L’incendie de la bourse de Copenhague

20 septembre 202413 min

Une flèche séculaire avalée par les flammes bascule dans un amas d’échafaudages tordus devant la foule rassemblée… C’était à Copenhague, le 16 avril 2024. Comme un air de tristement déjà vu.

Ceci est une légende Alt

Il est 7 h 36 le 16 avril 2024 lorsque les sapeurs-pompiers sont alertés par le report de détection de la Bourse de Copenhague (Danemark). Avant 8 h, un premier détachement de véhicules de secours, engins-pompes et échelle aérienne, se présente, alors qu’une épaisse fumée s’élève au niveau de la base de la flèche, à demi enserrée dans un échafaudage tubulaire recouvert de toile plastifiée.

Le feu est immédiatement très fumigène. Des renforts sont demandés. L’enveloppe de l’échafaudage n’a pas encore totalement percé et d’épaisses volutes filtrent par tous les interstices. Une lueur est visible au niveau de la base de la flèche. Alors que le premier dispositif de lutte est établi, la sauvegarde des œuvres est conjointement engagée. Le cœur du brasier se trouve au milieu du long bâtiment, là où des flammes s’élèvent maintenant. Ce sont donc deux moitiés de 65 m de long chacune, de part et d’autre de la flèche, qui sont menacées.

Bientôt, la flèche s’embrase. Vers 8 h 30, elle s’abat latéralement au bâtiment, arrachant au passage des échafaudages de façade et, dans un grondement, chute sur la chaussée, entre engins et sauveteurs… Heureusement, personne n’est blessé. Soumis au violent foyer généré par la flèche et sa base de bois, l’échafaudage central s’écroule dans les flammes, tandis que le feu s’étend sous la toiture de cuivre récemment refaite.

À 9 h 05, un haut bâtiment se dressant à 15 m de la Bourse est évacué.

Sur les deux faces latérales de l’édifice, des échelles aériennes sont développées et tentent d’atteindre ce feu en mouvement, dès lors que, par endroits, il perce la toile. Il se développe préférentiellement sur la moitié ouest.

Les sapeurs-pompiers attaquant le feu au rez-de-chaussée (RDC) par de nombreuses portes latérales, tout comme ceux œuvrant sur la grande salle, sont dans une position inconfortable : le feu est au-dessus d’eux, encore contenu par la toiture de cuivre qui agit comme un couvercle. En revanche, la situation est plus « claire » près de la base de la flèche effondrée, sa chute ayant créé un exutoire.

Dessin 1 FI Copenhague © René Dosne

Évacuation des œuvres et maîtrise du feu

Le feu se propage vers la moitié ouest de l’édifice. D’autres échelles se dressent pour le combattre. Une sorte de ligne d’arrêt est établie au RDC et au 1er niveau pour sauver la moitié de l’édifice encore intacte. Une centaine de sapeurs-pompiers vont y parvenir au prix de plusieurs heures d’effort. Conjointement, vers 9 h 30, des badauds, 90 « sauveteurs royaux », puis l’armée danoise poursuivent l’évacuation des œuvres dans les parties encore épargnées. À 12 h 30, plus de 400 œuvres d’art et objets de valeur ont été extraits et transportés sous escorte policière vers l’entrepôt haute sécurité du Musée national à Vinge.

Ce n’est qu’en milieu d’après-midi, vers 16 h 15, que le commandant des opérations de secours considérera le feu comme maîtrisé. Il évalue à 24 heures la durée des opérations de surveillance contre les reprises de feu. Il ne reste alors que des façades à pignons ouvragés debout, émergeant du fouillis d’échafaudages effondrés et de feuilles de cuivre tordues.

Toute la nuit, les équipes combattent les multiples foyers ensevelis sous les décombres, dans un environnement d’une grande instabilité.

Dessin 2 FI Copenhague © René Dosne

Des effondrements 2 jours plus tard

Le 17 avril, les 8 frontons en pierre et brique et la façade monumentale, qui ne sont plus tenus par la charpente calcinée, se dressent en équilibre… Il est décidé de les stabiliser en constituant des plots faits d’empilements de conteneurs maritimes lestés, reliés aux murs par des étais. Une opération complexe et délicate.

Le 18 avril, les opérations de stabilisation par empilement de conteneurs se poursuivent toute la journée mais, vers 17 h, la façade bordant le canal s’effondre dans un grondement, ainsi que les trois quarts du fronton principal. Il ne subsiste maintenant qu’au niveau bas les fondations sur la moitié du bâtiment, soit environ 60 m de long.

C’est une surface au sol de 1 200 m² qui a disparu. La 2e moitié, préservée, est tout de même impactée par des débuts de propagation, la fumée et le ruissellement des eaux d’extinction. Les sapeurs-pompiers restent encore 24 heures sur les lieux, alors que de hautes grues prennent place pour s’attaquer au démantèlement des ruines.

Les dégâts sont immenses au niveau bâtimentaire. L’essentiel des œuvres a été sauvé, l’incendie sévissant dans un premier temps dans les parties hautes du bâtiment et permettant d’en extraire l’essentiel. Une moitié du bâtiment est en ruine, la majorité des façades de la moitié incendiée est effondrée, le reste est fortement fragilisé.

La toiture de cuivre, récemment refaite, a disparu sur la moitié du bâtiment, tout comme la charpente et le solivage.

Les travaux dans les monuments historiques

Il est vain de répéter que les monuments historiques sont plus vulnérables au feu en période de travaux de rénovation ou de restructuration. Déjà difficiles à mettre aux normes, au regard de la dualité existant entre préservation historique des lieux et mise en place de dispositions préventives devant rester discrètes (compartimentage, détection, désenfumage, moyens de secours…), ces édifices anciens abritent des œuvres au-dessus desquelles plane une véritable épée de Damoclès : les combles et leurs charpentes de bois sec. Un considérable potentiel calorifique ! Ces édifices anciens sont plus vulnérables par leur mode de construction, la présence de vides entre planchers, de plafonds de bois à caissons, de conduits de ventilation parfois désaffectés au gré des restructurations, de cheminées, d’une présence massive de bois en toiture, et la difficulté, voire l’impossibilité, à disposer des exutoires.

En période de travaux, comme ici où l’on refait une toiture en cuivre, les travaux par point chaud sont nombreux, les compartimentages n’existent plus (passages de câbles au sol, portes bloquées ou démontées), des liquides inflammables et des stockages de bouteilles de gaz existent (plusieurs explosions ont été entendues durant le sinistre). Et comme on le voit souvent maintenant, le bâtiment est « emballé » dans une boîte de toile recouvrant l’échafaudage et servant de support publicitaire.

Pour les sapeurs-pompiers, le problème est double : difficulté à atteindre le feu avant que la toile ne soit détruite, et nécessité d’un périmètre de sécurité prenant en compte l’éventuelle chute des échafaudages vers l’extérieur. Heureusement, on constate que, dans la majorité des cas, ils se referment sur le brasier.

Quels que soient les pays, l’essentiel du patrimoine artistique est donc regroupé dans des édifices historiques, difficiles à protéger du feu, et dont la résistance à un incendie est problématique.

L’incendie éclatant ou gagnant rapidement les combles, s’y étend horizontalement, sans exutoires ni recoupements, avant de retomber vers les étages inférieurs et mettant en péril les œuvres exposées.

Les difficultés rencontrées pour combattre l’incendie

Pour les sapeurs-pompiers, deux obstacles majeurs à la maîtrise du feu : le « couvercle » de cuivre recouvrant la charpente en feu, et l’échafaudage entoilé qui crée un écran supplémentaire. Lorsqu’il se détruit par endroits, le feu a déjà occupé la moitié du bâtiment.

L’échafaudage, qui s’élève à une quinzaine de mètres, atteint 25 m environ autour de la flèche qui elle se dresse à 54 m.

Le brasier étant très violent au centre du bâtiment, la partie surélevée de l’échafaudage va rapidement s’écrouler, heureusement sur elle-même. Le feu est d’emblée compliqué à combattre. Au-dessus, la toiture encore en place empêche de l’atteindre par les moyens aériens (au moins 4 échelles de 30 m ont été développées au plus fort). À l’intérieur, le feu est au-dessus des têtes et met les sauveteurs sous la menace d’effondrements de plafonds et planchers.

Un expert incendie Danois résumera la problématique posée par la toiture neuve de cuivre ainsi : « Il ne suffit pas de projeter de l’eau sur le capot d’une voiture pour en éteindre le moteur ! » Une part du feu est rapidement opérée à la moitié du bâtiment, l’incendie se dirigeant préférentiellement dans la moitié ouest.

L’eau n’a pas manqué

Les bouches d’incendie et la proximité d’un canal ont permis d’alimenter le dispositif de lutte, plusieurs engins pouvant y être mis en aspiration.

Outre les lances sur échelle, puissantes, un dispositif plus maniable a été engagé dans le bâtiment, notamment au niveau de la ligne d’arrêt où les points de passage possible du feu étaient nombreux. Des ventilateurs grand débit projetant une eau vaporisée ont été également employés, sans doute pour limiter l’emploi massif d’eau.

Un drone des sapeurs-pompiers a également été engagé. Il était particulièrement précieux pour inspecter des zones inaccessibles des décombres ou visualiser des points chauds.

Un plan de sauvegarde des œuvres existait

Ce plan a été quasiment simultané à l’attaque du feu. Outre les sapeurs-pompiers, des badauds se sont spontanément engagés pour porter à un point de regroupement gardé des œuvres arrachées aux flammes ! Certains tableaux de grande taille (4 x 2.5 m) ont pu être décrochés et sauvés. Heureusement, il ne pleuvait pas et une grande quantité de tableaux a pu être initialement regroupée sur les trottoirs. Hélas une statue de pierre de 2,5 t est toujours dans l’édifice, mais hors de la partie en ruines. De nombreuses œuvres picturales subsistant dans la partie mitoyenne au feu ont été cependant atteintes par la chaleur, la fumée et l’eau salée projetée par les pompiers. L’application du plan de sauvegarde est montée en puissance avec l’engagement d’un détachement de l’armée danoise.

Un plan de sauvegarde prend en compte la valeur des œuvres, permettant l’établissement d’un ordre de priorité et la plus ou moins grande difficulté à les évacuer, l’utilisation d’outils et matériels de manutention ou, si elles ne sont pas déplaçables, les moyens permettant de les protéger (couvertures ignifugées, bâches…).

Des logiciels scannant en 3D les locaux concernés à 360° permettent de mieux s’entraîner à identifier et évacuer les pièces les plus précieuses.

Il est aussi possible, dans certains musées, de créer des « salles fortes » par étage, permettant de limiter le déplacement des œuvres en les y stockant le temps du sinistre.

Lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, le coq trônant au sommet de sa flèche a été retrouvé, projeté hors du feu, préservant miraculeusement les reliques qu’il renfermait.

La flèche de Copenhague était quant à elle coiffée de 3 boules symbolisant les monarchies nordiques, Danemark, Suède et Norvège. Elles ont été retrouvées intactes, projetées hors du feu lors de la spectaculaire chute. Un bon présage.

Construit entre 1619 et 1640, l’édifice a accueilli la bourse danoise jusqu’en 1974. Il sert depuis de cadre à des événements publics et privés. Et depuis 2024, la Chambre de commerce danoise l’occupe également. Bâti sur une île, il est bordé par un canal au nord et une avenue au sud. Sa face est est à 15 m d’un édifice public de 4 étages. Sa face ouest s’ouvre sur une rampe/esplanade. Ses 4 faces sont accessibles aux moyens de secours. Bâti en pierre avec remplissage de briques, le bâtiment rectangulaire, long de 130 m et large de 20 m (2 600 m² au sol), comporte 2 niveaux principaux, le second étant accessible via une large rampe ouvragée à l’extrémité ouest. Il est caractérisé par son alignement de 8 pignons à volutes par côté.

La toiture à double pente, initialement couverte de plomb, faisait l’objet d’un remplacement en cuivre. Elle était soutenue par une charpente de bois très dense, d’origine. Au centre du bâtiment se dressait une flèche essentiellement en bois, haute de 54 m, recouverte par quatre « dragons d’eau » dont les queues torsadées formaient la flèche. Ils étaient censés protéger l’édifice du feu, ce qu’ils ont fait durant près de 400 ans ! La rénovation de l’édifice, engagée en 2022 et portant notamment sur le remplacement de sa toiture en plomb par du cuivre et le voligeage, devait s’achever en 2027/2028. Le bâtiment était aux 4/5es recouvert d’un échafaudage entoilé, un bloc central s’élevant à 25/30 m environ enserrant partiellement la flèche.

Nous n’avons pas d’informations détaillées sur les moyens de secours protégeant ce lieu historique. Il est rapporté que c’est grâce à la détection incendie du bâtiment que les secours ont été alertés. Il y avait donc un SSI.

Trois poteaux d’incendie sont implantés dans un rayon de moins de 100 m à l’ouest, tandis que les canaux voisins permettent la mise en aspiration d’engins-pompes. Le centre de secours le plus proche, abritant l’état-major, est à moins d’1 km.

Le corps des sapeurs-pompiers de Copenhague couvre 8 communes, arme 11 centres de secours et un état-major, pour un effectif de 900 agents.

Les incendies de monuments ou lieux historiques, dont certains en phase de travaux, sont nombreux dans nos colonnes ! En voici quelques-uns :

  • Le théâtre de La Fenice à Venise, en 1996, alors en travaux, est presque complètement détruit (Face au Risque n° 321, mars 1996).
  • Le château de Lunéville, en 2003, perd l’essentiel de ses combles et de ses étages inférieurs (Face au Risque n° 392, avril 2003).
  • La Basilique de Nantes, en 2015. Un travail par point chaud sous la toiture conduit à la destruction quasi totale des combles (Face au Risque n° 516, octobre 2015).
  • Notre-Dame de Paris, en 2019. Le feu éclate dans les combles, près de la base de la flèche, après le départ des ouvriers (Face au Risque n° 553, juin 2019).

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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