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Façades d’immeubles : des incendies qui prennent de la hauteur
Garde-corps combustibles, balcons encombrés, appartements entrepôts… autant d’éléments qui deviennent facteur d’incendies difficilement contrôlables dans les immeubles d’habitation. Pas de véritable parade sinon l’application de la réglementation avec analyse globale de risques à la conception ou lors de la réhabilitation du bâtiment et le respect par les occupants des règles de copropriété et des équipements assurant leur sécurité.
L’année 2004 aura vu un nombre significatif d’incendies et d’explosions survenant dans des immeubles d’habitation de plus de 28 m. Au-delà de cette hauteur à partir de laquelle les échelles aériennes ne peuvent plus intervenir, ceux-ci sont alors classés en 4e famille, avec des obligations réglementaires, en matière de mesures et équipements de sécurité, du type de celles imposés aux établissements recevant du public (ERP) et aux immeubles de grande hauteur (IGH).
Quai de Jemmapes à Paris, 21 décembre 2003
(Face au Risque n° 403, mai 2004)
Il est 1 h 24 du matin lorsque les pompiers sont appelés pour un feu d’appartement au 12e étage d’un immeuble qui en comporte 18. En quelques minutes, contrairement à tous les scénarios connus, l’incendie va bondir de balcon en balcon, sur 12 étages, atteignant les 17 et 18e étages où il ravage un duplex mais, plus inattendu, redescend jusqu’au 5e étage. Bien que plutôt bref, le phénomène est suffisamment violent pour détruire 5 appartements et en abîmer 17 autres !
La façade est pourtant pourvue de larges balcons, habituellement présumés garants d’une entrave à la propagation par l’extérieur. Mais ici, le matériau employé pour la réalisation des garde-corps, plaques translucides fondant et coulant vers les étages inférieurs va constituer le mode de propagation essentiel. Ce feu, cantonné aux garde-corps, n’était pas suffisant pour se propager aux appartements. Mais en embrasant les éléments combustibles qui se trouvaient stockés, parfois en quantité importante, sur les balcons, l’incendie a pris alors assez d’ampleur pour pulvériser les baies vitrées et s’engouffrer à chaque étage. Cet incendie est survenu côté jardin, inaccessible aux échelles. Il est vraisemblable qu’une action mesurée à partir de grandes échelles aurait pu tempérer l’ardeur des flammes en attendant que les appartements, aux portes souvent blindées, soient investis. La seule lance établie à l’extérieur a stoppé le feu descendant au 5e, limite de portée utile de la lance.
Si les matériaux composant les façades sont réglementés, notamment en fonction de leur masse combustible, rien n’est stipulé sur la composition des garde-corps, vraisemblablement considérés comme sans effet sur la propagation d’un incendie par la façade. Il est évident que le facteur aggravant a été l’accumulation de mobiliers de jardin, jardinières et caillebotis, meubles, produits d’entretien, vélos, poussettes, voire sapins de Noël, sur les balcons. La réglementation est en la matière impuissante. Reste alors le règlement intérieur de copropriété et la rigueur de son application.
Clichy-sous-Bois (93), 27 janvier 2004
La ville se réveille sous la neige. Un incendie éclate au 1e étage d’une résidence en comptant 4. Là encore, même scénario mais à échelle plus réduite : feu de garde-corps en polycarbonate, relayé par les volets en PVC, puis par de véritables débarras installés sur les balcons. 8 appartements sont sinistrés à divers degrés, le feu n’ayant été limité que par le nombre d’étages.
Paris 15e, 1er mai 2004
En début d’après-midi, un panache noir s’élève d’une tour d’habitation de 31 étages, partie de l’impressionnant alignement du Front de Seine (immeubles IGH) qui bordent le quai de Grenelle, près de la Tour Eiffel. Un appartement d’environ 50 m² est en feu au 27e étage. L’occupant, présent, et qui a vu partir l’incendie – une bougie anti-odeur posée sur le lit – ouvre la porte palière et entreprend de sortir un meuble partiellement en feu qu’il pose contre la ventilation basse du palier. La détection entraîne la fermeture des portes coupe-feu isolant les ascenseurs à l’étage, mais un défaut d’étanchéité du système de désenfumage provoque l’enfumage des étages supérieurs. Le palier brûle en totalité et la propagation à l’appartement contigu par la porte palière est évitée de justesse.
Un appartement d’environ 50 m² est en feu au 27e étage d’un IGH quai de Grenelle à Paris.
Les pompiers rapidement sur place établissent leurs lances sur colonne humide (canalisations sous pression), alimentée par une piscine placée au 32e étage. Mais l’un des surpresseurs est en panne et la pression à la lance est insuffisante. Il faudra que l’officier de garde technique effectue une manipulation utilisant les surpresseurs du réseau d’eau sanitaire pour que la pression soit enfin correcte.
Pendant ce temps, les flammes qui s’échappent en façade, fendent les vitres de 8 mm d’épaisseur d’un appartement de 150 m² qui s’enfume, au 28e étage. Le C+D (règle de prévention de la propagation par les façades) est presque nul ; la chaleur est telle que des fissures sont remarquées entre piliers béton de la façade et cloisons d’appartements au dessus de l’appartement sinistré.
Contrairement à ce qui est requis dans la conception IGH, il est difficile d’assurer que les étages soient totalement isolés les uns des autres en cas de sinistre, une propagation difficile à contrôler pouvant toujours se produire via la façade.
S’il est possible, relativement, de maîtriser le potentiel calorifique dans un IGH de bureaux, où des consignes d’ordre général peuvent être édictées, on ne dispose en revanche d’aucun contrôle du potentiel calorifique accumulé dans un appartement, tout comme de la fiabilité des colonnes sèches ou humides.
De plus, dans le cas cité, le SSI (Système de sécurité incendie) est en panne, de même que l’un des deux surpresseurs et le désenfumage mécanique inefficace ! Heureusement, il survient moins d’un feu d’IGH par décennie.
Créteil (94), le 2 juillet
C’est encore le potentiel calorifique anormal d’un appartement et les conditions météorologiques qui font basculer le déroulement d’un sinistre. C’est dans un imposant immeuble d’habitation de 17 étages desservi par un escalier et 3 ascenseurs qu’un incendie éclate en fin d’après-midi.
L’incendie est parti d’un vaste appartement au 8e étage, ouvrant sur deux façades. La façade orientée plein ouest est sous le vent et le tirage intérieur/extérieur a du mal à s’établir. L’incendie est violent et fumigène. Tandis que les reconnaissances s’effectuent dans l’escalier qui s’enfume et que l’on y cherche un exutoire, les équipes engagées à l’attaque éprouvent les plus grandes difficultés à progresser à contre-tirage, et doivent momentanément se replier.
L’escalier enfumé piège les pompiers qui se trouvent au sommet de l’escalier, sans issue. Il faudra mettre l’escalier en surpression, et engager une investigation à partir des balcons, pour combattre cet incendie anormalement long et qui s’est partiellement propagé à un appartement contigu.
On s’apercevra par la suite que l’appartement était une sorte d’entrepôt organisant des envois groupés vers le Maghreb. Dans le séjour et les chambres, s’accumulent vêtements, accessoires électriques, médicaments, chaussures. Il s’agit plus d’un feu d’arrière-boutique au 8e étage qu’un feu d’appartement !.
La surpression peut déformer les murs intérieurs.
Rillieux la Pape (69), 7 août 2004
Les trois derniers étages d’un immeuble d’habitation de 4e famille (13, 14 et 15e étages) de l’agglomération lyonnaise s’embrasent pour une raison indéterminée. Là aussi, on retrouve un mauvais C+D, malgré une façade barrée de balcons. Les garde-corps sont incombustibles, mais à claire-voie.
Une nouvelle fois, les combustibles accumulés sur les balcons vont servir de relais pour embraser les appartements. Dans cet immeuble d’ailleurs, les habitants vont jusqu’à stocker sur leurs balcons des bouteilles de gaz !
La colonne sèche détériorée (bouchons absents à plusieurs niveaux) retardant l’attaque et des portes « particulièrement » blindées – nous sommes dans un quartier sensible – donneront au feu le temps de passer des balcons à l’intérieur des appartements avant que du matériel lourd de désincarcération vienne à bout des portes palières. Les lances sur échelle, dans l’attente de l’attaque par l’escalier, fonctionnant en limite de portée, auront un effet limité.
Là encore, bien que l’escalier ait été enfumé, la propagation s’est effectuée par l’extérieur à cause d’une dégradation des conditions d’occupation (balcons débarras) et d’une dégradation des équipements de sécurité. Un deuxième incendie éclatera au même étage 20 jours plus tard !
Bagneux (92), 30 août 2004
Dans une cité HLM, une violente explosion souffle un appartement au 5e étage d’une barre d’une douzaine d’étages. Le contenu de l’appartement et sa façade sont littéralement projetés à l’extérieur, occasionnant quelques dizaines de blessés légers. Mais à l’intérieur, où un début d’incendie s’est déclaré, la violence de l’explosion à soufflé portes palières et cloisons de la gaine d’ascenseur, canalisant chaleur et fumées vers les étages supérieurs. Une occupante du 8e, montée se réfugier au sommet de l’escalier, y périra.
L’incendie, peu violent, est rapidement maîtrisé. Heureusement, car la colonne sèche passant sur le palier a été sectionnée en deux par le souffle, au niveau du demi-raccord. Lutter contre une propagation du sinistre aux étages supérieurs, sans colonne sèche, aurait été malaisé pour les pompiers
La colonne sèche sectionnée par le souffle de l’explosion est rendue inopérante – Crédit René Dosne-Face au Risque
Bobigny (93), 6 septembre 2004
Un sinistre survient, de nuit, dans un immeuble d’habitation de 4e famille de 18 niveaux sur dalle. L’immeuble a été construit au début des années 60 et réhabilité au niveau de son isolation extérieure en 1970.
Un dépôt d’objets encombrants de 80 m² est adossé à la façade, sorte de construction légère à dominante bois dans laquelle s’accumulent matelas, mobilier et objets usagés. Une société assure l’enlèvement régulier des déchets mais, suite à une panne de camion, n’a pu effectuer la dernière collecte. Un incendiaire occasionnel en profite.
Vers deux heures du matin, les premières flammes éclairent la façade. Il fait chaud et de nombreuses fenêtres sont ouvertes. La toile armée enduite d’une sorte de crépi recouvrant la façade se déforme, laissant apparaître la couche isolante qu’elle est censée protéger : des plaques de polystyrène de 80 mm d’épaisseur maintenues par des tasseaux de bois ! Le revêtement de façade brûle jusqu’au 12e étage, embrasant au passage des appartements jusqu’au 5e étage. Dans les niveaux bas, huisseries de fenêtres et volets en PVC ont fondu.
Les pompiers sont parvenus à enrayer l’incendie tout en évitant la panique des occupants surpris dans leur sommeil.
L’isolant extérieur combustible propage rapidement l’incendie.
Compte tenu de son ancienneté et de la date de sa réhabilitation, l’immeuble était en conformité avec la réglementation. On peut toutefois s’interroger sur la présence au pied d’une tour de 18 étages, d’un débarras d’objets encombrants quasiment en plein air. Car s’il s’était agi d’une véritable construction fermée, elle devait réglementairement être éloignée de la façade. Mais ici, des poutres légères espacées en guise de toit et des croisillons de bois ajourés en guise de parois lui permettaient sans doute d’échapper à l’appellation de construction.
Les causes aggravantes de ces sinistres
Chacun de ces sinistres a révélé un ou plusieurs éléments, véritables maillons faibles, qui avaient été rarement mis en cause au cours de sinistres : propagation par l’extérieur dans un IGH et problèmes de désenfumage, garde-corps combustibles, colonne sèche sectionnée, dépôt combustible au pied d’une façade isolée au polystyrène, appartement entrepôt, etc.
Les immeubles d’habitation élevés, de 4e famille (h > 28 m) ou IGH (h > 50 m), répondent à une réglementation sévère et efficace. Le faible nombre de sinistres survenus jusqu’à aujourd’hui dans ce type de construction en atteste. Toutefois, leurs équipements de sécurité et la conception même de l’édifice sont mis en péril par une utilisation échappant à tout contrôle. Rien n’empêche de transformer son balcon en débarras ou garage à mobylettes, modifiant totalement les scénarii d’incendie retenus lors de l’élaboration du concept de sécurité du bâtiment. Rien non plus ne s’oppose à stocker chez soi des collections de journaux de 1900 à nos jours ou, mieux, de transformer son appartement en chaîne de montage de remorques avec poste de soudure et stock de pneus conduisant par exemple à la destruction complète d’une barre d’immeuble comme cela s’est produit à Pierrefitte à la fin des années 70 dans un foyer de type Sonacotra.
L’éclosion de sinistres d’une violence rare tels que certains matériaux sont capables d’en produire sont alors à même de révéler les failles des mesures habituelles de prévention bâtimentaires. Les secours n’ont dans ce cas que peu de temps pour réagir.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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