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Évacuation monstre à Nantes
La décomposition d’un stock d’engrais provoque l’une des plus grandes évacuations de populations en Europe. Près de 40 000 habitants sont déplacés en quelques heures, le 29 octobre 1987, pour échapper à un nuage toxique.
C’est le genre de scénario qu’on voit dans des films catastrophes. Pendant 10 heures, l’agglomération nantaise est passée à un cheveu du drame : menace d’explosion ou intoxication massive de la population.
Il est aux alentours de 9 h lorsque deux ouvriers repèrent de la fumée qui s’échappe d’un stock de 600 tonnes d’engrais NPK (abréviation des éléments chimiques azote, phosphore et potasse composant le fertilisant). Une première attaque à l’extincteur ne donne rien. Il semble que le feu soit profond et très fumigène. Les secours extérieurs sont donc vite prévenus. À mesure qu’ils évaluent la situation et font des reconnaissances, ils découvrent l’étendue de la zone concernée dans l’usine. Surtout, de nombreux matériaux combustibles sont très proches des engrais en feu. Dans le hangar, huit cellules de stockages recoupées par des parois en béton préfabriquées sont surplombées d’une bande transporteuse. Dans le compartiment en feu, un transformateur au pyralène. Dans les compartiments proches des produits phytosanitaires (du soufre), des palettes, des sacs et des fûts de fioul mais aussi 750 tonnes d’ammonitrates et 250 tonnes d’urée. Un cocktail explosif que les sapeurs-pompiers s’attachent à refroidir ou isoler avec leurs lances. Équipés d’appareils respiratoires isolants (ARI), ils se relaient indéfiniment. Un poste compresseur est même installé sur place pour recharger les bouteilles d’air.
Côté extinction, c’est marée basse et malgré la proximité de la Loire, il est difficile d’avoir assez d’eau. Un bateau-pompe est acheminé de Saint-Nazaire mais n’arrive que vers 21 h.
Confinement puis évacuation
Pendant ce temps-là, les relevés sous la fumée montrent une concentration inquiétante d’acide nitrique (supérieure à 50 ppm). Le vent balaie le panache de fumée qui forme un nuage de 10 km de long, 3 de large et de 250 m de hauteur vers l’embouchure du fleuve. Six communes, d’Indre à Le Pellerin, totalisant 73 000 habitants, se trouvent alors en danger. L’ordre de confinement est lancé via des haut-parleurs sur voiture et des communiqués des radios. Le nuage est passé de blanc à jaune. Dans quatre communes, le taux de toxicité maximal admissible pour l’acide nitrique (5 ppm) est relevé. Le risque d’explosion conduit alors à l’évacuation de la population dans un périmètre de 1 km autour de l’incendie avec des bus réquisitionnés et des camions militaires. En début d’après-midi, le plan Orsec est déclenché et l’évacuation générale ordonnée vers des communes situées au nord de la ville de Nantes.
Le foyer de l’incendie, s’il ne présente pas de flammes, continue d’alimenter le nuage. En effet, une croûte se forme et empêche les lances d’atteindre son cœur.
Ce n’est que vers 22 h que les premiers réfugiés peuvent regagner leurs domiciles. 20 heures après son commencement, soit vers 5 h du matin, le foyer initial est considéré comme éteint. Le bâtiment a peu souffert. Le plan Orsec est levé au matin, à 7h.
Les engrais sont stockés près de matériaux combustibles.
Quelques réactions étonnantes
Ce sinistre hors-norme a révélé des comportements atypiques voire surprenants. En mars 1988, René Dosne relatait dans nos colonnes le cas de cette imprimerie de Saint-Herblain restée sourde aux ordres d’évacuation du fait du bruit des machines ou celui de ce directeur de centre commercial refusant de répondre aux sapeurs-pompiers et exigeant un ordre officiel de fermeture.
Le mois suivant, toujours dans nos colonnes, René Dosne faisait le compte des facteurs défavorables et favorables de l’intervention : l’entreprise (qui existe toujours aujourd’hui) était en infraction, principalement du fait de la non-déclaration de substances chimiques. En revanche, la communication et les informations données aux sapeurs-pompiers par le chef d’établissement ont permis d’orienter les secours.
L’intervention est aussi celle d’une époque : on doit installer des fils PTT pour relier le poste de commandement avancé au poste fixe, on manque aussi de tubes réactifs pour mesurer les fumées. Ils arrivent par Air Inter depuis Strasbourg, 12 heures après leur demande.
Une « improvisation totale »
L’évacuation se déroule en deux temps : d’abord dans un rayon d’un kilomètre puis ensuite les communes concernées par le nuage. En effet, le confinement ne peut durer qu’un temps et au moment où l’évacuation est lancée, on ignore encore la durée du sinistre.
À l’occasion des vingt ans de la catastrophe, le quotidien Ouest-France était revenu sur la séquence : pas de panique, pas de scènes de pillage (contrairement au titre d’un quotidien parisien le lendemain), pas de blessé mais de « l’aveu de tous l’improvisation est totale » et Camille Guillemois de raconter ensuite la réaction des élus. « Jean-Marc Ayrault, alors maire de Saint-Herblain, intervient même à l’Assemblée nationale pour fustiger “les lobbies industriels qui font la loi sur le sujet”. D’autres accidents graves viendront rappeler la permanence des dangers industriels urbains comme l’explosion en 1992 d’un bac à essence sur la zone industrielle de la Loire et l’incendie de la société Frigécrème en 1998, laquelle entreposait de l’ammoniaque en plein cœur de Saint-Herblain. »
Derrière en fond, il y a aussi AZF, autre accident d’engrais et qui, celui-ci, se traduisit par la loi Bachelot de 2003.
David Kapp – Journaliste
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