifs. © Sdis30.
Le choix de l’eau pour combattre l’incendie
L’attaque à l’eau est privilégiée. L’huile et les carcasses de bâtiments ne font qu’un et il ne paraît pas envisageable de former un tapis de mousse, problématique à constituer en raison de l’enchevêtrement de décombres incandescents.
Les nappes enflammées fluctuant autour du bâtiment, le risque d’explosion de bacs – dont plusieurs, en surpression, laissent fuser de hautes torchères – et les explosions de bouteilles de gaz de 13 kg imposent une attaque à distance à l’aide de lances-canons. Seul un dernier foyer récalcitrant, dans la zone du départ du feu, sera traité à l’eau « dopée ». Un groupe mousse sera toutefois dirigé sur les lieux.
L’huile et ses conditionnements
L’huile existe schématiquement dans cette usine sous trois conditionnements. Tout d’abord un groupe de 13 cuves de plusieurs dizaines de milliers de litres, regroupées dans une cuvette de rétention de 250 m² environ, aux parois de maçonnerie. Ces parois vont être par endroits détruites par la torsion d’éléments de structure métalliques très proches. En effet, les deux hangars principaux, « collés » à ce stockage, n’en sont isolés par aucun écran en dur. Aucune paroi coupe-feu ne recoupe le bloc bureaux des hangars de production, de conditionnement et de stockage, de ce stockage qui s’élève en son centre. Les premiers sapeurs-pompiers sont dans l’impossibilité de « couper le feu », ne pouvant, sur 4 000 m², s’appuyer sur aucun élément architectural fiable.
Le second type de conditionnement est fait de conteneurs de polyéthylène maintenus dans des cadres métalliques aux palettes intégrées. Soumis à une chaleur intense, ils fondent en libérant leur contenu. Ces stockages extérieurs, à proximité des bâtiments, participent à l’étalement du feu et à la mise en danger des sauveteurs s’approchant. Ce type de conditionnement en conteneur de polyéthylène est parfois impliqué dans la généralisation de feux industriels.
Enfin, des stocks importants d’huile en bidons métalliques de 30 à 50 litres environ, aux bouchons vraisemblablement de plastique, sont stockés près de l’entrée, contre le bâtiment administratif. Ils participeront à la constitution d’une nappe enflammée, à l’entrée du site.
L’utilisation des drones sur les incendies
L’emploi quasi généralisé aujourd’hui de drones par les Sdis s’avère ici particulièrement précieux : sur cette usine où l’on doit se tenir à distance, les vues aériennes vont, d’une part, permettre de guider au plus précis les jets des lances-canons, notamment sur le groupe de bacs d’huile, mais aussi grâce à la caméra thermique, de mesurer la température des parois et de poursuivre ou non le refroidissement. Les drones sont aussi précieux aujourd’hui pour suivre une pollution aquatique, en examinant l’irisation de surface par exemple.
L’entreprise dévastée
L’entreprise est totalement détruite, à l’exception d’un groupe de six bacs implantés à une trentaine de mètres. Le bâtiment administratif, sur lequel sont concentrés traditionnellement les efforts, lorsque le reste est perdu, sera ici totalement ravagé, sans même la possibilité d’en extraire des documents informatiques utiles à la poursuite d’activité. Il est adossé, sans recoupement en dur, à l’un des hangars, et l’huile s’étalant au sol coupe toute approche des sauveteurs…
Une trentaine de salariés sont aujourd’hui au chômage, et la direction ne sait si elle reconstruira sur site, entouré de lotissements, ou ailleurs, dans un secteur plus isolé.
L’entreprise a été totalement détruite, mettant au chômage une trentaine de salariés. © René Dosne-Face au Risque.
Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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