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Incendie généralisé d’un complexe résidentiel à Valence
Le 22 février 2024 à Valence (Espagne), un incendie meurtrier, fulgurant et dévastateur, anéantit une résidence d’habitation. Se développant initialement par sa façade et attisé par un vent violent, il va progressivement gagner la plupart des 138 appartements. Dix personnes trouveront la mort et 15 seront blessées dont 7 sapeurs-pompiers.
L’alerte est donnée à 17 h 37, lorsque les premières flammes d’un feu d’appartement s’échappent par une baie, sous le balcon du 7e étage. Le vent fort soufflant en bourrasques attise le feu qui, en quelques dizaines de secondes, se glisse dans la « lame d’air », sous le revêtement d’aluminium recouvrant la façade. Conjointement, elles engloutissent le mobilier présent sur le balcon, alimentant ensuite un puissant brasier qui attaque le revêtement de façade sur un deuxième front. Il est 17 h 40.
11 minutes plus tard, le feu gagne la façade selon deux axes verticaux entre les rangées de balcons, et atteint les 9e et 10e étages. Le centre de secours le plus proche est à moins de 400 m et les premiers engins, dont une échelle, se présentent.
Heureusement peu occupé à cette heure, le bâtiment se vide de ses occupants via l’escalier toujours praticable. Ils sont guidés par le gardien et recueillis par les pompiers.
Les rafales de 50 à 60 km/h étalent le feu horizontalement par vague, canalisées par les balcons de béton, et verticalement par les effets de cheminée que créent les retraits de façades et les espaces entre balcons.
Des matériaux incandescents tombent des étages supérieurs vers les balcons des niveaux inférieurs. Si bien qu’à 18 h 17, les trois quarts de la première façade sont atteints sur leur totalité, de la terrasse du 1erétage jusqu’au 14e étage.
Un immeuble en forme de bateau
La forme en étrave du premier corps de bâtiment de 14 étages sur lequel souffle le vent accélère le recouvrement progressif de toutes les façades par les flammes. Celles-ci progressent par bonds, épargnant des étages entiers, bondissant vers d’autres… Elles sautent sans difficulté l’espace latéral séparant de 10 m environ les bâtiments R+14 et R+9, grâce aux plaques d’aluminium en fusion qui se détachent en portant le feu vers les façades du bloc R+9.
À 19 h, alors que tous les centres de secours de Valence et des environs sont engagés, le feu intéresse les cinq façades principales, avec une notable perte d’intensité du feu sur la façade initiale, où il s’enfonce maintenant dans les appartements. Des foyers plus profonds sont alors visibles. Deux occupants sont arrachés à leur balcon : une échelle vient les cueillir sous les applaudissements tandis qu’une autre repousse les flammes ! Plus bas, c’est un pompier, bloqué sur la terrasse de la zone commerciale, qui doit son salut en sautant d’une dizaine de mètres dans un matelas de saut disposé par ses collègues.
Plusieurs lances sur échelle et bras élévateur attaquent le feu sur ses 5 façades. Un poste de commandement mobile est installé face au complexe, ainsi qu’un poste médical avancé (PMA). Peu après 21 h, le feu est maîtrisé par les pompiers, mais la lutte bascule de l’extérieur vers l’intérieur. Vers 4 h, il ne reste que des foyers épars dans les étages, aucune zone ne semblant avoir été épargnée. Le 23 février, des reconnaissances visuelles sont effectuées à partir des façades, plusieurs échelles aériennes, drones et bras élévateur étant engagés, permettant de localiser les premières victimes.
Une famille de quatre personnes qui s’était réfugiée dans sa salle de bains sera retrouvée sans vie. Elles auront communiqué avec leurs parents jusqu’au bout… Les sapeurs-pompiers procèdent au refroidissement de la structure de béton brûlante, conférant un effet de four dans les étages. La majorité des victimes sont retrouvées dans les niveaux supérieurs.
Vingt-deux équipes de sapeurs-pompiers, six unités du Samu et une centaine d’hommes de l’unité militaire de sécurité civile ont été engagés. Quinze blessés, conduits au PMA, sont hospitalisés, dont sept sapeurs-pompiers. Deux d’entre eux sont restés hospitalisés plusieurs jours.
L’origine de l’incendie
Il a rapidement été admis que l’incendie n’avait pas une origine criminelle ou humaine. Quelques jours après le sinistre, l’hypothèse avancée est un feu de moteur électrique sur un store d’appartement, au 7e étage, vide de ses occupants. Le mécanisme, plaqué sur les panneaux d’aluminium de façade, renfermant une feuille de polyéthylène, un vide d’air et une couche d’isolant constitué de plaques de laine minérale, aurait pu transmettre le feu à ces derniers, se propageant ensuite par un effet de mèche, dans la mesure où il n’existe pas de rupture de combustible sur 14 étages. Mais l’hypothèse retenue plus tard sera celle d’un départ de feu sur un réfrigérateur. Il s’est développé dans l’appartement puis est sorti en façade, comme à Grenfell. L’intervention des premiers secours a été rapide, la première caserne se trouvant à moins de 400 m et disposant d’une échelle de 30 m.
Le potentiel calorifique des balcons
Mais l’origine du feu importe peu. Un feu de barbecue sur un balcon, comme à Roubaix, ou un feu de poubelle sur une terrasse du premier étage aurait entraîné le même résultat. Lorsqu’un feu de corbeille à papier dans le collège Édouard Pailleron cause la mort de 22 élèves et enseignants, ce n’est pas l’origine du feu qui est en cause, mais la faible stabilité au feu des CES préfabriqués dans les années 1970 et bourrés de polystyrène…
Ici, outre l’isolant de façade (voir schéma ci-dessus), on remarque que les balcons abritent pour la plupart un fort potentiel calorifique fait de salons de jardin en bois ou PVC, de stores de toile encadrant les balcons, parfois de gazon synthétique au sol… Ici, les garde-fous étaient en verre et n’ont pas propagé le feu, à l’inverse de ceux réalisés en polycarbonate ayant produit des incendies de façades mémorables !
Le feu va aussi se propager rapidement par chute de matériaux incandescents tombant des étages supérieurs vers les balcons des niveaux inférieurs.
Trois autres facteurs déterminants expliquent la rapide généralisation de l’incendie : la forme en étrave de navire du complexe immobilier, le vent très fort (50 à 60 km/h) et la position du départ de feu, face au vent. En effet, le feu éclate à l’endroit lui garantissant le développement maximum, à la pointe de l’étrave. De forme triangulaire, ce premier bloc de quatorze étages voit ses deux façades principales parcourues par une veine d’air, canalisée par les balcons. Le front de feu est si virulent qu’il franchit sans difficulté l’espace d’une dizaine de mètres de large séparant les deux blocs R+14 et R+9, une pluie de morceaux de façade en feu détachés par le vent portant le feu plus loin. Bientôt, les abords du complexe sont parsemés de débris de façade en feu.
Enfin, sur la terrasse couvrant la base commerciale, s’élèvent quelques constructions de type chalet de bois qui vont s’embraser, criblés de débris en feu.
Les revêtements de façades des IGH
Cet incendie évoque évidemment la catastrophe de Grenfell, à Londres, ayant entraîné la mort de 79 occupants et 77 blessés. Elle mettait notamment en cause un revêtement de façade isolant en polyisocyanurate (PIR).
Les grands sinistres survenus sur des IGH des Émirats arabes unis, où un type de bardage similaire est utilisé, s’ils ont parcouru des milliers de mètres carrés de façades sur des centaines de mètres de haut, n’ont pas provoqué de victimes, comme l’immeuble de 4e famille de Roubaix (1 décédé handicapé ne pouvant s’échapper). Ces incendies ont aussi entraîné peu de feux d’appartements, ces IGH ne possédant pas de balcons.
En Espagne comme ailleurs, des milliers d’immeubles des années 2 000 ont été recouverts de ce revêtement avant que la réglementation ne soit modifiée. Aux Émirats, où plusieurs incendies spectaculaires de façades se sont produits, un programme de remplacement des revêtements de façade a été engagé, mettant parfois les co-propriétés en grande difficulté financière (changement complet de matériau – ininflammable – ou aménagement de zones coupe-feu).
L’un des « avantages » du feu éclatant en façade est qu’il n’affecte pas les escaliers, permettant l’évacuation des occupants et les premières actions des pompiers par l’intérieur pour combattre les propagations éventuelles.
On notera que lorsqu’elle se produit, cette propagation résulte d’un fort potentiel calorifique sur le balcon…
D’autres facteurs peuvent faciliter le transfert de feu de la façade vers l’intérieur : les huisseries et les stores roulants en PVC, le passage du feu via les caissons de stores roulants, les prises d’air de climatisation… ou les fenêtres ouvertes lorsqu’il fait chaud ! À Grenfell, ce qui aurait dû ne rester qu’un feu de façade, au moins le temps de permettre l’évacuation, a été favorisé par la fixation des huisseries hors du cadre de béton lors de l’opération de réhabilitation et d’isolation par l’extérieur. La destruction des panneaux isolants laissait un espace permettant au feu de pénétrer les appartements. Et ne laissait que peu de chance aux occupants, dès lors que l’un des feux d’appartements va déborder dans l’escalier et le rendre impraticable.
On attire parfois l’attention des architectes d’immeubles de grande hauteur sur la dangerosité des angles « rentrants » de façades, c’est-à-dire les formes en saignées susceptibles de créer des effets de cheminée sur toute la hauteur de la construction et d’accélérer la propagation verticale. Ces phénomènes avaient été observés sur les premiers grands feux d’IGH, dans les années 1970, à Séoul et Sao Paulo.
Ici, six zones de façade créaient des effets de cheminée, bien visibles sur les nombreuses vidéos réalisées.
Si 10 résidents ont perdu la vie et 15 autres personnes ont été blessées, 40 chiens et 36 chats ont aussi disparu dans cet enfer. Mais Coco, un beau chat tigré, a été inexplicablement retrouvé par les pompiers au 13e étage, huit jours après l’incendie, blotti dans une armoire de colonne sèche. Ses maîtres habitaient au 11e étage et ont échappé, comme leur animal, à cette catastrophe.
Plus de 150 résidents vivent aujourd’hui dans des logements sociaux.
Article extrait du n° 601 de Face au Risque : « JOP 2024 : à vos marques, prêts ? » (mai-juin 2024).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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