Plan antiviolences à l’hôpital : « Maintenant, il va falloir transformer sur le terrain »

16 février 20249 min

Un plan interministériel de 42 mesures visant à lutter contre les violences en établissements de santé a été présenté en septembre 2023. François Renoul, président de l’Association des chargés de sécurité en établissement de soins (Acses), revient sur l’élaboration de ce plan et ses principaux enjeux.

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Le phénomène de la violence à l’hôpital n’est pas nouveau, Face au Risque y consacrait déjà un dossier entier en 2013. Pourquoi un plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé est-il sorti en septembre 2023 ?

François Renoul. Premièrement, ce plan émane de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) qui répertorie depuis quelques années plus de 20 000 signalements par an de violences commises au sein des établissements de santé. Or, on observe qu’il n’y a que 6 % du total des établissements de santé qui déclarent les violences sur la plateforme dédiée. Le phénomène est donc en réalité beaucoup plus important que ce qui est mesuré par les chiffres.

Deuxièmement, la période du Covid a introduit du calme dans les établissements de santé car les flux étaient plus contrôlés. Nous avons assisté à une baisse du nombre des événements de violence, suivi d’un raz-de-marée post-Covid. Nous sommes dans une société qui est en train de se radicaliser, de se durcir et forcément l’hôpital y est confronté au quotidien. Enfin, on est à un stade où l’on n’arrive plus à recruter à l’hôpital : il y a un problème d’attractivité. Les jeunes générations d’infirmiers ou de médecins ne veulent plus venir travailler dans nos établissements car elles savent qu’elles sont exposées à la violence. Je pense que c’est tout cela qui a contraint le ministère de la Santé à agir.

Comment a été élaboré ce plan et quel a été le rôle de l’Acses ?

F. R. La lettre de mission d’Agnès Firmin-Le Bodo, alors ministre déléguée de la Santé, nous a été communiquée en janvier-février 2023. Puis les auditions se sont déroulées en mars-avril. Tous les présidents des associations médicales (médecins, pharmaciens, infirmiers, fédérations hospitalières…) y ont participé, ainsi que notre présidente de l’époque, Agnès Oberlin. Il est intéressant de remarquer que les chargés de sécurité n’ont représenté environ qu’un vingtième du panel auditionné. J’ai aussi fait partie du panel car un travail parallèle a été fait par la CNS (Conférence nationale de santé), un organisme consultatif auprès du ministère qui est en quelque sorte « le parlement » de la santé. À la suite, un rapport comprenant 44 mesures a été remis au ministère en juin par Nathalie Nion, cadre supérieur de santé AP-HP, et Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecin.

Le plan gouvernemental, retenant 42 mesures, a finalement été présenté le 29 septembre 2023. On peut dire que le travail a été extrêmement efficace. À l’Acses, nous alertions depuis longtemps sur le phénomène de la violence. Ce plan est une première, les enjeux sont forts. Nous sommes satisfaits, même s’il ne s’agit pour l’instant que d’une feuille de route.

« À l’Acses, nous alertions depuis longtemps sur le phénomène de la violence. Ce plan est une première, les enjeux sont forts. »

Parmi les trois axes que comprend le plan, quelles sont les mesures phares ?

F. R. La partie formation des personnels de santé comporte des enjeux importants. Il y a quatre strates à former : les soignants, les agents de sécurité, les responsables de sécurité et les directeurs d’établissement.

Où, quand et comment va-t-on les former ? Se pose la question de ce qu’on peut externaliser et de ce qu’il faut internaliser. Par exemple, est-ce que le Greta peut aborder des questions propres au milieu de la santé, comme la contention et la santé mentale ? Est-ce qu’un organisme de formation privé sera légitime sur la question du PSE (plan de sécurisation d’établissement de santé) ou de la convention Santé-Police-Justice ?

C’est pour cela que du côté des soignants, nous souhaiterions que les formations soient internalisées, avec par exemple des binômes soignant- agent de sécurité pour pouvoir former en masse et rapidement. Il ne faut pas oublier qu’un CHU, c’est dix à quinze mille salariés.

Du côté des agents de sécurité incendie, on est en train de travailler sur un module d’enseignement complémentaire « spécialité hospitalière » reconnu par l’État. Concernant les responsables sécurité, nous réfléchissons à une formation d’adaptation à l’emploi dispensée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP), complétée par des notions de droit pénal. Car les chargés de sécurité en établissements de santé viennent d’horizons très divers : on a des militaires, des policiers, des techniciens et des ingénieurs, des agents de sécurité qui ont gravi les échelons… Le niveau de compétences est de plus en plus élevé sur nos fonctions.

Enfin, il faut aussi renforcer la formation des directeurs d’établissements, via leur formation initiale à l’EHESP et l’accompagnement par des experts en sûreté. La sécurité doit faire partie intégrante de la gouvernance d’établissement.

Pourquoi est-il « impératif de faire évoluer le cadre légal de la sécurité des biens et des personnes qui se retrouve en confrontation avec le règlement de sécurité incendie », comme le précise votre communiqué post annonce du plan ?

F. R. Dans mon établissement par exemple, on a 3 départs de feu par an pour 250 interventions pour personnes agitées. La mutualisation des fonctions sécurité incendie et sûreté est une réalité dans un grand nombre d’établissements depuis au moins 20 ans. Cela ne veut surtout pas dire que la problématique de l’incendie doit être oubliée au profit de la sûreté. Les incendies meurtriers à Limoges et Tarbes, ou encore celui de Valence, illustrent la problématique des risques émergents dans un contexte de patrimoine immobilier énorme et vieillissant.

Dans ce même communiqué, vous notez que le plan traite « des violences en général, alors que les problématiques divergent en partie selon le type d’établissement ». Que voulez-vous dire ?

F. R. La violence doit être contextualisée. Les problématiques de violences dans un CHU parisien sont différentes de ce qu’il se passe en province. Et inversement, on est face à des problématiques en province que l’on ne retrouve pas en agglomération. Il faut faire du sur-mesure, adapter selon les acteurs locaux et les situations locales. Prenons un gros établissement de santé et un plus petit : dans lequel suis-je le plus vulnérable ? Je dirais souvent dans le petit. Car dans le gros, j’ai plus de flux et plus de problèmes certes, en revanche j’ai une meilleure maîtrise, plus de moyens, une police qui est rapide et efficace. Et puis la tendance est plutôt d’investir dans les gros établissements que dans les petits. Dans le petit établissement il y a moins de flux, moins de problèmes. Mais la gendarmerie se trouve à 30 minutes, il n’y a pas d’équipe de sécurité, peu de soignants sur place… Ce sont des facteurs de maîtrise qu’il faut vraiment prendre en compte.

« La réponse doit également être organisationnelle et humaine. Il faut aller à la rencontre des soignants, communiquer sur la sécurité et la sûreté. »

Comment jugez-vous les annonces concernant le volet « technologies » du plan ?

F. R. Nous sommes équipés en systèmes de vidéoprotection, en contrôle d’accès, en protection mécanique… La sécurité bâtimentaire est très importante dans les hôpitaux. Elle se doit d’être améliorée et nous attendons la sortie de deux guides à cet effet. Ce que l’on vise, c’est l’intégration de solutions de sécurité approuvées dans les nouveaux projets, pas tant dans la rénovation de l’existant. Les directeurs d’établissement ont parfois tendance à ne considérer que la réponse technique aux problématiques de sûreté. Mais la réponse doit également être organisationnelle et humaine. Il faut aller à la rencontre des soignants, communiquer sur la sécurité et la sûreté. Nous devons aller convaincre les personnes sur le terrain, les sensibiliser. Fermer une porte par exemple, c’est essentiel pour la sécurité finale d’un établissement de santé. Tout comme repérer les facteurs déclenchants de la violence, la montée des tensions… Lorsqu’un établissement a mis en place un protocole Police-Santé-Justice, il faut aller expliquer aux personnels de soins et de sécurité à quoi ça sert, il faut faire connaître le document dans tout l’hôpital. Autant nous sommes organisés pour faire de la formation à la sécurité incendie, autant nous sommes sous-organisés pour faire la même chose sur les thématiques de sûreté.

Quelles sont vos attentes concernant ce plan gouvernemental ?

F. R. Nous espérons que le remaniement ministériel de janvier 2024 n’aura pas d’incidence sur son déploiement. Nous avons eu la lettre d’intention du Gouvernement, maintenant il va falloir transformer sur le terrain. Clairement, nous faisons face à une société qui évolue. Il est demandé à l’hôpital d’être résilient face aux problématiques qui traversent la société. Si on veut être au rendez-vous, il faut à un moment y mettre les moyens. Les chargés de sécurité sont prêts. Quand on évoque la sécurité générale au sein de nos établissements de santé et le problème d’attractivité, c’est clairement de conditions de travail et de risques professionnels dont on parle. Nous comptons beaucoup sur le nouveau commissaire détaché à l’ONVS, qui va succéder à Vincent Terrenoir, et la nouvelle ministre de la Santé, pour concrétiser les mesures annoncées.

Campagne de sensibilisation aux violences exercées contre le personnel de santé a été lancée par le ministère de la Santé. © Ministère de la Santé

Courant décembre 2023, une campagne de sensibilisation aux violences exercées contre le personnel de santé, dirigée vers le grand public et les professionnels, a été lancée par le ministère de la Santé. © Ministère de la Santé.


Article extrait du n° 599 de Face au Risque : « Gérer les risques émergents » (janvier-février 2024).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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