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Feu d’archives à Lausanne
Appelés pour un feu d’archives en sous-sol, les secours n’enverront le message « feu éteint » qu’après… 18 jours d’une lutte totalement atypique contre un feu qui ne l’était pas moins.
Ce 24 septembre 2009 à 15 h 49, les pompiers de Lausanne partent pour « Alarme automatique déclenchée » (type d’alerte se soldant par 6 % d’alarmes justifiées), au 2e sous-sol d’un bâtiment occupé par une entreprise stockant des archives. Moins de cinq minutes après l’alerte, le premier engin est sur les lieux. Deux lances sont établies au bas de l’escalier le plus proche de la zone de départ supposée.
Très rapidement, la chaleur et la fumée rendent les conditions d’attaque très pénibles et les pompiers ne peuvent que difficilement progresser au 2e sous-sol, dans les étroits couloirs formés par les armoires métalliques. Des renforts sont demandés et la lutte se poursuit à partir de trois des quatre escaliers où des lances sont établies. La fumée, qui s’intensifie, s’échappe par la rampe d’accès véhicules et les trémies d’escaliers. Toutes les baies du dernier étage sont ouvertes pour éviter son enfumage et son embrasement par accumulation de gaz chauds.
Les compactus (armoires mobiles sur rails), qui forment un labyrinthe, s’élèvent presque jusqu’au plafond, brisant les jets des lances qui ne peuvent atteindre le foyer. Inexorablement, le feu gagne les 4 600 m² non compartimentés.
Bientôt, les deux escaliers les plus proches deviennent inaccessibles en raison de la chaleur. Le 1er sous-sol, un parking (45 véhicules présents), s’enfume à son tour et la propagation du feu à ce niveau va devenir très difficile à contrôler.
Stratégie peu ordinaire
Au soir du premier jour, des ventilateurs grand débit très puissants, dont certains venus de Genève, tentent, à partir de deux escaliers, de créer un sens de tirage propre à refroidir le volume et extraire les fumées. Les 15 000 m³ du 2e sous-sol, surchauffés, restent insensibles à la manœuvre…
On tente alors un remplissage à la mousse. Trois générateurs déversent des milliers de m³ au bas de trois escaliers avant que l’on se rende à l’évidence : la mousse est détruite par la chaleur trop intense et ne peut s’étaler, entravée par l’enchevêtrement des armoires…
Les pompiers s’aperçoivent progressivement qu’ils ont affaire à un sinistre qui ne pourra être maîtrisé selon les stratégies habituellement appliquées. L’effondrement d’un élément de dalle de 64 m² entre le 2e et le 1er sous-sol vient confirmer leur analyse : ils sont engagés dans une opération de très longue durée. Il va falloir associer de nombreux services publics à leurs côtés et rationaliser les très importants moyens engagés. En l’absence de victimes, la sécurité des intervenants est la priorité, suivie de la protection des biens des dizaines d’entreprises qui occupent le bâtiment, allant de l’imprimeur à la salle de sports, de l’entreprise de cuisine industrielle au… diamantaire ! Plusieurs millions de francs suisses de diamants sont évacués du rez-de-chaussée sous escorte armée.
La population doit être informée : des affichettes sont placardées dans les immeubles du quartier, tandis que des mesures de toxicité des fumées sont effectuées dans un rayon de 500 m.
Le secours du lac Léman
Le samedi 26, vers 9 heures, une explosion suivie de feu se produit dans une des sociétés du rez-de-chaussée approvisionnant des garages – les pneumatiques, huiles et batteries avaient été extraits des locaux à titre préventif la veille.
Afin de se rendre compte de l’ampleur du feu, il est décidé de créer une ouverture dans le mur d’enceinte au 2e sous-sol. Celle-ci permettra de constater que l’ensemble des 4 600 m² sont la proie des flammes. Le chef d’intervention décide alors de mettre en place l’opération piscine. L’ouverture pratiquée dans le mur d’enceinte est rebouchée ainsi que toutes les gaines donnant accès à l’extérieur.
Pour emplir le sous-sol à 18 000 l/mn, l’eau du Léman est pompée.
L’opération piscine consiste à essayer de remplir le 2e sous-sol avec l’eau du lac Léman, distant de 1 600 m. L’armée est engagée avec des pompes débitant 8 000 l/mn. Ajouté aux canons qui manœuvrent déjà par les trouées, ce sont 20 000 l/mn qui vont se déverser pendant près de 24 heures. Le niveau de l’eau, porté à près de 50 °C, ne dépasse pas 80 cm et le feu ne faiblit pas. Il y a des fuites dans le sous-sol. En effet, les architectes découvrent que le bâtiment dispose d’un vide sanitaire et que le sous-sol, fait de matériaux de décharge, s’imbibe. L’ouverture latérale dans la paroi du 2e sous-sol est à nouveau ouverte afin de contrôler l’effet du noyage.
Lorsque la pelle mécanique, au fond de la tranchée, arrache le premier élément de paroi, ce n’est pas une piscine mais un véritable « four à pizzas » qui est découvert dans lequel un « bain » de flammes tourne lentement au-dessus des carcasses de centaines d’armoires. L’ouverture réactive le feu et la brèche est rapidement refermée.
Déblaiement des sous-sols
À J + 4, le dimanche, on décide d’ouvrir latéralement à nouveau et de créer un axe de pénétration sécurisé, l’étaiement des dalles, dont certaines accusent un affaissement de 30 cm, s’effectuant à mesure que les lances-canons progressent. Selon ce principe, la zone de feu est progressivement encerclée. Mais le feu ne peut être éteint que par élimination du combustible. Une stratégie d’extraction mécanisée par des engins de manutention réduits est élaborée, engageant des entreprises privées dont les agents sont contraints de travailler sous protection respiratoire.
À J + 8, le 1er sous-sol est ouvert et les 45 véhicules endommagés ou détruits sont extraits.
La paroi du 2e sous-sol est ensuite ouverte, sur près de 40 m, afin de permettre à la noria de moyens de déblai d’extraire les centaines de tonnes de dossiers qui, seulement détruits en périphérie, s’embrasent dès qu’on les éventre. Emportés par camions vers une aire sécurisée où ils sont éteints, les archives sont ensuite incinérées sous le contrôle de l’entreprise.
C’est à J + 18 que la dernière benne et son contenu fumant quittent les lieux du sinistre.
L’engagement, durant 432 heures d’intervention, de 2 175 personnes parmi les services de secours incendie, de protection civile, médicaux, policiers, municipaux, armée, experts en construction, etc. n’a entraîné, grâce à une gestion rigoureuse du commandement, aucune victime.
Après avoir creusé une tranchée, les pompiers progressent dans le 2e sous-sol tout en étayant la dalle de béton.
Le bâtiment a exceptionnellement bien tenu. La conception de ses dalles, éléments posés aux quatre coins sur des poteaux, a permis dilatation et rétractation au cours du sinistre.
Le bâtiment était conforme à la réglementation
Les causes réelles de cet incendie ne sont pour le moment pas définies, la justice vaudoise mène encore l’enquête. La composante principale de ce sinistre reste la phénoménale quantité d’archives, stockés sur 4 600 m² non recoupés, sans désenfumage ni extinction automatique.
Initialement destiné à être un parking, le 2e sous-sol avait déjà été transformé en stockage d’archives en 1981. Lors de sa reprise par la société actuelle, la destination du bâtiment ne changeant pas, une remise aux normes ne s’appliquait pas. Le lieu était donc conforme à la réglementation au moment du sinistre.
Totalement restructuré, le bâtiment devra répondre aux exigences actuelles : si un compartimentage n’est toujours pas exigible (l’archivage de papier est considéré comme un risque à probabilité faible selon la méthode d’évaluation du risque appliquée par le service prévention de l’Établissement cantonal d’assurance), en revanche, l’extraction mécanique de fumée devra être conforme aux prescriptions de protection incendie de 2005 c’est-à-dire faire l’objet d’un concept d’extraction de fumée et de la chaleur établi par un cabinet d’ingénierie.
A l’expérience de ce sinistre, la réflexion pourrait s’orienter vers une protection des archives par une installation de brouillard d’eau à même de ne pas détériorer les documents tout en temporisant le feu dans sa zone de départ. Le service prévention de l’Établissement cantonal d’assurance, s’il ne peut l’imposer, leur conseillera fortement de compartimenter leur risque. Cela divisera d’autant la facture qui ici s’élève à 27 millions de francs suisses!
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Notre article “Incendie d’archives de Lausanne : comment se sont-ils relevés ?“.
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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