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Tianjin, la démesure
Le 12 août 2015, en fin de soirée, deux gigantesques explosions illuminent le port de Tianjin, en Chine, fauchant la centaine de pompiers qui luttaient contre un feu d’entrepôt de produits chimiques, et entraînant de gros dommages dans un rayon de plusieurs kilomètres. 173 morts, plus de 700 blessés seront dénombrés.
Il est un peu plus de 23 h, le mercredi 12 août 2015, près de Tianjin (Chine) lorsque les premiers engins de secours se présentent sur les lieux. Un violent incendie fait rage dans un entrepôt de 3 000 m² à simple rez-de-chaussée, contenant 2 400 t de produits chimiques dont, selon la police, du carbure de calcium (produisant de l’acétylène au contact de l’eau), 700 t de cyanure de sodium et du nitrate de potassium.
L’importance du feu entraîne la convergence, en quelques dizaines de minutes, d’une cinquantaine d’engins de lutte. Le dispositif se déploie en périphérie, à partir des deux larges avenues sud et est et au milieu des stocks de conteneurs sur les faces ouest et nord. L’attaque s’opère au moyen de lances, mais également de puissantes lances-canons dont la plupart des gros engins-pompes sont dotés. L’emploi de ces dernières semble indiquer alors que la toiture du bâtiment est effondrée. Les engins sont alimentés sur bouches d’incendie ou tonne (10 à 12 000 l).
Deux énormes explosions successives
À 23 h 34, alors qu’une centaine de pompiers est engagée, une première explosion pulvérise le hangar, générant une énorme boule de feu qui s’étale alentour avant d’être propulsée vers le ciel… Pour les survivants, c’est la débandade lorsque, 30 secondes plus tard, une seconde explosion, beaucoup plus puissante, génère une colonne de flammes frisant les 300 m de haut. Une pluie de débris… et de conteneurs déformés s’abat à des centaines de mètres alentour, créant de nouveaux foyers. L’onde de choc effeuille les bâtiments et entrepôts les plus proches, emportant dans son souffle les bardages et façades, ne laissant que leur squelette de béton ou d’acier, parfois rien.
Les façades des premiers IGH d’habitation qui se dressent à 500 m de l’épicentre prennent le souffle de plein fouet, pulvérisant baies vitrées et cloisons sur des dizaines d’étages. À cette heure, les appartements sont à leur occupation maximum et la nuée de projectiles traversant les appartements entraîne de nombreux blessés.
Sur la voie rapide surplombant la zone, la circulation s’est figée. Débris, terre et même conteneurs sont retombés au milieu des voitures et camions qui finissent leur course comme ils le peuvent. Les habitants et rescapés emplissent les rues, à la rencontre des nombreux secours qui vont maintenant investir la zone de la catastrophe. Toute la nuit, les secours vont dresser des structures d’accueil des blessés, organiser des norias vers les établissements hospitaliers et tenter de réinvestir la zone de dix hectares où se développent de nombreux incendies au cœur d’amoncellements de conteneurs démantelés, dont les contenus ne sont pas identifiés.
Reprises de feux et explosions pendant 9 jours
Avec le jour apparaît l’ampleur de la catastrophe : une aire de plus d’un kilomètre de diamètre ravagée, d’où s’élèvent des panaches colorés à la toxicité inconnue, heureusement poussés vers la mer.
L’extinction des incendies, la recherche de victimes, l’identification des produits concernés et le confinement de la zone vont s’engager grâce à 1 000 pompiers renforcés de centaines de militaires spécialistes NRBC. Des explosions sporadiques, des reprises de feux au cœur des montagnes de conteneurs se produisent jusqu’au 21 août, neuf jours après le début de l’incendie. Le terrible bilan (officiel) de 173 morts, dont 104 sapeurs-pompiers, ne vient qu’un mois plus tard.
L’évaluation de la pollution est malaisée, des traces de cyanure de sodium, dont on estime à 700 t la quantité sur le site, sont relevées dans un rayon de 3 km, où la population est momentanément évacuée.
Près de l’épicentre des explosions, la présence de cyanure est 20 fois supérieure aux normes « admises comme sûres ». Face aux énormes quantités d’eau déversées, des murets sont élevés autour d’une zone de 10 ha, afin d’y retenir les eaux d’extinction, treize égouts sont colmatés afin d’empêcher les rejets en mer.
Dès le mardi 18 août, les pluies qui s’abattent sur le site précipitent encore la pollution ambiante. Le traitement de dizaines de milliers de tonnes d’eau contaminées emplissant le cratère est préparé. Un réseau de contrôle de l’air de 18 points, permettant une alerte rapide des habitants en cas de dépassement des seuils limite de cyanure ou autres produits dangereux est instauré.
Citernes de gaz empilées
C’est, depuis la perte de 343 pompiers new-yorkais lors des attentats du 11 septembre 2001, le plus lourd tribut payé par un corps de sapeurs-pompiers. Comme ailleurs, on lutte a priori contre les feux d’entrepôts à l’eau, en l’absence d’informations spécifiques sur leur contenu. Ici, des informations, ils n’en ont pas, et la violence du feu de hangar, au toit effondré, impose cette première action massive. Le conditionnement des produits, des sacs ou fûts sans doute dégradés par le feu, permet à l’eau d’extinction de les atteindre et provoquer les réactions chimiques entraînant la production de gaz explosifs et inflammables (carbure de calcium = acétylène, et cyanure de sodium = cyanure d’hydrogène).
La première explosion, mesurée à 2,3 sur l’échelle de Richter, est inévitable. Elle pulvérise l’entrepôt et ses abords, produisant une onde à l’effet mécanique et thermique sur les produits alentour telle qu’elle provoque, 30 secondes plus tard, la seconde explosion mesurée à 2,9 sur l’échelle de Richter. Cette seconde explosion est localisée à 90 m environ de l’entrepôt, au niveau de stockages extérieurs de conteneurs, et notamment de dizaines de citernes de gaz liquéfié empilées. Elle entraîne un cratère de 80 m de rayon !
Dix-sept mille appartements seraient impactés à divers degrés. Une dizaine de bâtiments, dont quatre immeubles de bureaux R+4 sont détruits. Les îlots de conteneurs, gerbés sur parfois près de 20 m, sont bousculés comme des dominos dans un rayon de 400 m, près de 10 000 voitures neuves sont détruites.
Des dégâts considérables
On évalue à 1,5 milliard de dollars le coût de la catastrophe. La première vague de secours fauchée (plus de 100 hommes, une cinquantaine d’engins), un nouveau dispositif est à restructurer. Les voies d’accès sont impraticables sur plusieurs hectares, le réseau d’incendie est hors-service, des milliers d’habitants se répandent dans les rues… 10 000 personnels médicaux vont être engagés dans une dizaine d’hôpitaux pour recevoir les centaines de blessés, brûlés, « blastés », touchés par des projectiles.
Un long travail de reconnaissance des bâtiments est à organiser (des occupants blessés peuvent s’y trouver). Mille pompiers sont progressivement engagés. Des dizaines de pelles mécaniques entrent en action pour créer des axes de pénétration permettant aux puissants engins de lutte de progresser, dès le jour levé, vers les foyers épars s’élevant des tas de conteneurs.
- Une aire de plus d’un kilomètre de diamètre est ravagée. Des tours d’habitations, à 500 m de l’épicentre, prennent le souffle de plein fouet, pulvérisant baies vitrées et cloisons sur des dizaines d’étages. Les pompiers paient le plus lourd tribut depuis le 11 Septembre.
- L’accident de Tianjin coûtera à la compagnie indienne Tata Motors 379 M$ pour 5 800 véhicules détruits, tous fabriqués pour le groupe Jaguar Land Rover.
Réglementation et… corruption
Des mélanges de produits chimiques s’opèrent dans ces montagnes de conteneurs éventrés dont on ne connaît pas toujours le contenu. Plus de 200 militaires spécialistes NRBC prennent ce volet de l’intervention en compte.
Quelques jours plus tard, les pluies provoqueront l’apparition, sur les trottoirs de Tianjin (à 30 km), d’une mousse blanchâtre… Même si des irritations cutanées sont observées, les autorités, non sans avoir recommandé le confinement, relativiseront l’importance du phénomène.
Nous ne sommes pas ici, comme dans de précédents cas, en présence d’un site industriel « rattrapé » par la ville. Ce programme mis en service en 2009 comprend un ensemble urbanistique cohérent d’habitations, de bureaux, d’entreprises, d’industries.
Une large plage de 500 m occupée au stationnement de milliers de véhicules neufs sépare les zones industrielles des zones résidentielles. La réglementation chinoise ne permet par l’implantation d’entrepôts « à risques » à moins de 1 000 m des habitations. La cohabitation industries/habitat aurait donc été cohérente si l’une des sociétés n’avait eu comme raison sociale le stockage et le transport de matières dangereuses, activité n’ayant pu s’établir selon les médias locaux qu’avec la compromission d’autorités… Aujourd’hui, une vingtaine de ses dirigeants est incarcérée.
C’est un parc d’agrément d’une vingtaine d’hectares qui devrait voir le jour prochainement. Pas besoin de reboucher le cratère : il deviendra un plan d’eau paysager !
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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