Interview. « Le risque NaTech est sous-estimé »
À l’orée de la Journée nationale de la résilience du 13 octobre, et après les catastrophes naturelles récentes, focus sur le risque NaTech et le secteur industriel avec Guillaume Becker, consultant en gestion des risques et des crises à CNPP. Un risque qui sera également évoqué lors des prochaines Rencontres CNPP-Face au Risque du 21 novembre 2023, centrées sur les risques émergents.
Qu’est-ce que le risque NaTech et comment le définir ?
Guillaume Becker. Le terme NaTech résulte de la contraction des mots « naturel » et « technologique ». La définition la plus commune est celle de l’Ineris : elle désigne l’impact qu’une catastrophe naturelle peut avoir sur une installation industrielle. Cette définition est orientée sur l’accident résultant d’un effet domino qui serait une conséquence de l’aléa naturel. L’exemple le plus emblématique est la catastrophe de Fukushima : un tsunami, provoqué par un séisme sous-marin, qui entraîne un accident industriel majeur.
Chez CNPP, on considère plutôt le risque NaTech dans sa globalité, sous l’angle de l’impact qu’un aléa naturel peut avoir sur un site industriel. Cela peut être un arrêt de production, un arrêt de fonctionnement, un incendie, une explosion, une pollution… L’important est que l’on n’introduit pas forcément la notion de catastrophe technologique majeure, mais plutôt celle de continuité d’activité.
En termes de fréquence et de gravité, comment caractériser le risque NaTech ?
G. B. La dernière enquête du Barpi rapporte 80 événements NaTech en 2021, dont :
- 29 liés à la chaleur intense ;
- 22 liés au vent ;
- 18 liés aux pluies, crues, inondations ;
- 9 liés au froid intense, à la neige et au verglas ;
- 6 liés à la foudre.
Entre 2010 et 2019, il est évoqué un doublement de ce type d’événement. Ces dernières années, ce sont les fortes chaleurs qui inquiètent le plus, notamment dans le secteur des déchets lorsqu’on considère le risque d’incendie.
Le réchauffement climatique a pour effet d’augmenter la fréquence des événements non désirés de type canicule, sécheresse, inondations. L’accumulation de ces événements fait que la gravité et l’ampleur de ces phénomènes sont de plus en plus importantes. Ces caractéristiques font qu’on peut qualifier le risque NaTech de risque émergent. Certes, les événements naturels considérés sont connus depuis longtemps et ils sont aussi intégrés dans la réglementation, principalement au travers de la directive Seveso 3. Mais la « massification » de ces phénomènes fait que l’on peut parler de risque émergent à propos du risque Natech.
Les entreprises du secteur industriel sont-elles sensibilisées au risque NaTech ?
G. B. Je répondrai que la sensibilisation est faite au travers des médias, mais pas vraiment in situ. Lorsqu’on examine les études de dangers des gros sites industriels, le risque NaTech est simplement abordé. On note la sensibilité du site aux aléas naturels en se référant par exemple aux documents d’urbanisme. Mais il n’y a pas de réelle évaluation des risques, il n’y a pas de réelle analyse de vulnérabilité des sites et donc pas de plan de traitement associé. Le risque NaTech est sous-estimé.
La démarche devrait être de s’interroger non seulement par rapport à l’aléa de l’inondation, le plus visible, mais aussi par rapport à un orage de grêle, une cavité, un mouvement de terrain, un incendie de forêt… On a vu, avec ce qu’il s’est passé dans les Landes en 2022 que le risque de feu de forêt pouvait constituer une menace pour un site industriel. Selon moi, quel que soit le classement d’un site industriel, la question du risque NaTech devrait se poser. C’est une question de responsabilité pour le chef d’entreprise.
Comment se protéger du risque NaTech ?
G. B. Tout aléa climatique reste compliqué à prévoir. Toutes les données que l’on peut récolter en amont sont des cartes d’aléas. On peut s’appuyer sur des bases de données gouvernementales comme Géorisques ou Géoportail, sur des cartographies des zones de grêle et/ou de vent. Il existe aussi des plans de prévention des risques (PPR), pour la prévention du risque inondation ou du risque minier, qui comportent une notion de gravité et d’enjeu. Mais encore une fois, il n’y a pas de réelle évaluation du risque.
Pour l’exploitant d’un site industriel, il convient de réaliser une analyse de vulnérabilité en tant que telle. Cela consiste à analyser les aléas et les enjeux du site considéré. Si le site est soumis à l’aléa, il faut déterminer leur importance et analyser leur impact sur le fonctionnement de l’entreprise. Ce n’est qu’après avoir fait cette analyse que l’on peut avoir un plan de traitement et proposer des solutions de prévention et de protection.
Si l’on examine le risque inondation, très prégnant en France métropolitaine, quelles sont les premières démarches à entreprendre ?
G. B. Une fois identifié le risque inondation, il est important de savoir si l’on est exposé à une montée des eaux lente ou à une remontée de nappe. Car cela va laisser du temps pour agir. Ce n’est pas la même chose si l’entreprise se trouve sur un couloir de crue torrentielle ou en cas de crue éclair. On peut facilement se retrouver démuni devant la cinétique de l’événement. Il est possible ensuite de se baser sur le point des hautes eaux, le niveau maximal atteint par les eaux lors d’une crue de référence, enregistré par les autorités. C’est ce que l’on retrouve dans les plans de prévention du risque inondation. En fonction de cette cote maximale déjà atteinte, on peut se poser la question des moyens à mettre en place selon que l’on se trouve en dessous ou au-dessus des plus hautes eaux référencées.
Cela peut passer par détecter le niveau d’eau, ordonner ou non une évacuation en fonction de cette hauteur d’eau déjà atteinte, mettre en place des batardeaux devant les entrées des bâtiments ou devant les grilles de ventilation pour empêcher l’eau d’entrer dans le bâtiment. On peut aussi surélever les installations techniques de type groupe électrogène, les groupes sprinkleurs, la chaufferie, les grilles de ventilation, les locaux et armoires électriques…
A côté de ces mesures techniques, on peut aussi mettre en place des mesures organisationnelles en lien avec des détecteurs, et une procédure d’évacuation et de sauvegarde des personnes. Si l’on est dans le cas d’une crue rapide par exemple, il vaut mieux prévoir de monter dans les étages. Une autre possibilité est de mettre en place des formations aux risques naturels pour sensibiliser le personnel du service HSE ou de la sécurité, ou sinon de faire des formations à l’analyse de vulnérabilité.
Article extrait du n° 596 de Face au Risque : « Plan de continuité d’activité : mode d’emploi » (octobre 2023).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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