Orange : des techniciens de moins en moins confinés dans leurs chambres
Le réseau de télécommunication de l’opérateur historique est en partie souterrain, et passe par des ouvrages appelés « chambres ». C’est dans ces lieux en partie confinés que les techniciens de l’entreprise, ou de ses sous-traitants, sont amenés à opérer. Une série de modernisations du réseau, dont l’arrivée de la fibre, a entraîné une mutation de ces interventions au profit de la sécurité.
Le réseau de téléphonie
Déployé massivement durant les années 1970, le réseau de télécommunication en France dessert «32 millions d’abonnés via 110 millions de kilomètres de câbles», selon un article des Échos. Les infrastructures de télécommunication les plus visibles, notamment dans les campagnes, sont constituées de poteaux téléphoniques. En milieu urbain, le réseau de téléphonie a été déployé principalement dans des conduites souterraines.
Entre le point d’arrivée de la boucle locale, chez l’habitant au sein d’un immeuble, et le central téléphonique, les câbles cheminent dans des gaines, entrecoupées de points de raccordement. C’est au niveau de ces points de raccordement que les techniciens doivent pouvoir intervenir, que ce soit pour procéder à de nouvelles interconnexions ou pour remplacer les câbles. Dans le jargon de l’opérateur, les ouvrages souterrains qui hébergent les points de raccordement sont appelés des « chambres ». Au nombre de 7 millions en France, il en existe trois sortes :
- les simples « caniveaux », aménagés généralement dans les trottoirs, profonds de 80 cm à 1 mètre de profondeur, entièrement découvrables ;
- les chambres découvertes, que l’on retrouve en banlieue parisienne ou en province, qui peuvent descendre jusqu’à 2 mètres sous la surface. Ces ouvrages sont eux aussi entièrement découvrables ;
- les « chambres souterraines », généralement maçonnées et plafonnées, dont l’accès n’est possible que par une trappe recouverte d’une lourde plaque en fonte.
Le balisage et la signalisation sont essentiels lors des opérations de raccordement dans les chambres, car celles-ci se déroulent le plus souvent en bordure immédiate de la voirie.
Des chambres de raccordement
C’est évidemment ce dernier type de chambre souterraine qui revêt, par bon nombre de ces aspects, les caractéristiques d’un espace confiné. On l’a dit, ces ouvrages n’ont vocation à être occupés que de manière temporaire, que ce soit pour des interventions programmées ou décidées en urgence. Le volume est entièrement fermé en temps normal, et ne contient qu’un dispositif de ventilation naturelle, constitué de deux conduits d’amenée d’air depuis la surface, débouchant en partie haute et basse du local.
L’accès à la chambre depuis la surface se fait par une trappe, qui débouche sur un puits de descente. Ce puits de descente est équipé d’une échelle métallique dont les barreaux sont scellés dans la maçonnerie, assortie d’une canne de descente. Déployée en hauteur à l’ouverture de la trappe, cette dernière fait office de rampe, en offrant une prise haute aux mains de l’opérateur lorsque ses pieds se posent sur les premiers barreaux de l’échelle.
Le sol de la chambre est constitué d’une dalle bétonnée. Parfois, un puisard recouvert d’une grille permet de recueillir les eaux qui seraient entrées dans la chambre, avant leur pompage. Dépourvues d’électricité, ces chambres souterraines, parfois vastes, ne disposent pas d’éclairage.
Des égouts aux chambres sèches
« Auparavant, les équipes de France Télécom intervenaient aussi dans les égouts, mentionne Marie-Antoinette Khan, préventeur national chez Orange, car une partie du réseau des télécommunications partageait aussi celui de l’assainissement. Même si c’est toujours le cas chez d’autres opérateurs, notamment pour le passage de la fibre, chez Orange nous avons fait le choix de retirer nos câbles des égouts ».
Ayant donc décidé de faire chambre à part, Orange dispense une consigne claire dans son réseau : dans les chambres, « on ne travaille jamais dans l’eau ». Pour plusieurs raisons : l’utilisation d’outils électriques rend la situation dangereuse en présence d’eau, d’autant que les EPI des techniciens peuvent ne pas être adaptés, car ces derniers ne sont pas toujours équipés de bottes. L’absence d’éclairage et de matérialisation de l’emplacement du puisard et de sa grille peuvent engendrer des chutes : il est donc impératif de pomper l’eau avant d’intervenir, en cas de chambre inondée. Enfin, eau et cuivre ne faisant pas bon ménage, les raccordements effectués sur des lignes humides ne tiennent jamais très longtemps, et tombent rapidement en panne.
Il y a 40 ans, on travaillait encore avec un petit chalumeau. C’était dangereux, à Paris par exemple nos équipes avaient l’habitude de détecter trois à quatre fuites par an.
Serge Albouy
Chef de projet sécurité à la Direction de l’Intervention chez Orange
Accès et manutention
L’accès aux ouvrages souterrains est généralement situé à proximité immédiate de la voirie. Analyser les risques liés à une intervention sur la voie publique fait partie des bases de la formation dispensée aux techniciens. Savoir mettre en place une signalisation de chantier afin de protéger les intervenants ainsi que les usagers des voies est aussi l’un des fondamentaux. Ensuite, il faut savoir reconnaître les différentes plaques obturant les chambres, ce qui permettra d’éviter les mauvaises manipulations, en adoptant les techniques, les postures et les matériels adaptés. C’est une réelle préoccupation chez Orange. Si certaines chambres sont fermées avec des trappes montées sur charnières, d’autres le sont avec des plaques en fonte, pouvant peser près de 50 kg. Dans ce dernier cas, un lève-plaque et un peu de doigté sont nécessaires. Et ce, même si les techniciens opèrent généralement en binôme. Les fermetures rouillées et obsolètes sont d’ailleurs vouées à être remplacées par des systèmes à bascule.
Gros plan sur l’accès à une chambre souterraine depuis la surface. Au sein du puits, très étroit, la canne de descente faisant office de rampe est déployée. Le surveillant est en liaison constante avec l’intervenant, opérant en fond de chambre.
Éviter les chutes
Comme décrit plus haut, on accède aux chambres les plus profondes au moyen d’un puits de descente, très étroit, muni d’une échelle scellée dans le mur. Cet aspect est surveillé de très près, comme le relève Serge Albouy, chef de projet sécurité à la Direction de l’Intervention : « Le réseau a vieilli. Quand nous retournons dans certains ouvrages, nous avons parfois des surprises. Les barreaux des échelles sont rouillés, les cannes de descente sont abîmées. Nous avons donc lancé un grand plan d’audit de nos ouvrages, en nous adressant à des organismes certificateurs. De ce fait, on réactive tout ce qui est petites réparations, sur les sites où l’on descend le plus souvent. Nous travaillons également à la mise en place de tripode pour assurer la descente, parce qu’il y a des endroits très anciens, peu entretenus, où l’on ne peut pas prendre le risque de ne pas sécuriser les personnes ». Au fond de l’ouvrage, malgré l’ouverture de la trappe, c’est bien souvent le noir absolu qui règne. En lieu et place des vieux éclairages alimentés aux 220 volts, les intervenants sont à présent munis de lampes à Leds portatives montées sur batterie. Un point d’attention est attaché à la recharge des accumulateurs, pour éviter une panne d’éclairage subite.
Les anciennes plaques en fonte, lourdes de plusieurs dizaines de kilos, exigent des outils et des techniques adaptés pour éviter les accidents lors de l’accès.
Atmosphère, atmosphère…
« Notre gros point de vigilance, c’est l’atmosphère de la chambre souterraine, insiste Serge Albouy. Bien qu’il existe une ventilation naturelle, les grilles peuvent être obstruées. Si les intervenants travaillent longtemps et à plusieurs, il y a un risque d’insuffisance d’oxygène. En pleine ville, les ouvrages peuvent être chargés en gaz d’échappement, ou en hydrocarbures. D’autre part, les conduites de gaz passent aussi souvent à proximité de nos installations. Il y a 40 ans, on travaillait encore avec un petit chalumeau. C’était dangereux, à Paris par exemple nos équipes avaient l’habitude de détecter trois à quatre fuites par an. » L’une des grosses préconisations est donc l’utilisation d’un détecteur de gaz. La consigne est d’ouvrir la plaque d’accès de la chambre et de faire une mesure. Si l’explosimètre passe en alarme présence de gaz, il faut procéder à la ventilation du local. Si un quart d’heure plus tard l’appareil détecte toujours le gaz, alors l’intervention est stoppée et les pompiers ou GRDF sont prévenus. Si en cours d’intervention, l’explosimètre bippe, la consigne est d’évacuer immédiatement.
En dépit de quelques rares alertes (le réseau gaz s’est modernisé), aucun accident grave n’est à déplorer. « Ce qui complique le message de prévention, note Marie-Antoinette Khan. À partir du moment où l’on n’a pas eu d’accidents, il est difficile de faire comprendre aux équipes que l’opération présente des dangers. Lorsqu’un poteau casse, on a un élément factuel. Lorsque nous insistons sur la vérification des niveaux de gaz et d’oxygène avant et pendant l’intervention, les techniciens perçoivent moins clairement le piège lié au risque d’atmosphère. » Comme pour les sources d’éclairage, une organisation a été mise en place pour vérifier la bonne utilisation et le calibrage régulier des explosimètres au sein de toutes les équipes.
À partir du moment où l’on n’a pas eu d’accidents, il est difficile de faire comprendre aux équipes que l’opération présente des dangers.
Marie-Antoinette Khan
Préventeur national chez Orange
Partager sa chambre, en suivant un plan de prévention
Sur le réseau Orange, loué aussi aux autres opérateurs, interviennent des techniciens de l’entreprise Orange et de ses sous-traitants. Il est ainsi nécessaire de rédiger des plans de prévention avec les entreprises extérieures, afin de cerner la coactivité et le risque d’interférence. « Les consignes transmises à nos concurrents n’autorisent pas une surveillance de notre part, précise Marie-Antoinette Khan, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes) étant d’ailleurs très claire sur ce sujet. Ceci dit, sur des ouvrages extrêmement particuliers, voire très sensibles en termes de sûreté en région parisienne, on interdit tout accès sans un accompagnement d’une équipe d’Orange. Avec nos sous-traitants, les plans de prévention ne nous donnent pas un droit d’ingérence. Nous procédons cependant à des contrôles du respect des consignes et procédures. Toute consigne non-observée entraîne un signalement à l’entreprise extérieure, pouvant déboucher sur des non-conformités avec des sanctions financières. » En interne, Orange dispose d’un outil de suivi des non-conformités.
Former et transmettre
Du côté de la formation, l’évaluation des risques liés aux chambres souterraines fait que le dispositif Catec n’a pas été retenu par Orange. Il n’en reste pas moins que la connaissance et la mesure des risques liés à la présence de gaz dans l’atmosphère, ainsi que l’utilisation des moyens de prévention à mettre en oeuvre dans les espaces confinés ont bien sûr voix au chapitre dans la formation des techniciens. Marie-Antoinette Khan précise : « Dans certaines galeries qui relèvent d’autres propriétaires, comme les collectivités locales, voire pour des interventions dans des châteaux d’eau, le Catec est nécessaire pour nos interventions et les intervenants en sont dotés. »
Une autre précaution a été prise, compte tenu des mutations technologiques du réseau liées au passage du cuivre à la fibre : celle d’effectuer cette transition en brassant les jeunes générations de techniciens, formées au travail de la fibre, avec les anciennes, formées initialement au travail du cuivre. La fibre, plus légère et plus simple à raccorder, se déploie en effet plus vite que le réseau en cuivre, voué de toute façon à disparaître. L’écueil serait de perdre le savoir des anciens, et notamment leur connaissance des risques liés aux raccordements cuivre et des longues interventions dans les chambres.
À côté des chambres, le réseau comporte également quelques galeries souterraines. Celle-ci est équipée d’un éclairage et d’un puisard pour évacuer les fuites d’eaux potentielles. Le cuivre (à gauche) côtoie la fibre optique (à droite).
Arrivée de la fibre, réduction des risques ?
Car l’arrivée de la fibre optique, déployée depuis maintenant plus de 10 ans, et en accélération constante sur tout le territoire, a introduit des évolutions dans le métier de techniciens des télécommunications. Au début du déploiement du réseau en cuivre, des chambres de raccordement étaient nécessaires tous les 300 mètres. Des améliorations ont ensuite permis de les installer tous les 600 mètres. Aujourd’hui, la fibre autorise plusieurs kilomètres sans raccordement : il y a donc une diminution de l’utilisation de ces ouvrages, ainsi qu’une baisse de la fréquence d’intervention dans les chambres. Au sein des chambres ensuite, les temps d’intervention sur le « Très haut débit » sont également raccourcis : la fibre étant plus aisée à manipuler que les lourds câbles de cuivre, et le raccordement se faisant sans flamme, les techniciens viennent le plus souvent pêcher le matériel en fond de chambre, pour le ramener en surface afin de procéder aux raccordements. Là, les soudures ne se font plus par épissures mais au moyen d’un boîtier numérique sophistiqué. L’irruption de l’innovation technologique liée à la fibre optique s’accompagne donc également chez Orange d’une réduction du risque à la source, par la diminution des interventions en espaces confinés.
Mais voilà que ce travail, à présent remonté en surface, expose à de nouveaux risques : les agressions, comme ces deux employés de SFR attaqués à Neuilly-sur-Marne en décembre 2020. Les agresseurs en voulaient à leurs outils, notamment la soudeuse à fibre optique, un matériel dont la valeur dépasse plusieurs centaines d’euros !
Article extrait du n° 570 de Face au Risque : « Travail en espaces confinés » (mars 2021).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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