Incendie d’un immeuble en déconstruction à New York

1 décembre 200710 min

Intervenir sur un incendie de chantier est souvent une mission des plus périlleuses pour les sauveteurs, dont la tâche était ici compliquée par les équipements de décontamination en place.

Ceci est une légende Alt

Le 18 août 2007, un incendie éclate dans un gratte-ciel en déconstruction à New York, tout près de Ground Zero, l’ancien emplacement du World Trade Center. La décontamination de l’édifice imposait qu’il soit étanche vis-à-vis de l’environnement urbain, mais cela a conduit à en faire un véritable piège pour les sauveteurs engagés. Deux d’entre eux sont morts et une cinquantaine d’autres ont été intoxiqués à des degrés divers.

Construit en 1974, le building comprenait à l’origine 41 étages. Sa structure, traditionnelle à New York, est faite de poteaux d’acier, supportant des planchers en béton posés sur une armature métallique reliant la structure du noyau à la façade. Avec une surface au sol de près de 4 000 m² (environ 60 mètres par 60 mètres), l’édifice est desservi par deux escaliers et plusieurs batteries d’ascenseurs regroupées dans un noyau central. Le bâtiment ouvre sur Liberty Street, avenue bordant le chantier de Ground Zero. Sur ses trois autres faces, il n’est séparé des autres constructions que par des rues étroites.

Siège de la Deutsche Bank depuis 1998, l’immeuble est atteint, le 11 septembre 2001, par d’énormes fragments de la tour sud du World Trade Center lorsqu’elle s’effondre. L’entaille d’une vingtaine d’étages qui balafre sa façade, empêche toute réparation. 1 700 fenêtres ont été pulvérisées, les sprinkleurs démantelés noient les étages, tandis qu’une réserve de fuel de 70 000 litres inonde les sous-sols… Le gigantesque nuage de poussière qui résulte de l’écroulement des tours jumelles infiltre tous les étages, les contaminant irrémédiablement (amiante, dioxine, silice, quartz, hydrocarbures, chrome et manganèse). La façade est voilée, comme celle des autres édifices touchés par l’effondrement des tours.

FI 438 Dessin 01 © René Dosne

Un labyrinthe de parois en vinyle à chaque étage

Cet immeuble ne pouvait être détruit par implosion. Seule une technique longue et méticuleuse pouvait être adoptée dans un milieu urbain aussi dense. Au moment du sinistre, le gratte-ciel ne fait plus que 26 étages. Ses escaliers sont tronqués au niveau du seizième étage, et l’accès aux parties supérieures se fait par un double monte-charge de chantier extérieur et des escaliers extérieurs disposés entre la façade et l’écran de toile – à grosses mailles – qui masque les échafaudages.

Ce n’est qu’en 2005 qu’un contrat de démolition est attribué, pour un montant de 75 millions de dollars. En mars 2006, les travaux préparatoires au démantèlement démarrent : installation d’un échafaudage et d’un double ascenseur extérieur, « emballage » de l’édifice dans une enveloppe de toile, occultation des baies par des panneaux de contreplaqué. Il s’agit de l’isoler des riverains inquiets qui demandent en plus la mise en place d’un réseau de capteurs d’air. Chaque étage est nettoyé, désamianté, décontaminé, avant de passer à la phase du démantèlement des structures, qui débutera un an après, en mars 2007.

La découverte de nombreux ossements humains mêlés au gravier de la terrasse entraîne un premier arrêt de travail d’une semaine. La déconstruction reprend, par l’intérieur, chaque poutrelle étant découpée, chaque dalle de plancher fractionnée, avant d’être mise en sac, rincée, puis emballée dans un second sac, stockée dans une salle scellée du bâtiment, puis évacuée dans des camions scellés, empruntant un itinéraire défini avec les autorités. Le démantèlement s’opère au rythme d’un étage par semaine environ, jusqu’au 17 mai, où un morceau de canalisation chute du 34e étage, traverse le toit de la caserne de pompiers contiguë, et blesse deux hommes. Le chantier est brièvement stoppé.

Le 18 août 2007, un incendie éclate, à 3 h 40, au 17e étage. C’est dans une opération particulièrement éprouvante et dangereuse que vont se lancer les pompiers. Accédant par le monte-charge extérieur au niveau au dessous du feu, ils trouvent les deux escaliers fermés, pour cause de confinement. Il faut d’abord briser les panneaux de contreplaqué bouchant les ouvertures pour passer ensuite par l’extérieur, sur d’étroites passerelles, et gagner ainsi les escaliers métalliques.

FI 438 Dessin 02 ©René Dosne

De nombreux étages sont recoupés par des parois de vinyle pour isoler les différents chantiers de décontamination. Ces séparations constituent un véritable labyrinthe rempli d’une épaisse fumée, désorientant les sauveteurs à la recherche du feu. Mais le plus grave, c’est l’absence d’eau. C’est le point le plus sensible de cette intervention. Il semble que la colonne sèche, conservée durant le chantier mais détériorée dès le cinquième étage, n’ait pas été en mesure d’approvisionner les étages. Les pompiers doivent alors tirer des lignes de tuyaux verticales sur de grandes hauteurs pour enfin attaquer le feu. Celui-ci jaillit sporadiquement sur les quatre faces de l’édifice, jusqu’au 26e niveau : il est alimenté par les éléments en contreplaqué, l’échafaudage, l’enveloppe de toile…

FI 438 Dessin 03 © René Dosne

Bientôt, plus de 250 pompiers et des dizaines d’engins d’un volume de « sept alarmes » – une alarme correspondant à un volume donné d’engins de secours aux Etats-Unis – , sont engagés dans la lutte contre le feu. Celle-ci durera plus d’une dizaine d’heures avant que l’incendie ne soit maîtrisé en milieu d’après-midi. Le bilan est lourd : deux pompiers décédés par asphyxie, 51 blessés, dont neuf sérieusement.

L’approvisionnement en eau, un point critique à surveiller

Si un immeuble de grande hauteur bénéficie d’un niveau de sécurité satisfaisant imposé par la réglementation lorsqu’il est en exploitation, la fiabilité de ses équipements devient plus difficile à maintenir en période de chantier, réhabilitation ou démolition, alors même qu’un certain potentiel calorifique existe encore, et que des centaines d’ouvriers peuvent évoluer aux différents étages.

Dans cet immeuble new-yorkais, il n’y a « pas de dispositif d’approvisionnement en eau des étages, peu de moyens d’ascension, des étages barrés de cloisons légères en vinyle qui les transforment en labyrinthe enfumé, des façades aveuglées par des panneaux de contreplaqué », comme le décrit un journal local. Les mesures de protection de l’environnement (confinement) se retournent contre les sauveteurs engagés par dizaines, sous appareils respiratoires isolants (ARI), dans ces lieux hostiles où le feu circule d’un étage à l’autre par les multiples trémies et ouvertures pratiquées pour les opérations de démolition. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux, arrivés en limite de réserve d’air, ne devront leur salut qu’en parvenant à briser les panneaux de bois occultant les fenêtres, et en sautant sur l’étroit échafaudage extérieur, au risque de le rater. D’autres, lors de leur repli par l’extérieur, seront heurtés par de multiples éléments enflammés chutant des étages élevés. Un point important observé sur ce sinistre : le monte-charge extérieur ne dispose pas, sur son trajet, de protection pare-flammes pour l’isoler des baies. L’inflammation de certaines d’entre elles bloque cet unique moyen d’ascension.

Un feu d’immeuble en chantier (construction, réhabilitation, démolition…) recèle de nombreux pièges susceptibles d’aggraver les conséquences matérielles et humaines d’un sinistre : trémies mal protégées, obscurité, présence de stocks de marchandises, de postes de soudure et de découpe, rupture des compartimentages (démontage de portes, brassées de câbles au sol empêchant la fermeture des portes), stockages de colles, peintures, moquettes, emballages… L’altitude à laquelle le feu éclate va bien sûr renchérir sur tous ces facteurs majorants.

  • En 1973, préalablement à sa démolition, un gigantesque bunker de béton, vestige de la dernière guerre rue La Pérouse à Paris, avait été emballé d’une double peau de bottes de paille pour assourdir les bruits du chantier. Un feu d’îlot, à deux pas des Champs-Élysées… ;
  • au London Underwriting Center, un imposant atrium qui le traverse va propager l’incendie vers ses parties supérieures (Face au Risque n° 289 janvier 1993) ;
  • en février 2005, parti du 17e étage, l’incendie de la tour Windsor de Madrid partiellement en travaux de réhabilitation, va conduire à la destruction totale de l’IGH et à son effondrement partiel (Face au Risque n° 412, avril 2005) ;
  • le dôme de la gare de Limoges est ravagé par le feu à la suite de travaux par points chauds, en 1998 (Face au Risque n° 344, juillet 1998) ;
  • le coffrage mobile coiffant les 42e et 43e étages de la Torre Espacio est le siège d’un incendie à Madrid, en septembre 2006 ;
  • plus récemment, deux sinistres ont affecté des IGH en construction dans les Émirats arabes unis, entraînant de nombreux morts parmi les ouvriers.

La réglementation IGH (arrêté du 18 octobre 1977) apporte des réponses visant à limiter les risques lors de cette étape sensible :

  • « Pendant la construction de l’immeuble, l’une de ses colonnes humides doit être installée de façon à pouvoir être utilisée à chaque niveau dès le début du second œuvre. Son utilisation provisoire en colonne sèche peut être admise jusqu’à 100 mètres » (art. GH 55) ;
  • « Dès le début du second œuvre (cloisons, huisseries de façade, planchers non porteurs, etc.), le propriétaire est tenu de mettre en place un service permanent de sécurité, ainsi que les moyens de secours appropriés au risque à combattre » (art. GH 60).

En fait, les éléments tels que les colonnes humides et les machineries de monte-charge « suivent » le changement d’état du bâtiment (du gros œuvre au second œuvre) au fur et à mesure de sa construction. Les machineries mobiles sont déplacées, les conduites prolongées. Seul le dispositif de désenfumage ne peut être opérationnel qu’en fin de réalisation. Si, comme à Madrid (tour Windsor), le feu éclate au niveau des coffrages coiffant la tour, on pourra organiser l’alimentation du dispositif de lances à partir du dernier niveau de second œuvre, qui ne sera que quelques niveaux plus bas. Pour la « déconstruction » d’un IGH, la procédure inverse sera appliquée. On veillera à ce qu’au moins une colonne humide, progressivement raccourcie, soit toujours en état de marche. Les machineries de monte-charge descendront en suivant les niveaux.

De la tour de la faculté des sciences de Jussieu, à Paris, totalement mise à nu pour désamiantage, aux tours de La Défense qui entrent dans une importante opération de rénovation, plusieurs IGH de la région parisienne, construits dans les années 70, doivent être désamiantés, réhabilités, surélevés (jusqu’à plus de 250 mètres pour certains), voire, plus radicalement, démolis. Cette intervention conduit à réfléchir sur les mesures à mettre en œuvre sur ces chantiers alors que le dispositif d’incendie traditionnel n’est plus totalement opérationnel dans un environnement aux sources d’incendie multipliées.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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