Un train de bioéthanol déraille dans le Couloir de la chimie

1 juillet 201712 min

Le 13 mars 2017, un train en provenance de Dijon, constitué de vingt-deux wagons-citernes de bioéthanol, déraille à hauteur de la gare de triage de Sibelin, au sud de Lyon. Deux citernes se couchent sur le ballast, tandis qu’une troisième se perce sous l’impact, libérant une partie de son contenu inflammable.

Ceci est une légende Alt

C’est vers 4 h 15 le lundi 13 ma r s 2 017 qu’un conducteur appelle le poste de commandement et de régulation de Lyon. Alors qu’il progressait à faible vitesse sur une voie bordant la gare de triage, deux de ses wagons-citernes déraillent et se couchent, labourant le ballast et arrachant les rails sur des dizaines de mètres.

Dans le cadre de la procédure « incident de matière dangereuse » de la gare, un message sonore est lancé afin d’inviter les quelques agents à évacuer et à se regrouper au point de rassemblement prévu. La SNCF active son plan d’urgence interne (PUI).

Alertés à 4 h 17 par le poste de commandement (PC) de la SNCF de Lyon, les sapeurs-pompiers découvrent une situation complexe. Sur un convoi de vingt-deux wagons-citernes, les wagons 2 et 3 sont couchés, le 1 est debout mais fuit, le 4 est debout mais a déraillé sur sa moitié. Et tout cela au pied du pylône d’une ligne haute tension et à quelques dizaines de mètres de la ligne voyageurs TER Lyon-Marseille.

FI 534 Dessin 01 © René Dosne

L’organisation des secours se met en place

Très inflammable, le bioéthanol s’écoule dans le ballast par un trou de 45 mm environ situé en tête de la citerne. Plusieurs milliers de litres se sont déjà répandus. Devant le risque d’inflammation, un tapis de mousse est constitué via deux lances. Un périmètre de sécurité de 50 m de rayon est défini et la circulation des trains sur la ligne TER Lyon-Marseille est interrompue.

La ligne haute tension est coupée à 6 h 40. Elle entraîne l’interruption de courant vers l’entreprise Air Liquide qu’elle alimente, située à 300 m, entreprise qui détient un très important stock de bouteilles de gaz.

Le plan Orsec TMD (organisation de la réponse de sécurité civile pour le transport de matières dangereuses) est déclenché à 7 h 22. Élaboré sous l’autorité du préfet en coordination avec les partenaires concernés, il organise les secours en cas d’accident impliquant un moyen de transport de matières dangereuses.

La structure de commandement s’articule ainsi :

  • le poste de commandement opérationnel (PCO) est activé chez l’exploitant (SNCF Lyon);
  • le centre opérationnel départemental (COD) est activé en préfecture;
  • le PC de site sapeurs-pompiers, sur place, gère vingt-deux engins et près d’une soixantaine d’hommes du SDMIS (Service départemental métropolitain d’incendie et de secours) et coordonne les actions interservices.

Un officier sapeur-pompier assure la liaison entre le PC SNCF et le Centre opérationnel départemental incendie et secours (Codis). La fuite est colmatée par les sapeurs-pompiers au bout de 2 heures. On évalue entre 20 000 et 40 000 l la quantité de bioéthanol écoulé sur la voie.

Dépotage puis relevage des wagons-citernes

Le protocole Transaid[1] est activé. Deux opérations sont successivement préparées. Le dépotage des quatre wagons-citernes en cause et leur relevage. Au préalable, SNCF Réseau doit isoler le site en évacuant les wagons environnants. La tête du train (une motrice et un wagon) est désaccouplée et tractée vers le sud, alors que les quinze wagons constituant l’arrière du train sont eux aussi désaccouplés mais évacués vers le nord, avant 15 h.

Deux autres convois stationnés à proximité immédiate, formés de porte-voitures vides et de vingt wagons-citernes vides mais non dégazés, sont évacués.

Le tapis de mousse est entretenu par les sapeurs-pompiers. Deux fourgons-mousse de grande puissance sont en protection, tandis que l’éclairage de la zone est assuré.

Le wagon fuyard est le premier dépoté. Son contenu est transvasé à l’aide d’une pompe spécifique antidéflagrante par des équipes des sociétés Arkéma et Solvay, vers un wagon-citerne vide fourni par Fret SNCF. L’opération se termine vers 19 h. C’est ensuite au tour du premier wagon couché. L’intervention est plus difficile. Il faut approcher des vannes, vider la moitié de la citerne puis, à partir du trou d’homme supérieur, introduire un tuyau d’aspiration et pomper la seconde moitié (voir dessin page X). La manœuvre se termine vers 2 h du matin le mardi 14 mars. La même opération est répétée sur le deuxième wagon couché, qui sera vidé peu avant 4 h. C’est juste après que le plan Orsec TMD est levé par le préfet.

À 5 h, les quatre wagons supports du dépotage sont évacués. La SNCF met en place les moyens de relevage, dont une grue ferroviaire de 80 t au levage venue de Dijon.

Le dispositif de secours est levé après que les sapeurs-pompiers ont rempli de mousse les wagons vides.

[1] Transaid est un protocole d’aide aux services de secours en cas d’accident de TMD, mettant en œuvre les moyens matériels adaptés et d’expertise de l’industrie chimique.

FI 534 Dessin 02 © René Dosne

Risques chimique, incendie et environnemental

C’est ensuite SNCF Réseau qui intervient, en accord avec la Dreal, pour procéder à la dépollution du site. D’abord avec le raclage de la terre sur 100 m et 30 cm de profondeur. Puis par la pose d’un réseau périphérique de 15 piézomètres pour délimiter la surface polluée. Enfin, l’entreprise s’attache à la reconstruction de la voie sur une centaine de mètres. Les opérations de secours ont duré 24 heures, entraînant de grosses perturbations sur le trafic régional, mais sans incident.

L’accident survient dans un secteur dense. On y retrouve successivement, à l’ouest, bordant le Rhône, la raffinerie de Feyzin dont les premiers bacs sont à moins de 500 m, l’autoroute A7, un dépôt de bouteilles de gaz à la même distance et l’axe du trafic régional de voyageurs à 20 m. Les premières habitations sont à 150 m à l’est.

L’éventualité de l’embrasement de wagons de liquide très inflammable dans cet environnement justifie pleinement l’application des plans élaborés par les services publics et privés, qui ont bien fonctionné.

L’origine de l’accident est soumise à enquête. Si deux rails sont sectionnés, on ne sait pas encore s’ils sont à l’origine du déraillement ou sa conséquence. Le convoi circulait à une vingtaine de kilomètres/heure (la vitesse autorisée est de 30 km/h). Aucune fuite au niveau des trous d’homme des deux wagons couchés n’est observée.

Pour les secours, c’est le volet incendie qui est immédiatement pris en compte, l’inflammation des vapeurs de bioéthanol est toujours possible. C’est ainsi qu’un groupe incendie, un groupe risque chimique et un groupe liquides inflammables, soutenus par un groupe sanitaire, sont engagés. Deux lances à mousse constituent un tapis écartant tout risque durant les opérations de colmatage, de dépotage et de relevage. Le volet risque chimique et pollution est lui aussi pris en compte.

La cellule mobile d’intervention chimique (CMIC) est engagée et des relevés d’explosimétrie réalisés. La température extérieure est inférieure au point éclair du produit (12 °C).

Le colmatage de la fuite, réalisé au moyen de pinoches de bois, est effectué au bout de 2 heures par des sapeurs-pompiers sous ARI (appareils respiratoires isolants) et combinaisons. Conjointement, des captages agricoles et particuliers sont identifiés. L’Agence régionale de santé (ARS), alertée par la Dreal et la police de l’eau, informe les communes impactées. Aucun incident n’est relevé.

Coupure de la ligne haute tension et de l’ensemble des trafics ferroviaires

La coupure puis la mise à la terre de la ligne haute tension passant au-dessus du wagon fuyard durant les opérations entraîne l’arrêt d’alimentation de la société Air Liquide. RTE fournira à l’entreprise une alimentation de secours jusqu’au jeudi 16 mars à 9 h.

L’impact sur le trafic voyageurs régional est important. La ligne TER Lyon-Marseille qui longe la zone d’intervention est coupée 24 heures. Même s’il existe un maillage du réseau permettant un délestage sur d’autres lignes, ces dernières supportent déjà leur trafic habituel et ne peuvent intégrer que quelques trains supplémentaires. Une vingtaine de bus assurent des rotations sur le trajet Lyon/ Saint-Étienne, lui aussi coupé, et trois seulement sur le trajet Lyon/ Valence, très perturbé. Des messages en gare conseillent aux usagers de différer leur déplacement.

De nombreux acteurs impliqués

À la SNCF, aux sapeurs-pompiers et aux forces de l’ordre vont s’ajouter la Dreal, l’ARS et la police de l’eau pour la composante « pollution », les mairies des communes dont les administrés sont susceptibles de disposer de points de captage, Enedis (ex ErDF) pour la coupure de la ligne haute tension et l’approvisionnement par un moyen temporaire de l’entreprise impactée, des spécialistes de l’industrie chimique (Solvay et Arkéma) via le réseau Transaid, SNCF Réseau pour la fourniture d’une grue spécialisée, Fret SNCF pour la fourniture de wagons vides, etc.

Une telle imbrication de services aux cultures différentes ne peut fonctionner que grâce à des plans élaborés et testés et d’une structure de commandement solide. Ce fut le cas.

Le déclenchement du plan Orsec TMD par le préfet s’est imposé par la durée de l’intervention (24 heures), son impact sur le trafic ferroviaire et la nécessité de coordonner plusieurs acteurs publics et privés.

Transport de marchandises dangereuses : prévoir l’imprévisible

Ici encore s’illustre la spécificité du risque présenté par le transport de matières dangereuses sous toutes ses formes, ferroviaire, routier, fluvial et même aérien (cf. le crash d’un 747 cargo sur Amsterdam en 1992 avec des pathologies observées a posteriori sur les sauveteurs engagés).

Il est susceptible de survenir en tout lieu, hors du cadre industriel dans lequel il est domestiqué, et les cas développés dans Face au Risque depuis plus de 30 ans l’illustrent (lire l’encadré « Les précédents » ci-dessous).

Tous ces exemples que l’on n’oserait pas proposer comme thème d’exercice sous peine d’être taxé de catastrophisme excessif, grief souvent reproché aux sapeurs-pompiers, sont pourtant survenus. Ils ne doivent bien sûr pas occulter les centaines de cas où, miraculeusement, malgré un faisceau de circonstances défavorables, rien ne s’est produit…

Concernant les marchandises dangereuses, il faut alors prévoir l’imprévisible, autant que faire se peut, en tout lieu des axes de transport. Par l’ampleur multiforme que peuvent prendre ces interventions (incendie, explosion, nuage toxique, pollution aquatique ou des sols), la préparation par l’entraînement interservices sur des cas où la réalité peut toujours dépasser la fiction est la réponse. Nous l’avons vu ici.

Dans ce « Couloir de la chimie » où le risque est très présent, la récurrence d’exercices mêlant tous les acteurs permet aux responsables de se connaître en situation, gage de réussite lorsque l’accident survient.

La gare de triage de Sibelin, se situe entre Solaize et Feyzin, à 6 km au sud de l’agglomération lyonnaise. Étendant ses faisceaux de voies sur plus de 3 km, elle permet de constituer plus d’une quinzaine de trains de marchandises par jour.

Grâce à un profil incliné, les wagons sont dirigés par gravité vers les convois en formation auxquels ils doivent être raccordés. Gérés par ordinateur, les déplacements sont régulés grâce à des freins de voies, à une vitesse moyenne de 5 km/h. Conjointement, la gare de triage accueille quotidiennement une douzaine de trains de marchandises en relais, dont il faut relever le conducteur et changer la motrice en cours de trajet.

Le train concerné dans l’accident est constitué de 22 wagons-citernes de 60 000 l, d’un poids à vide de 25 t et de 65 t environ plein. Chaque wagon comporte 2 doubles essieux. Le convoi est tracté par une machine électrique.

Dans le cadre du plan d’urgence interne (PUI) de la gare, un système de sonorisation de la zone permet de dispenser des consignes d’évacuation en cas d’incident. Des poteaux d’incendie sont implantés sur le site. La gare est connue des sapeurs-pompiers, tant par les exercices qui s’y déroulent que par les interventions mineures qui s’y produisent.

Les sapeurs-pompiers sont également formés aux différents types de produit et connaissent les risques et les moyens de les limiter ou de les supprimer.

Plusieurs sinistres impliquant le transport de matières dangereuses par voie ferroviaire ont été relatés dans nos colonnes.

  • Ce sont d’abord les déraillements de trains d’hydrocarbures de Chavanay et de La Voulte, qui ont porté le feu en pleine agglomération (Face au Risque n° 272, avril 1991 et n° 294, juin 1993).
  • C’est aussi le déraillement d’un train de produits chimiques inflammables en plein cœur d’Aix-les-Bains qui a figé l’activité de la ville une journée, le temps des délicates opérations de colmatage et de relevage (Face au Risque n° 283, mai 1992).
  • En Avignon, l’avarie d’un wagon de produit toxique sur une aire de maintenance a interdit toute activité dans un large périmètre durant le relevage, programmé un dimanche pour amoindrir les conséquences économiques (Face au Risque n° 317, novembre 1995).
  • Près de Saint Galmier, un train d’acide nitrique a déraillé et entraîné la dispersion d’un nuage toxique, teintant de roux les champs environnants (Face au Risque n° 363, mai 2000).
  • La catastrophique fuite de gaz liquéfié sur un train déraillé en gare de Viareggio (Italie) s’est embrasée, ravageant une rue commerçante de la ville, tuant 24 riverains (Face au Risque n° 460, février 2010).
  • Enfin, en Belgique, un train de produits chimiques a déraillé et pris feu à l’entrée de la commune de Wetteren. Un habitant est tué par les vapeurs emplissant les égouts, et 49 autres ont été intoxiqués (Face au Risque n° 496, octobre 2013).

Partagez cet article !

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

Les plus lus…

Inscrivez-vous
à notre
newsletter

Recevez toutes les actualités et informations sûreté, incendie et sécurité toutes les semaines.