Attentat à l’aéroport de Madrid

1 mars 200712 min

Structure des bâtiments défavorable, pas de message d’alerte par haut-parleur pour l’évacuation, un potentiel calorifique important, une zone coiffée d’une dalle toiture… Beaucoup d’obstacles pour les services de secours madrilènes.

Ceci est une légende Alt

Le 30 décembre 2006, peu après 8 h, un appel anonyme avertit les pompiers de Madrid de l’imminence d’un attentat à la voiture piégée à l’aéroport de Madrid- Barajas, en Espagne. Alors que les premières mesures de sauvegarde sont effectuées dans cet espace public tentaculaire, la bombe explose, soufflant plus de 5 000 m² de parking.

Les secours dégageront deux morts, des Équatoriens qui dormaient chacun dans leur voiture en attendant l’arrivée de proches. Ils ont été pris dans la puissante explosion d’une camionnette piégée, garée dans le parking du terminal T4 de l’aéroport. Le bilan est cependant miraculeux au regard de l’ampleur des destructions et des équipements visés.

En service depuis le mois de janvier 2006, le terminal T4 a été conçu pour accueillir 65 à 70 millions de voyageurs par an, grâce à un gigantesque complexe de 1 200 000 m², disposant de 38 points de stationnement pour les avions. Bordant sa façade principale, une bande de six modules de cinq niveaux chacun accueille 9 000 places de parking. Ces modules sont isolés latéralement les uns des autres par des murs de parpaings. Chaque module dispose d’une rampe d’accès extérieure, d’une batterie de trois ascenseurs et de trois escaliers. Les six modules sont reliés à l’aérogare par une galerie suspendue équipée de trottoirs roulants. D’une surface approximative de 8 000 m² (100 m par 80 m), chaque module est en béton armé (planchers à caissons supportés par des poteaux cylindriques). La dalle supérieure formant terrasse est couverte d’une couche de terre de 40 cm environ, gazonnée. Deux trémies éclairent et aèrent le parking sur sa hauteur. Les façades périphériques sont équipées d’un garde-fou constitué de plaques d’acier perforées ou d’un grillage tressé, permettant une bonne aération des niveaux. Les ascenseurs et escaliers, placés en périphérie, sont métalliques.

Dessin RD FI n° 431 01 - Crédit: René Dosne

La sonorisation des messages n’a pas été utilisée pour donner l’ordre d’évacuation

L’événement s’articule autour de trois phases principales : de l’annonce de l’attentat à l’explosion, des opérations de secours jusqu’à l’extinction du feu, et enfin la recherche de victimes et d’indices. Trois appels anonymes, envoyés aux services de police et aux pompiers, donnent des informations précises sur l’emplacement de la camionnette piégée. Dès réception, l’appel est répercuté aux services publics concernés, aux pompiers de l’aéroport et aux équipes de sécurité patrouillant dans l’aérogare (services de surveillance, police, garde civile, etc.). La mission essentielle consiste alors à localiser la bombe et à évacuer le public hors d’un périmètre de sécurité. Les accès aux parkings sont immédiatement fermés.

L’aérogare dispose d’une sonorisation pour les messages d’alerte, mais en revanche il n’en existe pas dans les parkings. Ce sont des policiers et personnels de sécurité de l’aéroport qui parcourent les lieux en criant l’ordre d’évacuation. Les messages d’alerte et d’évacuation ne sont pas diffusés dans le terminal. Prévenus par radio, ce sont encore les personnels de sécurité qui enjoignent les occupants d’évacuer. Vraisemblablement par crainte, en employant la sonorisation, d’un mouvement de panique.

Côté piste, les passagers des avions qui se présentent sont débarqués sur le tarmac, et les centaines de passagers sont canalisés vers des bus de grande capacité qui les conduisent au Terminal 2. Les pompiers de l’aéroport se pré-positionnent avec quatre engins lourds, un fourgon et un PC établi côté piste, dans l’attente de l’éventuelle explosion. Effectivement, l’explosion se produit environ trois-quarts d’heure après l’appel. 26 personnes sont légèrement touchées par des projectiles. Un miracle ! Toute la zone entre le parking D et la façade de l’aérogare (80 mètres environ) est jonchée de débris de verre, de béton et de tôles tordues.

Une reconnaissance est immédiatement engagée en périphérie par les pompiers, à la recherche de victimes. La zone est sectorisée et l’attaque du sinistre s’engage. Le potentiel calorifique théorique est non négligeable : 600 voitures, donc 2 400 pneus et une moyenne de 18 000 litres d’hydrocarbures. Le tout écrasé entre cinq dalles de béton. Le jour de l’attentat, les pompiers de l’aéroport et ceux de la ville de Madrid sont engagés mais seuls les pompiers madrilènes sont en place le 2e jour. Les pompiers de l’aéroport doivent en effet reprendre la protection du trafic aérien, puisque l’aéroport reste ouvert.

Enfin, le déblai s’engage, nécessaire pour la recherche des victimes, dont les voitures sont assez précisément localisées par les familles qui étaient venues avec elles chercher des passagers. L’ensemble de la zone est coiffé d’une dalle toiture, couverte de terre, ce qui ne facilite pas le démantèlement des plaques. Des brise-béton, des cisailles puissantes sont employés sur des pelles mécaniques. Cinq jours après l’explosion, 125 voitures sont retirées des décombres et examinées.

Les pompiers ont aussi été chargés de retrouver, dans le cadre de l’enquête, les caméras de surveillance et leurs systèmes de stockage des images. En effet, à Madrid, un système permettrait de prendre la photo du véhicule entrant et de sa plaque d’immatriculation et de l’imprimer sur le ticket. Ce dispositif aurait été mis en place pour empêcher les vols de véhicules dans les parkings. Il existerait donc une vidéosurveillance des lieux et le véhicule piégé aurait été photographié avant son explosion ; le conducteur aurait donc été filmé lui aussi.

Des dalles de plancher coulissent le long des poteaux

En France, Aéroports de Paris (ADP) a mis en œuvre depuis le début des années 2000 une politique de sûreté musclée. Sa volonté : faire de la sûreté une composante intégrée à l’exploitation des sites. Parmi les premières mesures : la mise en place d’équipements et la création d’une structure spécialisée sûreté pour accompagner les directions opérationnelles, principalement chargée d’élaborer la politique de sûreté.

Concernant les parcs de stationnement, les messages de sûreté destinés au public, améliorés avec des pictogrammes compréhensibles par tous, sont affichés partout, y compris dans les parkings. Fin 2007, ADP devrait avoir déployé sur ses sites parisiens 5 000 caméras de vidéosurveillance ; la technologie retenue pour les parkings permet le rapprochement entre ticket d’entrée, immatriculation et type de véhicule.

Des études sont menées pour équiper zones de bagages et zones de fret. Les contrôles aux postes d’accès routiers avec inspection filtrage (Parif) permettent le contrôle simultané de trois véhicules et des marchandises, l’inspection filtrage des personnes transportées et des piétons, avec un principe de séparation des flux entre zone publique et zone réservée.

Enfin le contrôle des accès des personnels entrant dans les zones réservés s’effectue par biométrie en moins de quatre secondes (101 équipements de contrôle, 40 000 passages par jour).

Sur le parking madrilène, le comportement de la structure de béton au souffle de l’explosion est intéressant. Comme cela avait été observé sur l’effondrement d’un parking en Suisse (en 2005), les dalles de plancher ont littéralement coulissé le long des poteaux cylindriques, jusqu’à s’empiler sur quelques mètres d’épaisseur seulement.

Dessin RD FI n° 431 02 - Crédit: René Dosne

Comme en Suisse, on voit des têtes de poteaux émerger de la couche de terre de la terrasse. Cela traduit une faiblesse de la jonction poteau-dalle lorsqu’une violente pression s’exerce sur la face antérieure d’un plancher, l’incurvant vers le haut, alors que dans un bâtiment, toutes les forces s’exercent normalement de haut en bas.

Image FI n° 431 02 - Crédit: René Dosne

Des similitudes dans l’incendie et l’effondrement d’un parking d’immeuble en Suisse, Face au Risque n° 410 de février 2005.

La conception du parking, avec des façades largement ouvertes sur l’extérieur, a facilité l’échappée horizontale de l’effet de surpression. Enfin, la façade vitrée du terminal, faisant face au parking D, a été brisée ou déformée sur plusieurs centaines de mètres carrés. L’onde de choc s’y est également propagée via la passerelle de jonction, dont les portes ont été arrachées. Curieusement, au-delà de la crèche de Noël géante, installée dans le hall, et intacte, on ne constate plus de dommages…

Un correspondant anonyme appelle le service d’urgences de la province basque de Guipuzcoa (au nord) pour prévenir qu’un véhicule piégé vient d’être placé dans le parking D du terminal T4 à l’aéroport de Madrid. Cet appel avait été précédé d’un premier coup de téléphone anonyme auprès du service de sécurité routière du Pays Basque et, selon la police à Madrid, d’un autre appel aux pompiers de la capitale.

Les pompiers de l’aéroport sont alors alertés tandis que ceux de la ville convergent deux engins-pompes et une échelle. Les forces de police se sont immédiatement rendues à l’aéroport et, avec les personnels des services de sécurité de l’aéroport, évacuent très vite la zone où se trouvait une fourgonnette Renault Trafic identifiée grâce aux appels anonymes.

L’accès aux parkings est fermé, et les passagers qui débarquent sont orientés depuis les pistes vers le terminal T2. Le terminal T4 est fermé.

Les véhicules de secours affluent bientôt par vagues (services sanitaires, SAMUR, pompiers…) et sont conduits depuis un point de regroupement pré-déterminé, aux abords du terminal T4. On évalue à environ 600 le nombre de véhicules répartis sur les cinq niveaux du parking D, qui se trouve le plus près de l’entrée de l’aérogare.

Vers 9 h, une violente explosion, entendue à des kilomètres, déchire l’air. Lorsque la pluie de débris cesse et que la poussière retombe, il n’existe plus qu’un énorme vide de plus de 5 000 m² à la place du parking, dont les planchers déchiquetés pendent au bord du gouffre. Mais rapidement, des flammes s’élèvent au milieu des décombres : des dizaines de véhicules écrasés entre les dalles empilées en « millefeuille » brûlent et un haut panache noir s’élève du milieu des décombres. Une épaisse colonne de fumée noire de 100 mètres de hauteur s’est élevée tout au long de la matinée au-dessus du terminal T4 flambant neuf de l’aéroport, inauguré en février.

Huit lances sont bientôt établies à partir des planchers hauts surplombant encore la zone, tandis que des engins de chantier sont réquisitionnés pour dégager la voie d’accès située entre le parking et l’aérogare. Rapidement, il apparaît que deux personnes sont dans leur voiture, sous les décombres. L’une au niveau 0, l’autre au niveau 1.

Le feu se communique entre carcasses de voitures, des explosions se font entendre. Les parois latérales séparant le module D des modules C et E ont été soufflées et le feu risque de se propager aux alignements de véhicules de ces parkings. Quatre nouvelles lances sont établies sur la face ouest pour contrôler l’extension du feu. Vers 12 h, le feu est maîtrisé, mais il faut glisser des lances à mousse entre les fragments de dalles, dont certains dépassent les 200 à 300 m², pour atteindre les derniers foyers. La recherche des victimes s’effectuera grâce à un chien, puis à l’emploi de mini-caméras pour explorer les zones creuses. C’est le 5, puis le 6 janvier que les corps des deux victimes seront extraits des véhicules, après découpage des dalles empilées.

De gros moyens de génie civil seront employés pour fractionner les dalles et les charger dans une noria de camions. Chaque véhicule dégagé, réduit à quelques dizaines de centimètres d’épaisseur, est inspecté par la police scientifique avant d’être stocké sur une aire éloignée de l’aéroport. Le jour même, trois heures après l’explosion, l’activité commerciale reprenait au terminal T4.

  • Le 26 février 1993, une camionnette chargée de 700 kg d’explosifs ravage plusieurs niveaux de sous-sols du World Trade Center à New York. 5 planchers s’effondrent, occasionnant des dommages structurels jusque dans la station de métro profondément enfouie. Six morts et plus de 1 000 blessés, mais les tours avaient alors résisté. Cet attentat mettra en évidence la relative facilité à endommager un édifice sensible avec un véhicule piégé dans un parking public. Il avait aussi révélé la faiblesse des compartimentages puisque les fumées du feu de sous-sol avaient gagné plusieurs dizaines d’étages, compliquant la très longue évacuation des tours.
  • En avril 1995, à Oklahoma City (États-Unis), une camionnette piégée, contenant plus de deux tonnes d’explosifs, explose devant un bâtiment fédéral. 168 morts, 800 blessés, 300 bâtiments détruits ou endommagés. Le véhicule stationnait devant l’édifice. Si le positionnement du véhicule piégé, dans un parking, est choisi en fonction de critères architecturaux (stationnement contre une structure porteuse dans les niveaux bas), il peut aussi être garé dans une rue périphérique. Le degré de destruction sera alors largement dépendant, outre la puissance de la charge, de la proportion entre vitrages et murs pleins, structure béton ou acier, surface formant écran au souffle, etc. Surveillance, limitation d’accès des véhicules, interdiction de stationner autour de certains bâtiments emblématiques sont des mesures à renforcer en période de tension.

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René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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