Le château de Lunéville ravagé par un incendie

1 avril 20039 min

Faute de mesures de prévention architecturale et d’équipements incendie suffisants, le feu parti des combles de la chapelle engloutit l’essentiel de la bibliothèque militaire et du musée des faïences.

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Jeudi 2 janvier 2003, 18 h 29. Alors que des bourrasques balaient à plus de 100 km/h l’est de la France, une odeur de brûlé envahit la chapelle du château de Lunéville, en Meurthe et Moselle. Le « Petit Versailles », fierté régionale abritant le musée des faïences et une bibliothèque militaire prestigieuse, sera très gravement endommagé par le feu au cours de la nuit. C’est le déclenchement d’une alarme intrusion qui alerte le gardien du château. En arrivant sur les lieux, la police aperçoit de la fumée qui filtre du toit de la chapelle et prévient à son tour les pompiers. Le premier engin de lutte, rentrant d’intervention, se présente une minute plus tard, à 18 h 30.

Dessin RD FI n° 392 01 - Crédit: René Dosne

Au cours de leur reconnaissance, les pompiers découvrent deux brèches de 20 cm de diamètre environ, séparées de 7 à 8 mètres dans la voûte de la chapelle par où l’incendie rougeoie. De longues flammes, couchées par les bourrasques, crèvent bientôt la toiture. Une lance sur échelle, appuyée par une lance-canon et une lance dans les combles, attaque le feu, tandis qu’un renfort d’engins-pompe et d’échelles est demandé pour « important risque de propagation ». Il est 18 h 42. Au-delà de la chapelle, dont la toiture est embrasée, les combles sous le vent fument de toutes parts et sont remplis de gaz chauds.

Deux escaliers monumentaux de pierre desservent les étages à partir de la cour d’honneur. Dans le premier, la situation devenant intenable, les pompiers se replient sous une pluie de braises et de poutres, en abandonnant leur lance. A partir du second, une véritable ligne d’arrêt est constituée afin de protéger les combles de l’aile Est, abritant entre autres le musée de la faïence. Sous ARI (appareil respiratoire isolant), les pompiers tiendront leur position des heures dans des conditions épuisantes.

Image FI n° 392 02 - Crédit: René Dosne

Poussé par la tempête, le feu engloutit littéralement des charpentes séculaires qui, en s’effondrant, pulvérisent les plafonds et s’abattent dans les somptueux salons aux lustres de cristal. L’incendie gagne maintenant une aile en « U » occupée par l’Armée. Outre des lieux d’accueil, de réception et d’appartements, elle abrite un musée de 900 m² retraçant l’histoire de la cité cavalière et une bibliothèque recelant entre autres des écrits de Napoléon 1er.

Seule une attaque du feu par l’intérieur peut se révéler efficace. Hélas, les lieux sont verrouillés et une attaque superficielle doit être conduite de l’extérieur, du haut des échelles ou par les lances-canons dont les jets, pourtant puissants, se courbent sous le vent.

A 19 h 15, 1 lance-canon, 3 LDV (lances à débit variable) de 65 et 3 LDV de 40 combattent l’incendie. Les renforts affluent de tout le département, puis des Vosges. A 20 h 11, nouveau message : « Feu de toiture chapelle. Aile sud totalement embrasée. 3 lances-canons, 6 LDV de 65, 2 LDV de 40 en œuvre et 1 lance-canon en cours d’établissement ».

Dessin RD FI n° 392 02 - Crédit: René Dosne

Sur ce type de feu, il faut largement anticiper, Le feu progressant insidieusement bien en avant de la zone spectaculairement embrasée. On sait maintenant qu’il va venir buter, faute de combustible, contre une aile, heureusement plus basse, accolée au… théâtre municipal ! Ses verrières et hautes baies qui permettent l’entrée des décors, le fragilisent. Lances-canons et échelles se positionnent à cet endroit pour stopper ce feu insatiable. Les efforts paieront, il ne passera pas. Le feu est horizontalement circonscrit, mais, dans des grondements sourds et des pluies de braises, il retombe ponctuellement jusqu’au rez-de-chaussée, détruisant tout sur son passage. A 22 h 26, il est maîtrisé. 6 LDV de 40, 7 LDV de 65 dont 6 sur échelles, 4 grandes lances classiques et 4 lances canon ont été mises en œuvre, atteignant un débit de 22 000 l/min. Si le feu est considéré comme éteint vers 5 h, le 3 janvier, des fumées s’élèveront des ruines pendant plus d’une semaine, nécessitant la présence d’équipes de surveillance.

Le système de détection d’intrusion donne l’alerte au gardien

L’incendie serait né d’un problème dans une installation électrique, sous les combles de la chapelle. Une alarme intrusion, déclenchée par la tempête (c’était fréquent) ou par destruction d’un câble par le feu (système de sécurité positive) a donné l’alerte au gardien. Les pompiers du département étaient à ce moment fortement sollicités par la tempête (chutes d’arbres, matériaux sur la voie publique…). Le fourgon de Lunéville est à 300 m du château lorsqu’il est alerté et se présente une minute après. Difficile de faire plus court.

Plusieurs facteurs ont aggravé la situation initiale. Le vent souffle à plus de 100 km/h et, par son orientation, place le château dans l’axe de propagation de l’incendie. Sa violence est telle qu’il plie le jet des lances, les canons de 1 500 l/min pouvant seuls y résister. « Il neigeait des braises à plusieurs centaines de mètres », raconteront les témoins.

Second facteur aggravant, l’absence de compartimentage des combles, recoupés certes par de gros murs de moellons, mais percés de passages dont toutes les portes métalliques sont ouvertes. Impossible, sous le vent, d’engager des équipes dans les volumes qui, en avant du feu, s’emplissent de fumées, puis de gaz brûlants avant de s’enflammer par flash-over. Difficile aussi d’engager des sauveteurs dans les étages dont les plafonds, transpercés par des poutres s’apparentant à de vrais troncs d’arbres, s’écroulent.

Enfin, la partie militaire du château qui abrite musée et bibliothèque est verrouillée le soir et il n’y a pas de gardien. Les pompiers disposeront des clés vers 20 h. Leurs tentatives de pénétration en utilisant du matériel de désincarcération seront vaines face aux doubles volets de bois massif…

Il est vraisemblable qu’une alerte précoce (une détection réclamée inlassablement par les pompiers lors des commissions de sécurité) aurait permis d’attaquer le feu et de le contrôler avant qu’il ne s’étende. Un compartimentage efficace aurait laissé le temps aux secours d’anticiper sur le développement du feu au lieu de le subir. Enfin, à la lumière de nombreux feux dans des lieux historiques, les combles sont leur bête noire.

Si la dualité systèmes anti-intrusion/accès des secours peut être observée ici plus qu’ailleurs, une autre apparait, dans ces édifices historiques où la préservation de l’authenticité des lieux peut compliquer la mise en place de mesures de prévention architecturale ou d’équipements incendie. Enfin, la partie militaire échappe règlementairement aux visites de sécurité des services publics. Toutefois, au cours de visites informelles, des conseils de sécurité étaient dispensés par les pompiers (dont une détection dans les combles !)

L’étendue des dommages est difficile à chiffrer. Outre le contenant, détruit à 70 %, des pièces du musée de la faïence et des ouvrages de la bibliothèque militaire sont irrémédiablement perdus. Alors que l’incendie faisait rage, une chaine s’organisait pour sauver tout ce qui pouvait l’être encore. 10 à 15 ans seraient nécessaires à la reconstruction des lieux. Un département à lui seul ne pourra en assurer la charge. Il faudra prendre en exemple la reconstruction du Parlement de Bretagne et les divers mouvements qui se sont associés à sa renaissance pour que Lunéville retrouve son « Petit Versailles ».

Le château, entouré d’un vaste jardin à la Française et d’un parc de 19 hectares, se dresse en centre-ville. Un premier corps de bâtiments en « U », intégrant la chapelle, délimite une cour d’honneur. II est prolongé par un autre corps formant un « F » terminé par le théâtre municipal.

Construit en 1702, dans le style du château de Versailles, il fait appel à une construction traditionnelle : gros murs de façade en pierre, planchers de bois hourdis de plâtre, coiffés d’une charpente imposante supportant un toit d’ardoises.

Elevé sur un sous-sol semi-enterré, le bâtiment comprend un rez-de-chaussée et un premier étage coiffé de combles non aménagés. Ceux-ci sont, en une douzaine d’endroits, recoupés d’épais murs de moellons percés d’un passage normalement fermé par une porte métallique. Chaque étage, d’une hauteur sous plafond frisant les 6 mètres, abrite de vastes salons. Quatre escaliers et un monte-charge desservent les niveaux.

L’essentiel des moyens de secours consiste en de nombreux extincteurs répartis aux différents niveaux. Il n’existe pas de recoupements coupe-feu au sens spécifique du terme. Bien sûr, aucun exutoire ne vient entacher l’aspect authentique de sa toiture. Détection et extinction automatique sont absents.

Six poteaux d’incendie, bien alimentés repartis autour du château, autorisent un débit simultané de 5 000 I/min. Par ailleurs, le plan d’eau bordant les jardins est accessible aux engins-pompe et offre une source d’alimentation inépuisable.

L’édifice est bien connu des pompiers qui y effectuaient des visites réglementaires. Le dernier incendie qui a ravagé une aile, est survenu en 1961, alors que l’aile opposée abritait… le centre de secours. Toutes les faces sont accessibles aux engins de secours.

Le premier feu de comble traité dans Face au Risque (n° 215, 1985) avait ravagé l’hospice de Grandvilliers avant de retomber aux étages inférieurs et d’y tuer une vingtaine d’occupants. D’autres ont malheureusement suivi : Barbezieux (Face au Risque n° 220, 1986), le château de Windsor (Face au risque n° 290, 1993), Seita à Morlaix (Face au Risque n° 319, 1996), la gare de Limoges (Face au Risque n° 344, 1998), l’Université Lyon 2 (Face au Risque n° 356, 1999). D’autres reviennent aussi en mémoire : le château des Ducs de Savoie à Chambéry, puis feu du vieux centre de la même ville en janvier 2002, musée du Trocadéro et toiture du Grand Hôtel à Paris… la liste est longue !

Mais l’incendie de Lunéville évoque immédiatement le feu du Parlement de Bretagne et son spectaculaire feu de combles dont les effets, chaleur, fumées et surtout eaux de ruissellement, menacent les œuvres d’art exposées dans l’édifice.

Les monumentales charpentes de bois sec couvertes d’ardoises sans ouvertures forment de véritables couloirs forçant le feu à un cheminement horizontal dévastateur. La lutte menée de l’extérieur est d’un faible effet, tant l’intensité du sinistre est violente. Les pompiers ne peuvent compter que sur une disposition architecturale (changement de niveau, campanile à l’effet« fusible », mur de refend sans ouverture) pour se donner le temps d’établir un dispositif d’arrêt efficace face a ce type de feu a la cinétique extrêmement rapide. Compartimentage, désenfumage, détection et, pourquoi pas, extinction automatique sont les seules réponses efficaces.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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