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Sécurité incendie des cathédrales : où en est-on ?
Quelques mois après l’incendie de Notre-Dame de Paris survenu le 15 avril 2019, le ministère de la Culture initiait, en octobre 2019, un plan d’action « sécurité des cathédrales » destiné aux 87 cathédrales (et deux autres lieux de culte catholique) appartenant à l’État, avec pour objectif premier de renforcer la sécurité incendie des sites. Alain Chevallier, conseiller sécurité incendie des patrimoines à la Mission sécurité, sûreté, audit (Missa) du ministère de la Culture, fait le point.
Pouvez-vous revenir sur l’origine du plan « sécurité des cathédrales » et son objectif ?
Alain Chevallier. À la suite de l’incendie de Notre-Dame, il y a eu une vraie prise de conscience collective de la nécessité d’investir davantage dans la sécurité incendie des cathédrales. En octobre 2019, le ministère de la Culture a sollicité la Mission sécurité, sûreté et audit (Missa), service de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture, pour réaliser un plan d’action sur la sécurité des cathédrales puis intensifier les audits de sécurité dans les 87 cathédrales ainsi que deux autres lieux de culte lui appartenant, la basilique Saint- Nazaire de Carcassonne et l’église Saint-Julien de Tours. La Missa est composée de trois officiers supérieurs des pompiers de Paris, dont deux dédiés à la partie patrimoine et donc aux cathédrales appartenant à l’État. Le plan a été formalisé en 2020, à partir du retour d’expérience de l’incendie de Notre-Dame et des visites périodiques quinquennales d’évaluation des autres cathédrales, avec 47 mesures pour renforcer la sécurité incendie. Nous avons notamment demandé le contrôle des installations électriques, le recoupement des combles, un SSI (système de sécurité incendie) obligatoire… Au-delà de la sécurité des personnes, le plan cathédrales a pour objectif de garantir la sauvegarde des biens, que ce soit le bâtiment ou les œuvres qu’il abrite. Nous l’avons mis à jour en 2023, grâce aux travaux d’un groupe de travail avec les Directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les architectes des bâtiments de France (ABF), qui sont les référents de sécurité dans les cathédrales. Nous avons ainsi apporté des innovations ou améliorations qu’on a trouvées dans certaines cathédrales au fil de nos audits ou qui venaient de notre expérience personnelle. Le plan est ainsi passé de 47 à 58 mesures.
Alain Chevallier
Conseiller sécurité incendie pour les patrimoines. Il a été officier de sapeur-pompier de Paris pendant 24 ans puis inspecteur incendie du ministère des Armées pendant dix ans. Il est conseiller sécurité à la Missa depuis 2021.
Quelles sont les nouveautés ?
A. C. En plus du SSI obligatoire, surveillé en permanence par une personne d’astreinte ou relié à une société de télésurveillance, inscrit dans le plan en 2020, nous avons ajouté l’installation progressive de caméras thermiques dans les cathédrales, dans les parties difficiles d’accès comme les combles, les clochers et sur les chantiers avec travaux par point chaud, pour détecter les zones de chaleur avant l’apparition des fumées. Six cathédrales sont actuellement équipées, dont Notre-Dame. L’idée est de les installer pendant des travaux de restauration, période particulièrement à risque, et de les laisser ensuite. Nous demandons des caméras certifiées à double tête. À 90 °C, la personne en charge de l’exploitation des caméras prévient les pompiers puis les personnes inscrites sur ses consignes. Ces caméras thermiques sont également intéressantes pour détecter une présence humaine anormale, notamment des Urbex (personnes visitant des lieux non accessibles au public).
« Autre nouveauté du plan cathédrales, l’installation d’extinction automatique sur les tableaux électriques, qui constituent un des principaux facteurs de départ de feu. »
Autre nouveauté, l’installation d’extinction automatique sur les tableaux électriques, qui constituent un des principaux facteurs de départ de feu. Il s’agit d’un extincteur CO2 à pression permanente incorporé le long des armoires électriques. Un serpentin court dans l’armoire et s’il y a un départ de feu, ça perce le serpentin et le gaz se dégage immédiatement. D’autres systèmes existent, mais l’important c’est l’extinction précoce dans des tableaux qui ne sont pas dans des volumes protégés. L’idée vient de la cathédrale d’Évreux. L’architecte des bâtiments de France nous avait confié que, vu les délais pour déplacer ou mettre aux normes les armoires électriques, elle avait pris une assistance à maîtrise d’ouvrage avec un ancien pompier qui lui avait proposé ce système. Je me suis rappelé que ce système avait été accepté par la Commission centrale de sécurité du ministère de l’Intérieur pour équiper certains établissements de restauration rapide d’origine américaine, où ce principe est généralisé. Nous avons donc repris l’idée dans le plan « sécurité des cathédrales » et toutes les cathédrales sont en train de s’équiper.
Le plan « sécurité des cathédrales » demande depuis 2023 la mise en place de caméras thermiques dans les zones difficiles d’accès ou sur les chantiers avec travaux par point chaud. Ici, à la cathédrale de Soissons. © Alain Chevallier.
Quelles autres mesures ont été ajoutées ?
A. C. Nous demandons désormais des audits de sécurité / sûreté approfondis réalisés par le même bureau d’études pour l’ensemble des cathédrales d’une même région. Cela facilite la prise de décisions des Drac quant aux priorités en matière de sécurité incendie. Et nous avons ajouté au plan l’engagement de prestataires formés pour accompagner les ABF dans leur rôle de référent de sécurité. Il s’agit d’assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO) délégués à la sécurité incendie, qui vont servir de relais entre les Drac, les ABF et nous. Ce sont généralement d’anciens pompiers qui vont aider à préparer les commissions de sécurité, vérifier régulièrement la mise en place du plan d’action sur la sécurité des cathédrales, aider l’ABF pour revoir le cahier des charges d’exploitation, aider la Drac pour renouveler un marché sur des extincteurs par exemple…
Mon collègue, Dominique Jager, et moi, nous nous réunissons tous les six mois avec les AMO pour faire un point sur les problèmes qu’ils rencontrent et sur les solutions qui doivent être unilatérales. Nous avons fait un énorme bond en avant. Nous avons aussi mis en place des formations complémentaires sur deux jours pour chaque Drac et Udap (Unités départementales de l’architecture et du patrimoine) sur la compréhension des textes réglementaires, le registre de sécurité, le règlement intérieur, le cahier des charges d’exploitation…
Quelles sont les principales vulnérabilités relevées concernant la sécurité incendie ?
A. C. Il y a trois grandes familles de vulnérabilités dans les bâtiments patrimoniaux. La première est électrique, cela représente 28 % des incendies d’après les statistiques de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Les cathédrales ont été construites quand il n’y avait pas d’électricité, il n’y a donc pas de volumes protégés comme le demande maintenant la réglementation. On trouve souvent le TGBT (tableau général basse tension) mal placé, dans la sacristie ou collé à l’orgue. Des travaux sont lancés pour les déplacer, mais en attendant, nous les équipons d’extincteurs automatiques.
L’électricité, c’est aussi l’éclairage de la ville, souvent relié à un tableau électrique indépendant. Nous avons interdit les éclairages sur les édifices car quand le pompier arrive, il appuie sur un coup de poing qui coupe le courant dans toute la cathédrale. Mais il peut se retrouver avec des circuits électriques toujours alimentés parce qu’ils ne sont pas reliés au même tableau. Ces situations anormales font l’objet d’une attention particulière dans le cadre du plan de sécurité des cathédrales.
La deuxième cause des incendies est la malveillance, cela représente 26 % des cas. On pense à l’église Saint-Hilaire de Poitiers, victime d’un incendie volontaire début octobre 2024. On a beaucoup de problèmes de malveillance, ce qui explique que dans le plan cathédrales, en plus du SSI demandé en 2020, on a ajouté une présence obligatoire dans les cathédrales pendant les heures d’ouverture au public. Ce qui est compliqué dans certains cas. Si le clergé nous dit qu’il n’a pas de bénévoles, on demande à fermer la cathédrale.
Enfin, troisième cause, les travaux. Ils sont à l’origine de 21 % des incendies. En juillet dernier par exemple, un incendie s’est déclaré dans le chantier de la flèche de la cathédrale de Rouen. C’est un souci permanent. C’est pour cela que le plan insiste sur le respect des procédures d’encadrement des travaux et qu’on a exigé des caméras thermiques pendant les travaux. Pour donner un exemple de la qualité des caméras, j’ai déjà reçu une alerte quand l’un des couvreurs était passé avec sa tronçonneuse thermique dans le champ de la caméra.
Captures d’écran de caméras thermiques dans la cathédrale de Mende en Lozère. © Alain Chevallier.
Où en sont les cathédrales ?
A. C. Lors de nos audits, nous catégorisons les cathédrales en trois grandes familles :
- le niveau insuffisant, ce sont celles qui font l’objet d’un avis défavorable de la commission de sécurité. Quand je suis arrivé à la Missa en 2021, c’était mon chantier prioritaire. Il y avait 17 avis défavorables en 2020. Il n’y en a plus que 3, dont 2 devraient être levés avant la fin de l’année ;
- le niveau réglementaire, pour les cathédrales qui répondent aux exigences applicables aux ERP pour l’accès au public. Au 1er janvier 2024, 64 étaient au niveau réglementaire, soit 6 de plus qu’en 2020 ;
- le niveau élevé, c’est celui qui respecte le plan sécurité des cathédrales. 19 cathédrales bénéficient de ce niveau, soit 5 de plus par rapport à 2020.
Il y a aussi trois cathédrales fermées : Notre-Dame de Paris qui doit rouvrir le 8 décembre prochain, Nantes à la suite d’un incendie et qui devrait rouvrir le 25 novembre 2025 et Montauban, car des travaux pour un parking souterrain ont remis en cause la stabilité de la cathédrale.
Pour les plans de sauvegarde des biens culturels (PSBC), 80 sont formalisés contre 13 en 2019. Ils restent perfectibles, voire très perfectibles pour certains, mais ils existent. Nous venons d’ailleurs de publier un guide méthodologique sur les exercices PSBC. Pour les cathédrales qui sont au point concernant le risque incendie, nous leur demandons de prendre en compte le risque naturel (inondation, tempête…) dans leur PSBC.
Enfin, concernant le cahier des charges d’exploitation, qui liste les mesures à prendre quand la cathédrale est utilisée pour une autre activité que le culte, comme un concert par exemple, 59 sont adoptés, contre 16 en 2019.
Et si un incendie se déclarait en toiture de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes ? C’est le scénario de l’exercice du 16 octobre 2024 qui a permis aux sapeurs-pompiers du Sdis35 et à la Drac de tester les procédures définies dans le plan de sauvegarde de la cathédrale. L’exercice s’inscrivait dans le cadre du plan d’action « sécurité des cathédrales ». © SDIS 35.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
A. C. Le principal problème est de trouver, dans certains endroits, des personnes disponibles pour assurer une présence quand la cathédrale est ouverte au public ou pour réaliser la levée de doute. On ne peut pas demander aux bénévoles d’un certain âge d’aller faire une levée de doute dans les combles. Par exemple pour la cathédrale de Saint-Flour en Auvergne, un SSI a été mis en place, relié à une société de télésurveillance. L’architecte des bâtiments de France est à 1 h 30 de route dans le meilleur des cas et on ne trouve pas, sur place, de société qui fait des levées de doute. C’est compliqué, nous cherchons toujours une solution avec la sous-préfète.
C’est du cas par cas, nous avons 89 modèles uniques. Les caméras thermiques, qu’on a ajoutées au plan, ont aussi cet avantage qu’elles peuvent aider dans la prise de décision sans remplacer la levée de doute réalisée par un agent.
Quel a été le rôle de la Missa dans la reconstruction de Notre-Dame ?
A. C. Notre rôle a été de dialoguer avec l’établissement public qui gère la restauration. Nous l’avons aidé à faire le schéma global d’organisation de la sécurité, document qui doit être présenté à la commission de sécurité pour expliquer le mode de fonctionnement de la sécurité dans la cathédrale 24 heures sur 24. Nous avons demandé la mise en place de caméras thermiques pendant les travaux, en plus du système d’extinction automatique relié à une double aspiration. Nous avons également travaillé sur les consignes et les fiches : missions des agents Ssiap, des personnes du clergé qui vont assurer la sûreté…
Et nous assurons aussi la formation complémentaire du personnel de l’établissement public et du clergé pour le secours à victimes et l’utilisation des extincteurs. De plus, le chantier n’est pas fini et va durer jusqu’en 2028. Il faudra continuer à les assister.
Quelles sont les suites pour le plan « sécurité des cathédrales » ?
A. C. Nous nous servons du retour d’expérience de Notre-Dame, mais aussi des visites de tous les autres établissements pour améliorer le plan au fur et à mesure. Nous nous intéressons par exemple à des systèmes d’extinction automatique, de type brouillard d’eau à haute pression, très répandus dans les hôtels aux États-Unis, avec un petit surpresseur dans une pièce, qui pourraient être installés dans des combles par exemple. Cela pourrait être intéressant pour certaines cathédrales qui n’ont pas l’envergure de Notre-Dame de Paris, mais qui possèdent des charpentes très anciennes à protéger. Et nous espérons que le plan pourra servir aux autres établissements qui ne sont pas à la charge de l’État. La mairie de Paris a ainsi décidé d’appliquer le plan « sécurité des cathédrales » à tous les édifices religieux sous sa responsabilité.
Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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