Post-Lubrizol : le point sur les mesures réglementaires

1 février 202111 min

Un an après l’incendie des sites de Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen, la nouvelle réglementation en matière de prévention et de préparation à la gestion des accidents est parue au Journal officiel du 26 septembre 2020. On synthétise ici les principaux changements (sans être exhaustifs) auxquels vont devoir se plier les exploitants.

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Nouvelles prescriptions

Les textes renforcent les obligations des sites Seveso et les prescriptions relatives à la prévention des risques d’incendie et à la limitation de leurs conséquences, dans les stockages de liquides inflammables et combustibles ainsi que dans les entrepôts. Cela inclut l’interdiction progressive du stockage des liquides les plus inflammables dans des récipients mobiles fusibles. Les prescriptions sont opposables aux installations nouvelles à compter du 1er janvier 2021, mais aussi pour l’essentiel aux installations existantes, avec des délais de mise en conformité qui s’échelonnent jusqu’en 2026.

À noter que les textes renforcent également les pouvoirs du préfet dans le cas d’une installation faisant une déclaration d’antériorité : il pourra exiger une étude relative à la sécurité assortie d’un échéancier pour la mise en œuvre d’actions d’amélioration de la sécurité.

Echéances à respecter

Sites Seveso

  • Le plan d’opération interne (POI) devient obligatoire pour les sites Seveso seuil bas (ce qui n’était pas le cas avant, sauf prescription du préfet) à partir du 1er janvier 2023, avec un exercice tous les 3 ans a minima. Cette fréquence est aussi imposée aux établissements à autorisation (non Seveso) qui sont soumis à POI par leur arrêté préfectoral.
  • La fréquence d’exercices des POI est renforcée pour les sites Seveso seuil haut : tous les ans au lieu de tous les 3 ans.
  • Les POI devront préciser les moyens prévus par l’exploitant :
    • permettant de mener les premiers prélèvements et analyses environnementaux en cas d’accident,
    • pour la remise en état et le nettoyage de l’environnement après un accident majeur.
  • L’exploitant devra pourvoir à la formation du personnel, y compris du personnel des entreprises extérieures, sur la conduite à tenir en cas d’incident ou d’accident.
  • Les études de dangers (EDD) devront mentionner les principaux types de produits de décomposition susceptibles d’être émis en cas d’incendie. « La mise en œuvre sera complexe car devront être inclus le bâti (par exemple toit en amiante) et les effets de la combustion elle-même sur les produits, analyse Romain Campillo, chef du service prévention des risques industriels de la Dreal Auvergne- Rhône-Alpes. L’Ineris et les fédérations professionnelles travaillent sur le sujet. » La liste doit être adressée au préfet au plus tard le 30 juin 2025.
  • Lors du réexamen quinquennal des EDD (pour les sites Seveso seuil haut), l’exploitant devra également recenser les technologies éprouvées et adaptées qui, à un coût économiquement acceptable, permettent une amélioration significative de la maîtrise des risques.
  • L’exploitant devra tenir à disposition de l’Inspection des installations classées les éléments des rapports de l’assureur portant sur les mesures de prévention et de maîtrise des risques.
  • La coopération entre établissements Seveso voisins pour l’information du public et la préparation du PPI est demandée.

Références réglementaires :

  • Décret n° 2020-1168 ;
  • Arrêté du 24 septembre modifiant l’arrêté du 26 mai 2014.

Stockages de liquides inflammables et combustibles

Ce volet :

  • Crée l’arrêté du 24 septembre 2020 relatif au stockage en récipients mobiles de liquides inflammables dans les installations soumises à autorisation ;
  • Modifie en cohérence l’arrêté existant du 3 octobre 2010 pour ce qui concerne le stockage de liquides inflammables en réservoirs aériens.

Les deux arrêtés encadrent désormais le stockage de tous les liquides avec des mentions de danger H224, H225 et H226 (inflammables), y compris ceux qui ne sont pas classés au titre d’une rubrique ICPE liquides inflammables, ainsi que des déchets liquides catégorisés HP3 (si le stockage est supérieur à 1 000 t en réservoirs aériens ou 100 t en récipients mobiles fusibles). Les nouveaux sites concernés par ces textes devront se faire connaître dans un délai d’un an.

« C’est l’un des volets les plus difficiles à mettre en œuvre techniquement, commente Romain Campillo. L’idée générale du texte est d’éviter le phénomène de nappe enflammée constaté à Lubrizol. Il y a une vigilance sur les contenants dits fusibles, c’est-à-dire ceux qui, pris dans un incendie, s’effacent et répandent leur contenu sur le sol. Le problème est qu’en logistique aujourd’hui, beaucoup d’entreprises utilisent de grands récipients vracs pour manipuler ces produits. »

Les textes renforcent notamment les dispositions qui suivent :

  • Dès 2023, interdiction de stocker des liquides extrêmement inflammables (H224) en contenant fusibles dès 30 litres.
  • Dès 2026, en stockage couvert, interdiction de stocker des liquides très inflammables (H225) en contenant fusibles dès 30 litres pour les non miscibles à l’eau et 230 litres pour les miscibles à l’eau. Sauf s’il s’agit d’un stockage de petites quantités (< 2 m³) dans une armoire coupe-feu ou si le stockage est muni de dispositifs d’extinction qualifiés via une campagne d’essais.
  • Renforcement des prescriptions relatives aux stockages des liquides inflammables en récipients mobiles, d’une part en bâtiment et d’autre part en ce qui concerne les stockages extérieurs : règles d’implantation, conditions de stockages, conception et capacité des rétentions associées et du cheminement des liquides vers celles-ci, moyens de détection incendie rendus obligatoires pour toutes les installations de stockage de liquides inflammables qui ont des récipients mobiles. « À titre d’exemple, les rétentions seront dimensionnées pour prendre en compte 100 % du volume des contenants fusibles, contre 50 % auparavant. Il est également demandé que les installations nouvelles prennent en compte les eaux d’intempéries. Ce n’est pas demandé aux installations existantes mais elles devront surélever de 15 cm leurs rétentions, illustre Romain Campillo. Autres exemples, pour le stockage couvert, il est demandé une extinction automatique ou un dispositif d’efficacité équivalente. Les distances minimales entre stockages couverts et stockages extérieurs sont également imposées et cela risque d’être problématique pour certains sites existants qui ont jusqu’au 1er janvier 2026 pour se mettre en conformité. Ils auront le même délai pour installer de la détection incendie sur leurs stockages extérieurs. »
  • Renforcement en cohérence, pour le stockage de liquides inflammables en réservoirs fixes, des dispositions relatives au dimensionnement des volumes de rétention, à la conception des rétentions déportées et des dispositifs de cheminement des liquides vers ces rétentions.
  • Pour renforcer les moyens de lutte incendie, il est demandé de prévoir à l’avance les moyens de se procurer une quantité complémentaire d’eau, en faisant appel si besoin à des établissements voisins, et d’intégrer une marge forfaitaire de 20 % sur les besoins en eau et en émulseurs.
  • Lorsque des liquides combustibles sont stockés à proximité des liquides inflammables, l’incendie des seconds peut se propager aux premiers. Pour éviter la création d’une nappe enflammée mêlant les deux, les textes comportent des dispositions renforcées pour les stockages de liquides combustibles, ou solides combustibles qui se liquéfient en cas d’incendie, stockés en récipients mobiles, à proximité de liquides inflammables : conditions de stockage, obligations de rétention, évacuation de ces fluides vers des rétentions dans des conditions adaptées, moyens de détection et de lutte contre l’incendie.

Références réglementaires :

  • Arrêté du 24 septembre 2020 ;
  • Arrêté modifié du 3 octobre 2010.

« Les rétentions seront dimensionnées pour prendre en compte 100 % du volume des contenants fusibles, contre 50 % auparavant. »

Romain Campillo, chef du service prévention des risques industriels de la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes.

Romain Campillo, chef du service prévention des risques industriels de la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes.

Entrepôts de matières combustibles

La filière logistique relève de la nomenclature ICPE au titre, notamment, de la rubrique généraliste 1510 entrepôts couverts et de rubriques spécifiques à certaines matières entreposées (1511 pour les entrepôts frigorifiques, 1530 pour le papier, 1532 pour le bois, 2662 et 2663 pour les matières plastiques). Le décret prévoit les dispositions qui suivent.

  • Limitation des doubles classements. La rubrique 1510 a désormais la primauté pour éviter le découpage possible d’entrepôts conduisant à appliquer un régime administratif moins contraignant. On évalue le volume total de stockage.
  • Relèvement du seuil d’autorisation pour les installations relevant de la rubrique 1510 à 900 000 m³ ou 40 000 m² au sol en zone non urbanisée. Les nouveaux sites concernés par ce texte devront se faire connaître dans un délai d’un an (avant le 1er janvier 2022).

Des évolutions sont par ailleurs introduites dans les arrêtés ministériels de prescriptions techniques pour renforcer les exigences en matière de prévention des incendies. Elles prévoient en particulier les dispositions qui suivent.

  • L’obligation d’un plan de défense incendie est étendue à tous les entrepôts, quel que soit leur régime administratif.
  • Dans tous les entrepôts, seront interdits, à terme, les récipients mobiles susceptibles de fondre pour stocker les liquides inflammables non miscibles à l’eau de propriétés de danger H224 et H225 (voir le volet « Stockage de liquides inflammables et combustibles »).
  • Les stockages extérieurs doivent être éloignés des parois de 10 m minimum, cette distance pouvant être réduite à 1 m sous conditions. Les accès doivent aussi être contrôlés.
  • Pour les entrepôts plus anciens, les exploitants doivent mener une étude et mettre en œuvre des mesures, le cas échéant, pour s’assurer de l’absence d’effet domino thermique vers des bâtiments ou stockages voisins en cas d’incendie.
  • À l’avenir, des dispositions renforcées s’appliqueront pour les cellules des entrepôts contenant des liquides combustibles ou des solides combustibles qui se liquéfient en cas de départ d’incendie (obligations d’extinction automatique, de zone de collecte des liquides et eaux d’extinction et d’évacuation de ces fluides vers des rétentions dans des conditions adaptées).
  • Les dispositions relatives à l’état des matières stockées s’appliquent aux entrepôts relevant des régimes d’autorisation et d’enregistrement (voir le volet « État des stocks »).
  • Tous les entrepôts doivent mettre à disposition de l’inspection les rapports des assureurs et former les intervenants internes et externes sur la conduite à tenir en cas d’incident ou accident. Les entrepôts soumis à autorisation, comme les sites Seveso, doivent se plier aux dispositions concernant les informations relatives aux types de produits de décomposition en cas d’incendie et à la disponibilité des moyens de mesure associés.

Références réglementaires :

  • Décret n° 2020-1169 ;
  • Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017.

État des stocks

Dans toutes les installations relevant du régime de l’autorisation, l’exploitant doit tenir à jour un état des matières stockées, y compris les matières combustibles non dangereuses ou ne relevant pas d’un classement au titre de la nomenclature des installations classées.

Il doit par ailleurs disposer, avant réception des matières, des fiches de données de sécurité pour les matières dangereuses. Ces documents sont facilement accessibles et tenus en permanence à la disposition du préfet, des services d’incendie et de secours, de l’Inspection des installations classées et des autorités sanitaires.

Au-delà de ces dispositions générales, à partir du 1er janvier 2022, les sites Seveso, les sites de tri-transit et regroupement des déchets dangereux, les principaux entrepôts (autorisation et enregistrement) et les sites de stockage de liquides inflammables devront appliquer les mesures qui suivent.

  • Détailler, zone par zone, l’ensemble des matières dangereuses stockées en faisant le lien avec toutes les propriétés de danger utiles (par exemple, une substance à la fois inflammable et toxique pour l’environnement devra être répertoriée au regard de ces deux propriétés).
  • Tenir à jour quotidiennement cet état des stocks, le cas échéant sur la base d’outils informatiques, et le recaler au moins annuellement par un inventaire physique (un inventaire tournant est possible).
  • Donner aussi, zone par zone, les quantités et types de produits hors matières dangereuses, selon une typologie adaptée (mise à jour hebdomadaire possible).
  • Prévoir un état synthétique lisible pour le public, qui puisse être diffusé rapidement en cas d’accident. Cet état devra être tenu à disposition des services d’inspection, des autorités sanitaires et des services de secours dans des conditions permettant l’accès, y compris pendant un sinistre.

Références réglementaires :

  • Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017.

Article extrait du n° 569 de Face au Risque : « Plan d’actions post-Lubrizol : l’impact sur l’industrie » (février 2021).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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