Retour sur le feu de Notre-Dame de Paris

1 juillet 202313 min

Lundi 15 avril 2019, 19 h 50. Des rues et des ponts entourant la cathédrale monte une rumeur de dépit : la flèche de Notre-Dame, avec ses tonnes de bois et de plomb rongés par le feu depuis plus d’une heure, vient de basculer lentement dans les flammes, sa pointe poursuivant sa chute jusqu’au sol de la nef. Le feu menace maintenant les tours…

Ceci est une légende Alt

Il n’est pas 19 h lorsque les sapeurs-pompiers reçoivent le premier appel. De la fumée s’échappe du toit de Notre-Dame à la croisée du transept, au pied de la flèche.

À l’arrivée du premier des neuf engins dépêchés, un foyer déjà violent se développe et les flammes ne tardent pas à percer les plaques de plomb constituant la couverture.

Des renforts sont demandés, tandis que les premières lances, alimentées par les colonnes sèches, parviennent au niveau du comble, à près de 40 m de haut.

La violence du feu, en plein développement dans les quatre directions que forme la toiture, ne permet pas aux binômes de tenir longtemps leur position, sans recul sur d’étroites coursives de pierre. La chute de la flèche, traversant la voûte de la nef pour s’écraser 96 m plus bas, confirme le repli des équipes engagées.

Dessin FI NDP - Crédit: René Dosne/Face au Risque

Alors que le feu gagne rapidement l’ensemble de la toiture, la lutte se poursuit à partir des moyens aériens constituant une ligne d’arrêt visant à protéger les tours : canon de 3 000 l/min et, côté jardins, lances grande puissance de plain-pied.

Des renforts affluent de toute la Brigade, mais aussi des départements limitrophes dont les bras élévateurs de 45 m avaient été mis en alerte sans attendre.

Conjointement à l’attaque du feu, la mise en sécurité des œuvres est engagée, dont le Trésor de Notre-Dame.

La flèche a percé une centaine de mètres carrés de la voûte de la nef, entraînant un important brasier au milieu des bancs de bois. Devant le risque d’effondrement, un robot d’extinction est engagé, épargnant les personnels.

Vers 20 h 30, 14 lances sont braquées sur les combles, dont 3 lances-canons.

Sauver les deux tours

Mais c’est vers les beffrois des tours, et plus particulièrement de la tour nord, que l’inquiétude grandit. Très ventilés sur leurs quatre faces, traversés par le vent d’est qui souffle fort, leurs charpentes de bois supportant les cloches sont la cible de nuées de brandons enflammés, dont certains se bloquent dans les assemblages de charpentes et se développent. On devine derrière les volets du beffroi des roulements de flammes… Des foyers font rage entre 45 et 65 m et aucun moyen autre qu’humain ne peut les atteindre. La plus grosse des cloches pèse plus de 13 t et sa chute entraînerait la structure de bois, voire pire.

Mais la décision est prise par le COS (Commandant des opérations de secours), les risques calculés, les ordres donnés. Une trentaine d’hommes attaquent, à l’aide de lances plus maniables, les foyers épars en grimpant dans des escaliers et des passerelles de bois séculaires. Vers 22 h, ces combattants de l’ombre, que l’on ne distingue qu’à leur torche évoluant sur la façade de pierre, ont gagné. Au poste de commandement établi sur le parvis, on peut lancer « feu circonscrit » au moyen de 22 lances, dont 6 lances-canons.

Il sera suivi de « maîtres du feu » indiquant que le feu baisse d’intensité, au milieu des énormes masses de charpente éclairant encore les hauteurs de la cathédrale.

Risques d’effondrement de structures

Devant les risques d’effondrement, des systèmes à visée laser sont installés sur les frontons du transept et cinq immeubles sont évacués rue du cloître Notre-Dame.

Vers 2 h, le feu est éteint, bien que l’on sache que des jours seront nécessaires à l’extinction complète des foyers rougeoyant attisés par le vent…

Au milieu de la nuit, un énorme fracas fait trembler l’édifice : la voûte, à la croisée du transept (zone du feu initial très chargée en bois) cède sous le poids des décombres qui, une nouvelle fois, chutent dans la nef.

Alors que le dispositif s’allège progressivement, des sondages de structure sont réalisés et le fronton nord étayé.

Experts et enquêteurs prennent possession des lieux

Le 18 avril, un drone équipé d’une caméra infrarouge confirme l’absence de points chauds et l’opération est terminée le 19. Ce même jour, le déménagement des œuvres les plus imposantes commence. La place est maintenant aux experts du patrimoine et aux enquêteurs. Enquêteurs pour qui la tâche s’annonce complexe, en raison notamment de la chute de la zone de feu initiale 35 m plus bas. Ils doivent également détailler les actions de chacun des agents affectés à la sécurité incendie du site, durant les 35 minutes séparant la première alarme (18 h 16) de l’appel des secours (18 h 51). Les sapeurs-pompiers, qui se présentent en quelques minutes, sont face à un sinistre se développant depuis au moins 45 minutes. Ils appliquent le plan de secours dédié en s’engageant au niveau du feu par des escaliers équipés de colonnes sèches.

Feu de combles

Lorsqu’on connaît la cinétique extrêmement rapide d’un feu de combles à structure bois, pouvant ici courir sans obstacle sur 100 m, on peut en conclure que, dès l’arrivée des premiers secours, et alors que le feu commence seulement à percer à la base de la flèche, le handicap est tel qu’il n’est pas possible d’établir une ligne d’arrêt dans ce volume, et qu’il faut d’emblée élargir l’idée de manœuvre, en concentrant les efforts sur la protection des deux tours.

Le feu éclate au point le plus névralgique de l’édifice, à la croisée du transept, là où les charpentes de la nef et des bras se rejoignent. La densité de poutres encore augmentée par la structure porteuse de la flèche, qui vient répartir ses charges sur les piliers d’angles.

C’est d’ailleurs ici, dans cette zone dominée par l’échafaudage métallique destiné aux travaux en cours, que le feu est le plus longtemps actif. Cette violence concentrée sur environ 170 m² se solde finalement, au cours de la nuit, par l’effondrement de la voûte à la croisée du transept, et le déversement de tonnes de décombres enflammés dans la nef.

L’évolution des feux de combles est dépendante des conditions météorologiques : ici, le vent soutenu soufflant d’est pousse les fumées chargées de brandons vers les tours nord et sud. Puis le vent les pousse plus précisément sur le beffroi de la tour nord où des foyers épars s’allument dans la structure de bois par nature très ventilée.

FI NDP 03 - Crédit: Éric Dosne

En tombant, la flèche a percé la voûte de la nef sur une centaine de mètres carrés.

C’est heureusement là qu’il est stoppé vers 22 h, non sans avoir calciné deux des poutres supportant le gros bourdon. Cela s’est joué à quelques dizaines de minutes !

Les effets de l’incendie sur les structures de la cathédrale sont en cours d’étude. Les dommages structurels les plus visibles sont les 250 m² environ de voûte effondrée en trois endroits. Les frontons nord et sud du transept privés de la charpente qui les contreventait sont fragilisés, tout comme celui d’extrémité entre les tours.

L’édifice, avec la disparition de la charpente et des croisées d’ogive au niveau du transept, voit la répartition des forces et des poussées modifiées.

Des dimensions hors normes

La difficulté pour les secours tient à la hauteur de survenue du feu. Et à la rapidité fulgurante de son développement dans un espace de 2 000 m² sans recoupement. Il faut leur opposer le temps nécessaire à la montée à pied au niveau du feu pour une première attaque – relayée devant le déferlement de feu – par la mise en place et l’alimentation de moyens lourds et puissants, seuls à même d’atteindre les flammes (de 20 à 25 000 l/min au plus fort).

Ici, les moyens et stratégies d’extinction habituellement utilisés avec succès pour combattre les feux de bâtiments traditionnels n’ont pas leur place… On est dans la démesure architecturale !

Les drones

Ils ont été engagés au cours des phases principales de l’intervention : lors de l’attaque initiale, pour proposer au COS des vues en direct de la zone de manoeuvre, lors de l’extinction des décombres, en orientant l’action des moyens aériens sur les foyers résiduels, lors de la confirmation d’extinction grâce à la caméra thermique embarquée et enfin, lors de l’évaluation des premiers dommages aux structures.

Travaux par point chaud, attention !

Un grand nombre de feux de monuments historiques survient en période de travaux (60 à 70 % attribués à la foudre, travaux et non-respect des consignes).

Encadrement des travaux par point chaud (permis de feu), sensibilisation des ouvriers intervenants, mise en place de moyens de lutte temporaires… sont à renforcer. Souhaitons qu’il existe, dans les administrations concernées, un « après Notre-Dame ». La difficile équation entre préservation de l’authenticité d’un lieu et intégration de moyens de sécurité incendie sera peut-être en voie de résolution.

Notre-Dame était la cathédrale bénéficiant du meilleur niveau de sécurité (détection, colonnes sèches, etc.) C’était la seule à posséder un poste central de sécurité et des agents à plein temps.

Préservation des œuvres

En 1997, alors que la cathédrale de Turin, en travaux, était ravagée par les flammes, un pompier brisait le sarcophage de verre abritant le Saint Suaire du Christ et le sauvait d’une destruction probable.

C’est alors même que la lutte s’engage dans les hauteurs de Notre-Dame, que des sapeurs-pompiers, accompagnés de l’aumônier de la Brigade, procèdent à la mise en sécurité d’œuvres dans le cadre du plan de sauvegarde des biens culturels.

Selon ce plan, les œuvres sont recensées et localisées, classées selon qu’elles peuvent être déplacées ou non, avec l’utilisation d’un matériel spécifique ou non. Les équipements de manutention et de protection, et les zones de repli sécurisées possibles sont localisés et intégrés dans les plans de secours des sapeurs-pompiers. Les œuvres ou groupes d’œuvres sous alarme sont indiquées. Les œuvres sauvées ce soir-là sont regroupées à l’extérieur, comptabilisées, placées sous protection policière et dirigées vers l’Hôtel de Ville ou le Louvre. Durant l’intervention, 56 œuvres sont sorties, sans qu’aucune ne soit irrécupérable sur les 1 500 présentes.

Le 19 avril, 15 tableaux de très grande dimension du XVIIe siècle sont décrochés et emportés.

Même les reliques contenues dans le coq terminant la flèche sont récupérées dans la nef, après une chute de 96 m ! Un miracle…

FI NDP 05 - Crédit Éric Dosne

Mise en sécurité d’une partie des œuvres de la cathédrale dans le cadre du plan de sauvegarde des biens culturels.

Située sur l’île de la Cité, la cathédrale est bordée au nord par la rue de l’Évêché et au sud par les jardins bordant la Seine. Sa façade domine le parvis de ses 69 m. Terminée en 1345, elle fut durant des siècles l’une des plus grandes d’Occident, pouvant accueillir jusqu’à 9 000 fidèles. Sa nef en forme de croix affiche 100 m environ de long pour 13 m de large et 33 m sous voûte. Elle est coiffée d’un comble à section triangulaire abritant une charpente de chêne, d’origine. Sa couverture est faite de plaques de plomb. La surface du comble, situé à 35 m environ du sol, frôle 2 000 m². Les deux tours de pierre culminent à 69 m. Elles sont percées de 2 hautes baies par côté dotées de volets dirigeant le son des cloches vers le sol. Une structure de bois de 25 mètres de haut et de 100 m² de surface supporte les cloches et leurs mécanismes sur plusieurs niveaux. On se déplace dans cette structure indépendante (elle évite de transmettre le mouvement des cloches aux tours) par des escaliers et passerelles de bois. La plus grosse cloche située dans le beffroi nord est le « bourdon » pesant 13,5 t. Quatre escaliers principaux (colimaçon en pierre) desservent l’édifice, un dans chaque tour, Et deux autres dans chaque bras du transept. Au moment du sinistre, un échafaudage tubulaire de 500 t recouvre le transept et la base de la flèche. Il est desservi par deux ascenseurs. L’évêché, sur 3 niveaux, est accolé et relié à la cathédrale

La liste des monuments historiques frappés par le feu en période de travaux est impressionnante, en France comme en Europe ! De la cathédrale de Chartres en 1836 où des ouvriers utilisent un braséro dans les combles, à la basilique de Nantes (Face au Risque n° 515, octobre 2015), les coups de chalumeau maladroits sont d’une coûteuse efficacité : 1972, cathédrale de Nantes ; 1997, cathédrale de Turin ; 1996, théâtre de La Fénice à Venise (Face au Risque n° 321, mars 1996) ; château de Windsor (Face au Risque n° 290, février 1993) ; le dôme de la gare de Limoges (Face au Risque n° 344, juin 1998) ; l’Hôtel de ville de La Rochelle (Face au Risque n° 497, novembre 2013) ; etc. Seul l’incendie survenu à la cathédrale d’Auxerre en 2016 ne finira pas dans des effondrements de charpente : né d’un travail par point chaud, il est survenu dans une charpente intermédiaire séparée de la nef… Ouf.

Avec ses 13 millions de visiteurs annuels, la cathédrale est un ERP de type V (établissement de culte). Elle dispose de 3 colonnes sèches, avec des prises au niveau des combles. Les bouches d’incendie sont en nombre suffisant et la proximité d’accès à la Seine permet l’utilisation d’un bateau-pompe. Sur une périphérie de 380 m environ, moins de 200 m sont accessibles aux moyens aériens. La sécurité incendie du site est assurée par une société privée, renforcée d’agents de sécurité de l’évêché. Au poste central de sécurité, un SSI centralise les alarmes provenant notamment du réseau de détection. Les deux centres de secours les plus proches (2e et 11e compagnies) sont à environ 900 m, et participent à des manœuvres, dont la dernière quelques mois auparavant.

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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