Paris-Opéra : incendie mortel dans un petit hôtel parisien

1 juin 200510 min

Un hôtel qui n’accueille pas des touristes mais des personnes en situation précaire, une occupation maximale, la présence de nombreux enfants, une heure nocturne : autant de circonstances aggravantes compensées malgré tout par des secours rapidement mobilisés et efficaces. Le bilan reste toutefois accablant.

Ceci est une légende Alt

Vingt-quatre morts et 55 blessés. C’est le plus lourd tribut payé au feu à Paris depuis 1973 où l’incendie du collège de la rue Edouard Pailleron dans le XIXe arrondissement avait emporté 20 personnes, dont 16 enfants. L’incendie qui éclate en pleine nuit ce 15 avril 2005 au 1er étage d’un hôtel du quartier de l’Opéra, dans le secteur des Grands Magasins, transforme en quelques instants ce modeste établissement en brasier, contraignant ses nombreux occupants en proie à la panique à se presser aux fenêtres.

Des cris, un corps qui tombe sur la chaussée. C’est la première perception de l’incendie qui s’impose aux agents de sécurité du grand magasin Les Galeries Lafayette dont le poste de garde est face à l’hôtel Paris-Opéra. Des dizaines d’occupants affolés se pressent aux fenêtres, poussés par les flammes et la fumée qui ravagent déjà l’escalier et se propagent dans les couloirs. Les sapeurs-pompiers sont alertés à 2 h 21.

Dessin RD FI n° 414 01 - Crédit: René Dosne

En les attendant, les pompiers et les agents de sécurité des Galeries Lafayette établissent une lance dans la cage d’escalier, et une seconde en façade. Plusieurs occupants du 1er étage sont « cueillis » à l’aide d’une échelle à coulisse, un jeune enfant est même récupéré au vol.

Les premiers secours ne mettront que 5 minutes pour se présenter au pied de l’immeuble maintenant jonché de corps.

Dessin RD FI n° 414 02 - Crédit: René Dosne

Les Galeries impliquées dans les secours

Face à cette situation, les automatismes s’enchaînent : à 2 h 29, « un renfort habitation » est demandé, suivi deux minutes plus tard d’une demande de « plan rouge ». Dès lors, tous les moyens qui se présentent se consacrent aux sauvetages. Car ils sont deux, trois, quatre ou plus à se presser aux fenêtres, tendant parfois de jeunes enfants au-dessus du vide. Plus haut, vers les 5e et 6e étages que l’on devine furtivement derrière les écrans de fumée, des silhouettes prostrées ou agitant des vêtements se détachent sur fond de flammes.

Dans l’escalier, une lance tente difficilement d’atteindre le 1er étage. Des cris se font entendre plus haut. Une ultime percée permettra d’arracher 3 victimes, les seules ayant pu être sauvées par l’escalier !

Des échelles à coulisse, à crochets, et 3 échelles pivotantes sont maintenant dressées et les secours enchaînent alors les sauvetages dont certains tiennent de l’acrobatie. Un groupe d’occupants, réfugié sur le toit rendu glissant par la pluie, est cerné par les flammes s’échappant des lucarnes de bois. Depuis l’escalier de secours des Galeries Lafayette, les pompiers du magasin les protégeront grâce à deux lances en attendant que l’échelle ne les atteigne. Le Poste Médical Avancé (PMA) est implanté au rez-de-chaussée du grand magasin, dont l’entrée du personnel fait face à l’incendie. Au milieu du rayon cosmétiques et parfums, les équipes médicales ventilent, perfusent, massent les cœurs ou les défibrillent. Urgences absolues, urgences relatives, impliqués (victimes ne nécessitant pas d’hospitalisation mais souvent choquées), et même dépôt mortuaire ont été mis en place dans le magasin, placé en première ligne face au feu, avec un axe d’évacuation vers la rue de la Chaussée-d’Antin, là où sont alignées les nombreuses ambulances et leurs escortes motocyclistes. En une heure, 58 personnes ont été arrachées aux flammes.

Image FI n° 414 02 - Crédit: BSPP

Un déploiement des moyens de secours, malgré des conditions d’accès non évidentes.

Huit lances attaquent le feu par l’intérieur et l’extérieur. Il sera maîtrisé à 3 h 48 par 1 grosse lance, 11 petites, et 3 appartenant au grand magasin. À 4 h 37, le bilan, bien que provisoire, tombe : 13 décédés, 12 urgences absolues et 45 urgences relatives. L’intervention passe au rang de catastrophe et les autorités ministérielles, préfectorales et municipales, ainsi que de nombreux médias, sont déjà sur place. Vers 5 h 30, le feu est éteint après avoir dévasté l’édifice jusqu’aux combles, partiellement effondrés.

Tenir sa porte fermée…

À 7 h, le PMA a traité la totalité des victimes, qui ont été dirigées vers les établissements hospitaliers correspondant aux diverses pathologies (essentiellement polytraumatisés, intoxiqués et brûlés). Il peut être désactivé. Pour les sapeurs pompiers, l’opération sera officiellement terminée le mardi 19 à 15 h 39.

Plusieurs facteurs ont concouru au sinistre bilan :

  • La localisation du feu tout d’abord. Il serait parti d’une salle de repos/télévision du 1er étage, placée dans l’axe de l’escalier, et seulement séparée de ce dernier par une paroi vitrée. La propagation au couloir et à l’escalier en est donc facilitée. L’effet de cheminée qui se poursuit jusqu’au 6e étage va bientôt être aggravé par la présence du puits de lumière voisin. S’il n’est pas directement accolé à l’escalier, il communique par des cloisons percées de baies permettant le transfert du feu d’escalier vers le puits de lumière. La présence d’une gaine d’ascenseur n’a pas eu, en revanche, de grosse incidence sur le développement du feu. Les derniers étages deviennent rapidement le réservoir des gaz chauds affluant des niveaux bas. Inflammation, destruction de la toiture, le feu atteint une violence extrême. Couloirs et escalier impraticables poussent les occupants vers leur seul salut : les fenêtres.
  • Ensuite, facteur aggravant, l’affolement des occupants. Les comportements parfois irraisonnés d’une population défavorisée et à forte proportion étrangère, la présence de dizaines de jeunes enfants. S’ils ont bien été alertés par le signal d’alarme incendie, la localisation du foyer initial proche de l’escalier compromettait l’évacuation. Il était pour beaucoup trop tard pour fuir. Tenir sa porte fermée en aurait sans doute sauvé un grand nombre puisque, là encore, les chambres aux portes laissées fermées sont préservées. Dans certaines, plafonds et rideaux sont immaculés alors qu’à proximité, on a frôlé les 1000 °C. Troisième facteur, l’hébergement temporaire, dans un espace restreint, de familles entières en situation précaire, rapproche cet hôtel d’un immeuble d’habitation, par le potentiel calorifique accumulé par chaque famille (nombreux couchages, sacs de vêtements…).
  • Enfin, l’occupation maximale de l’hôtel. À cette heure de la nuit, cela entraîne un maximum de victimes.

Fort heureusement, pas de propagation aux immeubles mitoyens

Il faut toutefois rappeler le bilan : si l’on dénombre 24 morts, dont 11 par chute dans le vide au cours des premières minutes, 9 retrouvés dans les chambres et 4 au PMA , plus de 50 personnes ont été arrachées aux flammes. Il est miraculeux que seuls trois pompiers aient été légèrement blessés, au regard de la complexité de certains sauvetages effectués au mépris de leur propre sécurité.

Les demandes de moyens se succèdent rapidement : arrivée à 2 h 27, demande de « renfort habitation » à 2 h 29, suivie d’une demande de « plan rouge » à 2 h 31. Cela va impliquer l’envoi massif et rapide (bonnes conditions de circulation) de très nombreux moyens. Au total, 24 engins pompe, 4 échelles, 45 moyens d’évacuation (de la BSPP, du SAMU, de la Croix Rouge et La Protection Civile) et tous les engins spécifiques propres à ce type d’intervention vont converger de toute l’agglomération parisienne vers le cœur de Paris. La mise en place très rapide d’un véhicule PC et d’une chaîne de commandement structurée permet d’engager efficacement cet afflux de moyens.

Parmi les autres points positifs, on note la présence de murs aveugles sur les faces latérales et arrières de l’hôtel, limitant les sauvetages à la seule façade sur rue (interdisant de plus tout risque de propagation aux immeubles voisins) et la configuration de la zone, séparant bien l’action incendie de la zone PMA placée « idéalement » face au feu, au rez-de-chaussée du magasin, avec ses axes de dégagement propres : rue de Provence, engins de sauvetage et d’attaque, rue de la Chaussée-d’Antin, moyens d’évacuation, Place d’Estienne-d’Orves, à 500 m, accueil des impliqués.

Enfin, la première action des pompiers et agents de sécurité des Galeries Lafayette est à souligner. Anciens sapeurs-pompiers ou pompiers volontaires en exercice, ils ont prolongé plusieurs R.I.A. (60 m pour le 1er) pour attaquer le feu dans l’escalier, puis pour protéger certains sauvetages en étages, alors qu’aidés d’une échelle à coulisse, ils récupéraient des occupants.

Si cette nuit fut celle de l’horreur, elle fut aussi celle où, tous services confondus, chacun repoussa ses limites pour contribuer à apaiser les souffrances des malheureux occupants de l’hôtel Paris-Opéra.

Les incendies d’hôtels sont parmi les feux d’ERP qui entraînent le plus de victimes. Paris en a connu plusieurs vagues dans un large périmètre autour de ce secteur rive droite mais sans lien de causalité autre que l’importante concentration d’hôtels dans ce quartier touristique. Les bilans moyens s’élevaient de 4 à 6 morts, avec un maximum de 10 décès (boulevard Rochechouart).

Tous concernaient des établissements relativement anciens, à escalier unique. La conception des lieux (escalier unique) et le type d’occupants (méconnaissance des lieux, présence de visiteurs étrangers ne parlant ni ne comprenant la langue…) conduisent à un affolement poussant aux pires extrémités.

Généralement, lorsque le feu est accidentel, c’est une porte de chambre ouverte qui propage le feu au couloir, puis à l’escalier. Tous les couloirs d’étages sont bientôt impraticables, et seuls ceux qui respectent les consignes de confinement dans leur chambre sont sauvés.

Le premier feu d’hôtel traité dans ces colonnes s’est produit rue de Reuilly (5 morts, 36 blessés) avec une population très proche de celle de la rue de Provence (Face au Risque n° 243, mai 1988), feu d’hôtel à Cognac (Face au Risque n° 311, mars 1995) et hôtel de la Duchesse Anne, à Nantes (Face au Risque n° 405, septembre 2004).

L’hôtel est un ERP de type O, de 5e catégorie, avec une capacité maximale de 61 occupants.

Il dispose d’un système d’alarme sonore d’évacuation avec boîtiers d’alarme. Des extincteurs sont réglementairement répartis dans les circulations.

Sa façade est accessible aux engins de sauvetage. Le secteur (celui des Grands Magasins) est bien pourvu en bouches d’incendie. Le centre de secours le plus proche est à moins d’un kilomètre.

La dernière visite de sécurité date du mois de mars 2004.

L’hôtel Paris Opéra, implanté 76, rue de Provence, se situe dans une voie unique de circulation sans possibilité de stationnement latéral (rangées de poteaux sur les trottoirs). Le bâtiment, d’une surface au sol légèrement trapézoïdale, dispose d’une seule façade sur rue, de 15 m environ. Ses faces latérales et arrière sont aveugles.

25 fenêtres en façade, 14 lucarnes aux 5 et 6e étages (combles) ouvrent sur la rue. Les 32 chambres de l’établissement sont desservies par un escalier central, sans ouverture sur l’extérieur. Il est longé par un « puits de lumière » percé de fenêtres à chaque étage, partiellement occupé par une gaine d’ascenseur.

L’immeuble, ancien, est de construction traditionnelle, en maçonnerie. Sa charpente et ses lucarnes de bois sont couvertes de zinc.

Le rez-de-chaussée est occupé par 3 commerces dont un restaurant et le hall d’accueil de l’hôtel. Le premier étage est partiellement occupé par une deuxième salle du restaurant du rez-de-chaussée. Outre des chambres, cet étage accueille en son centre une salle de détente/télévision, face à l’escalier dont elle est séparée par une cloison vitrée.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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