Accidentologie du lithium : mythes et réalités

1 octobre 202014 min

Comme bon nombre de nouvelles technologies, les batteries lithium ont fait l’objet de nombreux témoignages sur leur prétendue dangerosité. Au-delà des légendes urbaines, un certain nombre de cas répertoriés par des sources sérieuses indiquent qu’un minimum de précautions est à prendre lorsqu’on utilise ce type d’accumulateur. La tendance à la croissance de l’énergie embarquée, ainsi que l’extrême variété des usages et des situations considérées, amènent à rester vigilant.

Ceci est une légende Alt

Un petit détour par Google et les réseaux sociaux, sur la plateforme YouTube en particulier, pourrait conduire tout-un-chacun à décréter le lithium-ion comme persona non grata dans son entourage immédiat. D’un feu de téléphone portable en charge à l’incendie spontané d’une voiture Tesla tranquillement garée dans un parking, en passant par la combustion d’une cigarette électronique… la psychose guette sur la toile !

Hornsdale South Australia - Crédit : Flickr/Denisbin

En 2017, Tesla a construit en Australie la batterie Li-ion la plus puissante au monde, afin de stocker l’électricité éolienne et solaire (ici en photo). Un projet détrôné par LS Power et sa ferme de 230 MW installée en 2020 en Californie.

Lithium-ion, persona non grata ?

À moins de vouloir retourner vivre à l’ère de la batterie pré-lithium (il y a près de 30 ans !) et du téléphone non-mobile, il va falloir vivre avec cette technologie : les usages se démultipliant et les énergies devant se décarboner, le lithium s’infiltre partout dans notre quotidien.

Sachant que plus de 5 milliards de téléphones portables sont en utilisation quotidienne dans le monde, il est statistiquement normal qu’il y ait au moins une vidéo d’une batterie de mobile défectueuse sur YouTube… Néanmoins, le lithium-ion pénétrant au cœur d’environnements sensibles et mettant en jeu des quantités d’énergies embarquées parfois loin d’être anodines, quelques retours d’expérience méritent d’être examinés avec soin.

Le rapport d’étude de l’Ineris de 2010

Dans le cadre d’une étude sur la sécurité du véhicule électrique, l’Ineris s’était penché en 2010 sur les différents incidents répertoriés dans la littérature.

L’objectif était d’évaluer la dangerosité des batteries de nouvelle technologie, en analysant la typologie des risques tout au long de la vie du produit. De la conception et de l’assemblage des cellules au recyclage et à l’élimination des batteries, en passant par le transport et l’émergence de nouveaux usages (véhicule électrique, stockage de forte capacité), les risques sont en effet démultipliés par la croissance constante de l’énergie embarquée et la multiplication des applications.

Ce rapport a croisé différentes sources, les principales étant la base Aria des accidents industriels du Barpi, celle des accidents aériens de la FAA (Federal Aviation Administration) et deux autres émanant d’organismes européens et américains de sécurité du consommateur, à propos des retraits du marché de batteries défectueuses.

Une technologie a priori maîtrisée

Si le rapport de l’Ineris retrace en 2010 une accidentologie liée au lithium-ion déjà significative, il rappelle également qu’elle n’est pas supérieure à celle des autres technologies de batterie rechargeable. Surtout, si ces accidents ont occasionné d’importants dégâts matériels, ils n’ont que rarement provoqué des blessés, et jamais de décès. Évoquant les campagnes de rappel massif de produits concernant l’électronique portable des années 2006 et 2007 (principalement des ordinateurs), le rapport note que la fiabilité semble devenue la règle.

En l’espace de trois ans, les défaillances de batteries neuves au lithium-ion étaient ainsi passées d’une probabilité d’occurrence de 1 cas pour 200 000 à 1 cas pour 10 millions. Les opérations de fabrication, de stockage et de recyclage de batteries lithium-ion enregistraient certes des sinistres significatifs, comme l’incendie majeur chez le fabricant Matsushita à Osaka (2007), mais nulle catastrophe d’ampleur du type d’AZF !

D’autres occurrences concernaient le transport aérien avec des alertes sérieuses, mais sans crash à la clé.

Le règlement international CEE-ONU R100 traite des prescriptions de sécurité spécifiques au groupe motopropulseur électrique des véhicules routiers, y compris les systèmes de batteries rechargeables. La 2e version révisée de ce règlement, obligatoire depuis 2016, a prescrit un certain nombre de nouvelles exigences sous formes de tests :

  • Vibrations : 3 heures à fréquence variable entre 7 et 50 Hz.
  • Choc thermique : stockage pendant au moins 6 heures à 60 °C, suivi de 6 heures à -60 °C. Cycle répété cinq fois, suivi d’un stockage à température ambiante ;
  • Choc mécanique : simulation de décélération en cas de choc, jusqu’à 28 G longitudinal et 15 G transversal ;
  • Intégrité mécanique : écrasement entre deux plaques, équivalent à 10 tonnes ;
  • Résistance au feu : exposition directe et indirecte à une flamme directe ;
  • Protection contre les courts-circuits externes ;
  • Protection contre les surcharges ;
  • Protection contre les décharges ;
  • Protection contre la surchauffe.

Feu de combustible simulé sur pack batterie Lithium - Crédit : CNPP

Les accumulateurs de forte puissance destinés aux véhicules électriques doivent subir un certain nombre de tests, dont celui de la résistance au feu. Il s’agit de préserver un minimum de temps pour l’évacuation des passagers et l’intervention des secours en cas d’incendie.

Panique dans le ciel

Au moins deux événements aériens consécutifs au rapport de l’Ineris viennent toutefois assombrir le tableau.

Le 3 septembre 2010, un Boeing 747-400F assurant le vol de fret UPS Airlines 6 reliant Dubaï à Cologne en Allemagne a subi un incendie en vol qui a provoqué l’écrasement de l’avion, tuant les deux membres d’équipage, seules personnes à bord. Le rapport d’enquête a indiqué que l’incendie était dû à l’auto-inflammation du contenu d’une palette de chargement, qui contenait plus de 81 000 batteries au lithium et autres matériaux combustibles.

En peu plus tard, c’est la FAA qui procède en 2013 à l’immobilisation de tous les vols du Boeing 787 Dreamliner après deux dysfonctionnements majeurs d’une batterie au lithium-ion équipant l’appareil.

Transport de matières dangereuses

La réglementation s’est progressivement emparée du problème, interdisant le transport de fret sur les vols commerciaux.

Concernant le transport, au titre de marchandises dangereuses les batteries lithium-ion doivent auparavant satisfaire tout un ensemble de tests avant de pouvoir prendre les airs : simulation d’altitude, test thermique, vibration, choc, court-circuit externe, impact, surcharge, décharge forcée.

Concernant les passagers, les mesures visent à limiter, voire interdire comme aux États-Unis, la présence en soute des batteries, et à limiter la puissance autorisée en cabine. Il est bon de remarquer que des procédures ont été définies par les autorités en cas de feu d’appareil électronique portable, que ce soit dans le cockpit ou en cabine. Des dispositifs spéciaux, housse ignifuge étanche, containers à sable, ont été prévus.

Les déboires de Samsung

Faut-il rappeler à cet effet l’interdiction d’embarquer en avion prononcée par les autorités américaines en 2016 à l’encontre des possesseurs d’un Samsung Galaxy Note 7 ? En 2011 déjà, c’était le prestigieux Apple qui battait le rappel des premiers iPod Nano, dont la batterie pouvait exploser.

Les grandes marques électroniques, lancées dans une course à la miniaturisation et à la puissance, font aussi les frais de ce grand emballement au lithium-ion. Le fait que la batterie des téléphones portables soit désormais soudée et non démontable indique aussi la méfiance des constructeurs envers les sous-marques génériques de batteries alternatives au modèle d’origine.

Une prudence que ne suivent pas les concepteurs de cigarettes électroniques, bien souvent équipées d’accumulateurs « no name » interchangeables.

Quel est l’intérêt du retour d’expérience fourni par le Galaxy Note 7 de Samsung ? Il montre comment une erreur de conception liée à la réduction de la taille des composants s’est soldée par un échec commercial.

Au début, le problème des batteries surchauffant semblait cantonné à un seul sous-traitant. La pochette de la batterie était tout simplement trop fine sur les bords, conduisant irrémédiablement à sa défaillance et au rapprochement des deux pôles.

Le second sous-traitant avait opté pour un design plus épais sur les bords. Mais très rapidement d’autres emballements thermiques sont apparus. Cette fois-ci, il ne s’agissait plus de la fine épaisseur de la batterie, mais de la soudure entre la cosse et l’électrode qui produisait des éclats. Ils se sont ensuite agrégés au niveau du séparateur.

Samsung a alors décidé d’arrêter la production jugeant que la confiance dans son produit avait été bien trop entamée.

Des précautions prises par les opérateurs

Les services postaux américains et japonais n’acceptent plus les colis arrivant par voies aériennes contenant des hoverboards, en raison des batteries au lithium qu’ils contiennent. Pour le fret aérien, les batteries au lithium de la cargaison doivent être chargées au plus à 30 %. Cela limite l’énergie embarquée en cas de défaillance, tout en assurant une charge minimale de sécurité.

En France, La Poste limite à la fois la puissance des batteries lithium contenues dans les colis (qui doit être inférieure à 100 Wh), ainsi que leur nombre (deux batteries au plus) et leur poids (5 kg maximum). En outre, les accumulateurs en vrac ou endommagés ne sont pas admis.

En 2017, la base Aria rapporte cet incendie dans un entrepôt de tri postal à Moissy-Cramoyel (Seine-et-Marne). À la suite d’une chute d’un pack de batteries d’outillage, un violent feu s’est déclaré dans un entrepôt de 33 000 m². Le sinistre a été circonscrit par le personnel, mais il a entraîné une perte d’exploitation de 20 000 colis triés.

Incendie versus électrocution

Plus récemment, la DGCCRF a tenu à alerter les consommateurs sur l’utilisation du téléphone portable, à la suite de trois décès enregistrés en France depuis 2019. Leur point commun ? Les trois victimes, prenant un bain, ont été électrocutées alors que leur téléphone en charge est tombé dans la baignoire.

Si le risque d’électrocution est cependant limité dans le cas des petits appareils électroniques mobiles, on change de dimension lorsqu’on considère un véhicule électrique. La quantité d’énergie en circulation, de l’ordre de 400 à 600 volts (soit plus de 100 fois la tension d’un téléphone portable), implique un surcroît de précaution.

C’est notamment le cas pour les secours, lorsqu’il s’agit d’intervenir sur un véhicule hybride ou électrique. En cas d’accident, la découpe d’une partie du véhicule est parfois nécessaire pour la désincarcération des victimes. Et en cas d’incendie, l’eau et l’énergie électrique ne font pas bon ménage. Tous les constructeurs ont ainsi prévu un dispositif d’urgence pour couper l’alimentation électrique des câbles du véhicule, afin que l’énergie reste cantonnée à la batterie lithium.

Grâce à l’application Euro Rescue développée par l’Euro NCAP et aux fiches de sécurité renseignées par les constructeurs selon la norme ISO 17840, les premiers intervenants sont aussi informés clairement des caractéristiques techniques de chaque véhicule.

Les batteries lithium ne dégagent pas d’hydrogène en charge, contrairement aux batteries au plomb-acide. Si bien que la réglementation s’est adaptée.

Depuis l’arrêté du 29 mai 2000 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à déclaration sous la rubrique n° 2925, les ateliers de charge d’accumulateurs dont la puissance totale était supérieure ou égale à 10 kW devaient être équipés d’une salle de charge spécifique.

Ce seuil a été porté à 50 kW par un décret de 2006 pour les batteries qui ne dégagent pas d’hydrogène. Un nouveau décret publié en 2019 précise une nouvelle réglementation concernant les batteries lithium-ion : la puissance chargeur à partir de laquelle il est obligatoire d’avoir une salle de charge passe à 600 kW de puissance courant continu. Au-delà de ce seuil de puissance, un endroit dédié (donc une salle de charge) est obligatoire pour faire charger ses batteries.

En passant de la technologie plomb au lithium-ion, moyennant un investissement plus onéreux, on limite grandement le recours contraignant à une salle de charge spécifique.

Tesla, icône de l’emballement technologique ?

Les constructeurs de véhicules électriques sont soumis à la réglementation CEE-ONU R100, couvrant la sécurité électrique des biens et des personnes contre les chocs électriques en utilisation. Dans ce cadre, les batteries sont soumises à divers stress-tests (voir plus haut “batteries pour véhicules électriques : 9 tests d’homologation”), censés éprouver tant la conception de la batterie et sa résistance à diverses contraintes, que l’efficacité du BMS.

Bien qu’Elon Musk, le propriétaire de Tesla, clame que ses voitures sont 10 fois plus sûres que des véhicules thermiques équivalents, il semblerait bien que certains modèles souffrent de la batterie. D’ailleurs, l’agence fédérale américaine en charge de la sécurité routière a ouvert une enquête concernant Tesla. Elle veut étudier un possible défaut à propos des batteries des Model S et Model X, qui pourraient s’enflammer sans qu’un quelconque accident en soit la cause.

Pour le stockage et la recharge des batteries lithium-ion de faible à moyenne puissance, il existe des armoires de sécurité dédiées. Elles comportent l’essentiel : parois coupe-feu, système de ventilation, alarme avec système de détection, d’alerte incendie et d’extinction intégrés.

Armoire de sécurité - Crédit : Asecos

L’électromobilité en hausse

Avec Tesla, assiste-t-on au même syndrome que le Samsung Galaxy Note 7 ? En 2010, l’Ineris annonçait que la batterie lithium-ion équipant les véhicules électriques ne présentait pas plus de danger que les réservoirs à carburant des véhicules thermiques.

Depuis, le marché de la mobilité électrique a explosé. En 2019, la part de l’électrique (en comptant les hybrides) représentait environ 200 000 voitures sur un parc automobile total de 39 millions. Les prévisions du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie visent 4,8 millions de voitures électriques en circulation en 2028, et 500 000 véhicules utilitaires légers.

Les forces d’intervention ont d’ores et déjà pris à bras-le-corps le phénomène de la mobilité électrique, en étudiant les techniques d’intervention adaptées. La mobilité électrique légère (vélos, trottinettes…) est aussi en forte croissance. Si l’énergie embarquée n’est pas aussi importante que dans les automobiles, la problématique du lieu de recharge et de la qualité des batteries de cette électromobilité douce reste entière.

Stockage d’électricité et fermes électriques

Avec le développement des énergies durables et l’impératif de décarbonation des activités humaines, on assiste à un développement du stockage d’électricité dans des accumulateurs à forte densité d’énergie. Il s’agit a minima de recyclage de batteries automobiles placées dans des bâtiments, voire de la mise en série de plusieurs éléments de forte puissance connectés au réseau électrique. C’est là encore la course au rendement.

Tesla a mis en service une ferme électrique de 100 MW en Australie, construite en seulement 100 jours. L’américain LS Power a répliqué fin août, en branchant une gigantesque batterie lithium-ion de 200 MW sur le réseau d’électricité du sud de la Californie. L’objectif étant de surseoir aux coupures d’alimentation dues aux surconsommations ponctuelles, notamment lors des déclenchements des climatiseurs en cas de forte canicule.

Emballement thermique en Arizona

En 2019 à Surprise dans l’Arizona, un emballement thermique d’une batterie lithium-ion d’une telle installation délivrant 2 MW a entraîné une explosion, blessant neuf pompiers. L’enquête a établi que le système d’extinction des équipements n’avait pas été prévu pour un tel scénario, et que les barrières techniques empêchant la propagation d’une défaillance d’une cellule aux autres étaient mal conçues. Cette mini-ferme de stockage était isolée en plein désert. Mais la multiplication de telles batteries-tampons à proximité d’agglomérations, voire dans des bâtiments de type ERP ou IGH, peut poser la question des systèmes de protection adaptés.

En attendant des études statistiques plus poussées sur l’accidentologie des batteries lithium-ion, la probabilité d’apparition d’un cygne noir reste difficile à établir. Une raison de plus pour rester vigilant, et redoubler de prudence dans les analyses de risques qui devront prendre en compte les forces, et les faiblesses, du Li-ion.


Article extrait du n° 566 de Face au Risque : « Lithium-ion : faut-il craindre l’emballement ? » (octobre 2020).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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