Jurisprudence : harcèlement moral et suicide

18 septembre 20245 min

Un responsable d’agence de la société E, engagé initialement comme agent technique, a mis fin à ses jours après avoir fait plusieurs tentatives de suicide.

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Les tentatives de suicide et le décès d’un responsable d’agence initialement engagé comme agent technique ont été pris en charge au titre de la législation professionnelle. La veuve de ce salarié a ensuite saisi les juridictions compétentes d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et a sollicité la réparation financière des dommages en résultant. Cette faute a bien été retenue par les juges saisis, mais la veuve, ayant été déboutée de ses prétentions au titre d’un harcèlement moral, a saisi ensuite jusqu’à la Cour de cassation.

Souffrance morale au travail

La Cour de cassation décide ici que :

« (…) 8. Pour débouter Mme W de ses demandes au titre du harcèlement moral, l’arrêt retient que les pièces médicales versées aux débats, si elles décrivent une souffrance au travail qui ne peut être niée, ne sont en définitive que la restitution des déclarations faites par le salarié aux professionnels de santé, lesquels n’ont été témoins d’aucune des situations décrites par l’ intéressé, que les attestations produites ne sont que l’ écho des plaintes et doléances du salarié sans qu’aucun de ces témoins ne relate des faits précis caractéristiques de harcèlement moral, qu’ il est pour le moins contradictoire de reprocher à l’employeur une surcharge de travail due à un manque d’effectif et faire grief à ce même employeur de retirer l’agence du secteur géré par le salarié afin d’alléger sa charge de travail, que si aucun reproche n’est objectivement rapporté sur les critiques portées par l’employeur sur les qualités managériales du salarié, celui-ci a déclaré spontanément au médecin du travail qu’ il avait du mal à gérer ses équipes, et par ailleurs que les courriels adressés par l’employeur au salarié pendant les arrêts de travail de ce dernier, qui sont empreints de compassion, avaient pour objet une reprise du travail dans les meilleures conditions. L’arrêt retient encore que seule la diffusion, en août 2015, de la vacance du poste occupé par le salarié, qualifiée d’erreur par la société, est de nature à caractériser un acte de harcèlement moral, mais pour être un fait isolé, ne peut s’assimiler à des agissements répétés au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. L’arrêt en déduit que les éléments invoqués par Mme W, pris dans leur ensemble, sont insuffisants à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.

9. En se déterminant ainsi, alors qu’était notamment invoqué au titre des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral le comportement inapproprié de l’employeur s’étant manifesté par le fait d’avoir fixé au salarié un rendez-vous dans le hall d’un hôtel durant son arrêt maladie par lettre recommandée avec avis de réception du 23 mai 2016, la cour d’appel à laquelle il appartenait, d’une part d’examiner cet élément de fait, d’autre part d’apprécier si les éléments médicaux relevant la souffrance au travail du salarié, pris dans leur ensemble avec les autres éléments de fait, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, et, dans l’affirmative, si l’employeur démontrait que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement, n’a pas donné de base légale à sa décision. (…)

Par ces motifs, et sans qu’ il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour casse et annule, mais seulement en ce qu’ il déboute Mme W, en qualité d’ayant droit, de l’ensemble de ses demandes (…). »

Partant, la décision critiquée par l’ayant droit est cassée.

Le juge doit examiner tous les éléments

En résumé, cet arrêt concerne l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable d’un employeur dans les suites du suicide d’un salarié, pris en charge par la législation professionnelle, au titre d’un harcèlement moral dont la réalité est discutée.

L’ayant droit, qui a sollicité la réparation financière des dommages découlant du litige, a vu ses prétentions rejetées par les premiers juges saisis. C’est dans ce contexte que la Haute Juridiction infirme la décision critiquée en retenant que des faits de harcèlement moral pouvaient être ici caractérisés et imputables à l’employeur. Pour mémoire, on rappellera que des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à la santé physique ou mentale du travailleur sont prohibés aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail.

On relèvera, au cas d’espèce, que le salarié avait été engagé en qualité d’agent technique avant d’être promu responsable d’agence. Il a ensuite fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie et a tenté de mettre fin à ses jours avant de se suicider. Sa veuve a ensuite mis en avant un comportement inapproprié et répété de l’employeur, notamment lorsque son mari a eu un rendez-vous professionnel suivant une lettre recommandée alors qu’il était en arrêt.

La Cour de cassation considère que les juridictions précédemment saisies se sont contentées des éléments médicaux produits, qui décrivaient bien une souffrance morale au travail, pour considérer qu’ils n’étaient que déclaratifs ou descriptifs du ressenti du salarié, alors qu’il fallait examiner tous les éléments en présence. C’est donc à tort qu’il n’a pas été recherché si ces pièces, corroborées avec d’autres faits du dossier, ne permettaient pas d’établir que l’altération de l’état de santé de ce salarié était la conséquence directe des faits de harcèlement invoqués.

C’est cette erreur dans la méthode d’appréciation des éléments en présence qui fait conclure à la cassation de la décision critiquée par l’ayant droit.

Chambre Soc. n° 23-11767 du 3 avril 2024.

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Virginie Perinetti

Virginie Perinetti

Avocate au Barreau de Paris depuis 2004

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