Incendie dans le tunnel en chantier de l’autoroute A86

1 juin 200210 min

Le 5 mars 2002, un incendie se déclare sur un engin de transport dans le tunnel, en cours de forage, de la future autoroute de contournement de Paris, A86, à Rueil-Malmaison (92). Il va retenir prisonniers, pendant plus de 5 heures, 19 ouvriers travaillant sur le chantier.

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L’élaboration de quatre scenarii de feu a facilité la conduite de l’intervention

En ce début de nuit, vers 22 h 30, alors que seule l’équipe affectée au fonctionnement du tunnelier est présente (rythme des 3 x 8), un « train » de forage, constitué de deux tracteurs et de 6 remorques, dont quatre portent chacune 2 voussoirs de 10 tonnes, circule en direction du tunnelier. Il vient de par courir près de 1 400 m lorsqu’une alarme de surchauffe retentit. L’engin stoppe : des flammes s’élèvent au niveau du moteur.

Le dispositif d’extinction fixe à poudre, constitué de deux extincteurs de 9 kg relié à 4 buses encadrant le moteur, fonctionne, mais ne parvient pas à juguler le feu pour une raison encore indéterminée. Le conducteur, puis d’autres travailleurs, témoins du sinistre, tentent de lutter contre le feu grâce aux nombreux extincteurs répartis sur le chantier. En vain.

Les fumées coupent en deux déjà le long boyau de 2 km. 19 ouvriers refluent vers le fond du tunnel, 400 m de course avant de grimper dans le tunnelier, dévaler ses coursives sur 200 m, grimper ses échelles pour atteindre d’abord la cabine de pilotage, puis l’un des deux sas isolant l’arrière du tunnel de la zone de forage. Ils s’y s’engouffrent, verrouillent la lourde porte et attendent dans la quasi-obscurité. La ligne téléphonique, détruite au niveau de l’incendie, ne leur permet pas de communiquer avec l’extérieur.

Une vingtaine de personnes bloquées au fond du tunnel

Les sapeurs-pompiers, alertés à 22h48, dépêchent sur les lieux une première vague de véhicules, dont une équipe du GREP (Groupement de recherche et d’exploration profonde), renforcée de deux équipes de la même spécialité venues des Yvelines. Les premiers secours qui se présentent trouvent un tunnel complètement enfumé, la ventilation ayant été stoppée par destruction des câbles électriques.

À 23h56, un message fait état de 15 à 20 personnes bloquées au fond du tunnel.

FI 384 Incendie tunnel A86 Dessin ©René Dosne

Trente minutes plus tard, deux ventilateurs grand débit (VGD) et une réserve d’ARI (appareils respiratoires isolants) à circuit ouvert et fermé sont dirigés sur place. L’intervention s’annonce longue et difficile. Alors que les techniciens du chantier tentent de remettre en service la ventilation, un troisième VGD est dépêché de Versailles. Une première équipe d’investigation atteint bientôt le point 640 m.

Peu après 1h00, grâce à la ventilation partiellement rétablie, une deuxième reconnaissance peut être tentée par véhicule sur 1400 m, là où s’arrête la dalle et où siège le feu. Il faut alors franchir la zone et poursuivre à pied, sur 600 m, dans le noir et la fumée, pour parvenir jusqu’aux «naufragés du tunnel». Deux sapeurs-pompiers seront sérieusement intoxiqués dans ces opérations d’approche. Depuis le début de l’intervention, aucun contact n’a pu être établi avec les ouvriers.

A 3h35, une équipe de reconnaissance atteint enfin le tunnelier et le contact est établi avec les 19 ouvriers. Le sauvetage sera long. Le feu qui intéressait le tracteur et quelques dizaines de mètres carrés de coffrage de bois est éteint et, à 4h45, un message indique que l’évacuation des ouvriers a débuté. Chacun sera équipé d’un ARI et pris en charge par un sapeur-pompier qui le guidera sur plus de 600 m jusqu’au point de regroupement des véhicules d’évacuation, à 1200 m environ de la sortie.

Ils seront ensuite conduits au point de regroupement des victimes activé 700 m plus loin dans les constructions du chantier. Peu après 6h, l’ensemble des ouvriers est évacué, puis dirigé en milieu hospitalier. L’incendie d’une section de la bande convoyeuse mobilisera encore toute une partie de l’après-midi le dispositif de secours allégé resté sur place. L’intervention sera officiellement terminée le vendredi 8 mars.

Bilan : 54 intoxiqués, dont 31 sapeurs-pompiers de la BSPP et des Yvelines, 23 civils.

Dans ce feu de tunnel en cours de percement, l’action des secours s’avère compliquée. L’incendie survient à l’endroit le plus défavorable, le convoi étant enserré dans un environnement de contreplaqué et d’acier, presque inaccessible.

L’incendie gagne la réserve de gas-oil…

L’étroite configuration des lieux ne permet pas une approche aisée du foyer et l’action des extincteurs se révèle inopérante. L’incendie s’étend et gagne la réserve de gas-oil de 800l de l’engin de tête. Toutes les caractéristiques d’un feu en milieu confiné sont alors observées. La situation est aggravée par l’interruption momentanée de la ventilation, lorsque l’installation électrique de 20000 volts disjoncte.

Après avoir vainement tenté de lutter contre le feu, les ouvriers – 7 d’entre eux sont équipiers de première intervention – ont vraisemblablement été sauvés par leur bonne connaissance des équipements, des moyens de secours, des zones-refuges du tunnelier. Ils avaient même conservé deux masques auto-sauveteurs pour le cas où ils auraient dû sortir du sas pour connecter une réserve de bouteilles d’air à leur refuge.

Pour les sapeurs-pompiers, le sauvetage des ouvriers passe au préalable par l’extinction de la zone de feu, son franchissement et son désenfumage, toujours difficile à gérer dans ce type d’ouvrage. L’inaccessibilité du tunnel aux véhicules au-delà de 1300 m constitue une grosse difficulté. Le reste du chemin sera parcouru à pied. La progression des équipes d’investigation s’avère difficile : 400 m d’un étroit trottoir hérissé d’obstacles, puis le dédale d’installations du tunnelier sur 200 m, alors que l’on ne voit pas plus loin que le bout de ses doigts.

La ventilation d’un tunnel terminé s’opère naturellement selon un tirage instauré depuis l’une de ses extrémités. C’est plus compliqué dans un tunnel en cours de percement où il n’existe qu’une seule extrémité par laquelle doivent passer air frais et air vicié. Ici, une grosse gaine reliée à un ventilateur parcourt l’ensemble du tunnel dans sa partie haute, alors que le retour s’effectue sous la dalle de circulation. La gaine souple, détruite au niveau du feu, a sans doute contribué à son activation, avant l’arrêt du système, puis lors de sa remise en marche. Par ailleurs, le courant d’extraction instauré dans la zone sous dalle plaçait l’ensemble du convoi dans une veine de gaz chauds.

Les dommages sont importants : 150 m de voûte en béton sont attaqués sur une épaisseur de 30 mm environ, avec apparition des fers en de nombreux endroits. Fort heureusement, le bon comportement des ouvriers, leur formation, la connaissance des lieux par les pompiers et la bonne coordination entre responsables du site et des secours a limité le bilan à des dommages matériels. Quatre scénarios d’incendie avaient été élaborés. Si aucun d’entre eux ne couvrait exactement ce cas de figure, le «tronc commun» de chacun d’eux a sans aucun doute facilité la conduite de l’intervention et son heureux dénouement.

Les feux de tunnels routiers ou ferroviaires ont fait la une de l’actualité ces dernières années, du tunnel sous la Manche, à celui du Mont-Blanc, en passant par le Tauern, puis le Saint-Gothard. Chacun présentait un «scénario» d’incendie différent. Seul dénominateur commun, les nombreuses victimes (sauf pour Eurotunnel), le plus souvent à cause des fumées, celles-là mêmes qui paralysent dans un premier temps l’action des secours et entraînent le développement du feu.

Vis-à-vis d’un feu de chantier, le seul précédent récent est survenu lors du percement du réseau de transport en commun Eole, près de la Gare du Nord, en février 1994. Là aussi, un tunnelier occupait une extrémité de la cavité. Là aussi, l’incendie a stoppé la ventilation, mais, différence de taille, tout un réseau de galeries permettait l’instauration d’un tirage et offrait deux sens d’approche pour les sauveteurs.

Les moyens de secours couvrent l’alerte, l’évacuation et la défense contre l’incendie du tunnel et du tunnelier. Dans le tunnel, tous les 200 m, on trouve un «sas pompiers» permettant de passer de la dalle basse à la galerie inférieure. Il est équipé de deux prises d’incendie de 70mm, alimentées par un réseau surpressé de 200m³/h, lui-même alimenté par une réserve de 500m³ réalimentable. Les travailleurs disposent en outre d’extincteurs et de téléphones. Des gyrophares sont installés pour le signal d’évacuation.

Le tunnelier, composé de 8 éléments de 25 m (200m donc), est équipé de détecteurs de fumée disposés sur les remorques (2) et sur des équipements spécifiques tels que les armoires électriques, transformateurs… Sont installés des dispositifs d’extinction automatique à poudre (sur les conteneurs hydrauliques) et deux RIA par remorque, en plus des extincteurs adaptés aux classes de feux. De Plus, pour limiter l’enfumage du tunnel en cas d’incendie sur le tunnelier, un rideau d’eau a été prévu à l’extrémité du tunnelier. Enfin, les stockages de gaz comprimé sur le tunnelier sont équipés de diffuseurs d’eau à déclenchement automatique.

La protection respiratoire des ouvriers est assurée par des masques «auto-sauveteurs» d’une autonomie de 20 minutes à 1 heure suivant l’activité du porteur. On en trouve 20 sur le tunnelier, 20 au chantier du coffrage et 6 par sas pompier. Enfin, deux modules pompiers (un pouvant être chargé sur un engin de chantier et l’autre sur le tunnelier) contiennent le matériel nécessaire à l’établissement de lances à eau et à mousse.

La sécurité incendie, très présente sur le chantier, est placée sous l’autorité d’un animateur sécurité. Il existe par ailleurs un directeur-prévention tunnel. les ouvriers travaillant dans le tunnel reçoivent un entraînement de base (évacuation, plan de secours, emploi du masque auto-sauveteur, connaissance d’un livret d’accueil). Une quarantaine d’entre eux sont équipiers de 1re intervention. Les personnels des entreprises sous-traitantes n’interviennent pas dans le tunnel, sauf exception. Ils reçoivent alors la formation de base.

Un plan de secours incluant plusieurs scénarios a été élaboré en étroite liaison avec la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le Service Départemental d’Incendie des Yvelines et la Socatop.

L’ensemble du site et de ses équipements est bien connu des sapeurs-pompiers qui y effectuent des exercices réguliers. Le prochain devait avoir lieu le 27 mars 2002.

Le tunnel en cause, situé à Rueil-Malmaison (92), en bordure de 10 Nationale 13, va permettre le bouclage de la A86, deuxième contournement de la capitale après le périphérique. Il représente le plus gros chantier d’Europe en travaux souterrains.

L’ouvrage concerné est en cours de percement, 2 000 m environ ont été réalisés sur près de 10 km prévus. Un tunnelier de 200 m de long creuse un sol calcaire ou sablonneux à la vitesse moyenne de 20 rn/jour. 400 m derrière, un coffrage mobile permet de couler la structure qui supportera les dalles constituant la chaussée basse. En effet, ce tunnel de 10m40 de diamètre comportera deux niveaux superposés de circulation pour véhicules de tourisme.

Au moment du sinistre, 1 400 m de dalles bosses sont accessibles aux véhicules. Tous les 200 m, une trappe permet de rejoindre la galerie sous dalle, qui servira ultérieurement à la circulation air frais/air vicié. Une bande transporteuse fixée sur le Ranc gauche de la voûte évacue les déblais déversés dans des barges. Une circulation d’engins sur pneus sous la dalle transporte ouvriers, matériel et voussoirs (éléments préfabriqués de béton armé de 10 t constituant la voûte). Une gaine souple de forte section reliée à une centrale extérieure assure la ventilation mécanique du tunnel.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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