Les drones de sécurité à l’heure du redécollage
Après des années de croissance ralentie, les applications de sécurité pour les drones reprennent de la vigueur. Avec l’objectif que les dispositifs soient efficaces pour les Jeux olympiques de 2024.
Retour à l’optimisme
2022 met un terme à la tendance de plus en plus morose qui sévissait chez les concepteurs de drones pour la sécurité. Si la profession est de taille réduite, elle est extrêmement stratégique.
Les ventes de drones pour la surveillance de grands événements, de sites sensibles, d’incendies ou de catastrophes naturelles connaissent en effet un nouveau dynamisme. Elles devraient progresser de 12 % en 2022, après deux années très médiocres (+ 6 % en 2020 et + 5 % l’année suivante) comparées aux performances exceptionnelles de la précédente décennie, selon les statistiques récoltées par les publications En Toute Sécurité.
Ces croissances annuelles de + 20 % à + 90 % s’expliquaient par la jeunesse et la taille minuscule de ce marché qui n’a d’ailleurs pas encore franchi la barre des 100M€.
Les applications de sécurité se positionnent comme le second segment de marché des drones professionnels, avec 23 %, derrière les prises de vues aériennes pour les médias et le tourisme (25 %) et devant l’inspection d’ouvrages (22 %). Il paraît probable que les drones de surveillance deviennent la première application dans les prochaines années, car ce segment est plus dynamique que les autres.
La demande a été gelée durant la crise sanitaire, mais les donneurs d’ordres sont conscients de l’échéance des Jeux olympiques de 2024, durant lesquels les drones vont jouer pour la première fois un rôle déterminant pour assurer la sécurité de l’événement.
Les obstacles étaient nombreux pour un développement harmonieux de ce marché : des technologies pas encore totalement fiables, des prix élevés, une réglementation incomplète, des concepteurs de drones trop petits, sans moyens financiers et bien souvent à la vie extrêmement courte.
« les applications de sécurité se positionnent comme le second segment de marché des drones professionnels. »
Les forces régaliennes en première ligne
Néanmoins, des expérimentations ont été menées dans diverses entreprises ou organisations qui ont montré la pertinence de ce type de solutions. On pense par exemple à la SNCF, en pointe dans ce domaine pour éviter les vols de câbles, ou à Eurotunnel pour détecter les déplacements de migrants illégaux sur son site.
« Aujourd’hui, le marché a dépassé le stade des expérimentations et les technologies deviennent matures », nous déclare Philippe Boyadjis, le nouveau président de la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC), élu l’été dernier.
« Sur le créneau de la sécurité, nous ne sommes plus dans la phase du développement des produits, mais celle des déploiements sur le terrain », renchérit Anne-Marie Haute, vice-présidente de l’Adif (Association des drones de l’industrie française), créée durant l’été 2021 et présidente de Pilgrim Technology, spécialiste des drones et robots d’inspection. Elle souligne que la réglementation datant de janvier 2022 permet désormais les vols de drones autonomes hors vue, qui sont essentiels dans la sécurité.
Il importe à l’utilisateur de bien définir ses besoins, car on trouve des drones de 300€… à 300 000€, sachant que le cœur du marché se trouve entre 20 000 et 50 000€. « Le drone est devenu un vrai outil grâce à l’évolution de la partie logicielle, mais il reste encore des améliorations à faire dans le traitement des données, un aspect vraiment important pour les applications de sécurité », ajoute le président de la FPDC.
Il s’avère que les forces régaliennes sont devenues d’importants opérateurs de drones, ayant dépassé le stade de l’hésitation sur la pertinence des solutions.
Novadem apparaît comme un des ténors sur ce segment de marché avec la fourniture de plus de 150 microdrones au ministère des Armées depuis trois ans, tandis qu’il vient également de livrer 70 machines aux bataillons de la force conjointe du G5 Sahel pour des missions de renseignement et de protection de jour comme de nuit.
Thales, leader de l’électronique de défense, s’est positionné sur des drones de surveillance de taille plus importante et bénéficiant donc de davantage d’autonomie de vol et de capacité de transport d’équipements sophistiqués.
De son côté, le ministère de l’Intérieur s’est montré très en pointe dans l’utilisation des drones, notamment pour surveiller les manifestations sur la voie publique ou le respect des règles de confinement durant la crise sanitaire. Une pratique qui a été sanctionnée par la Cnil en janvier 2021, car les machines permettaient d’identifier les individus. « À ce jour, aucun texte n’autorise le ministère de l’Intérieur à recourir à des drones équipés de caméras captant des images sur lesquelles les personnes sont identifiables », soulignait à l’époque la Commission.
Depuis le début 2022, la loi autorise cette possibilité pour la Police et la Gendarmerie, mais le Conseil constitutionnel l’a refusé pour les polices municipales. La nouvelle loi autorise également les pompiers et les associations de sécurité civile agréées à utiliser des drones lors de leurs interventions. Ils peuvent fournir une vue d’ensemble d’un sinistre ou s’approcher des flammes, permettant au centre de commandement d’analyser la situation et de transmettre des ordres plus rapidement.
Le vent en poupe pour la lutte anti-drones malveillants
Dans le sillage des drones, un marché voisin s’est développé extrêmement rapidement depuis quelques mois seulement : la lutte contre les drones malveillants. On se souvient des survols de centrales nucléaires ou de bases militaires par des drones inconnus.
« Avec la croissance exponentielle du nombre de drones, ce sujet va devenir très prépondérant dans l’avenir : la menace est diffuse et omniprésente », affirme Lucas Le Bell, président de Cerbair, un des spécialistes de la lutte anti-drone. Un rapport du Sénat affirme que le parc français de drones civils s’élève à 2,5 millions, dont 400 000 de plus de 800 grammes.
Il n’existe pas de « solution miracle avec un taux de réussite garanti à 100 % et les dispositifs actuels seront obsolètes dans deux ans », met en garde le dirigeant. D’autant plus qu’une attaque peut provenir non d’un seul drone mais d’un essaim de plusieurs dizaines de machines. Difficiles à détecter et à détruire simultanément !
La lutte anti-drone rassemble des technologies différentes : les communications radiofréquences, les radars, les caméras infrarouges et les capteurs acoustiques, pour détecter le drone. Il faut ensuite « analyser » la menace puis neutraliser la machine. Pour cette dernière tâche, on peut utiliser des équipements de brouillage pour détourner le trajet du drone et le clouer au sol, casser la liaison informatique avec la station de commande du drone, utiliser un projectile ou un filet, ou encore une arme à énergie dirigée, c’est-à-dire un laser.
L’utilisation des solutions de lutte anti-drone est réservée à un tout petit nombre d’acteurs appartenant à l’univers du régalien : Police, Gendarmerie, forces armées, douanes et administration pénitentiaire. Hors de ces structures, il faut obtenir une dérogation préfectorale. Souvent survolées par des drones visant à aider les détenus (livraison de stupéfiants, d’armes ou de cartes SIM), les prisons ont récemment trouvé la parade. Un contrat a ainsi été passé début 2022 avec Cerbair (pour la détection radiofréquence) et Keas (pour le brouillage électromagnétique) afin d’implanter des solutions anti-drones dans plusieurs dizaines de prisons.
Au printemps, le plus important contrat jamais signé dans ce domaine très pointu a été passé entre la DGA (Direction générale de l’armement) et un consortium mené par Thales et CS Group. D’un montant de 35 M€ pour une durée globale de onze ans, le système, baptisé Parade, vise à détecter et neutraliser les micro et mini-drones sur des sites sensibles. Il pourra également être utilisé d’une manière temporaire sur des sites civils et notamment pour des grands événements comme la Coupe du monde de Rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024. À noter que le consortium inclut des PME comme Exavision, Cerbair, MC2 Technologies et le néerlandais Robin.
Une attaque de drones peut provenir d’un essaim de plusieurs dizaines de machines difficile à détecter et à détruire.
Des acteurs fragilisés
Le fait que des grands groupes industriels comme Thales ou Airbus se soient lancés sur ce marché contribue à crédibiliser une profession essentiellement composée de start-up ou de micro-structures éphémères.
Si l’on recense plus de 10 000 opérateurs de drones à usage professionnel, il en existe plus d’une centaine sur le seul créneau de la sécurité, ce qui est beaucoup pour ce petit marché.
« Étant dans une phase transitoire en matière de réglementation, les opérateurs n’ont pas une visibilité correcte sur l’avenir, si bien qu’ils ne savent pas quand ils vont rentabiliser leurs investissements », affirme Philippe Boyadjis, le président de la FPDC.
Ce morcellement génère aussi une concurrence sauvage qui ne contribue pas à la maturité de la profession. 39 % seulement des entreprises de drones de surveillance ont été rentables en 2021, selon l’Atlas d’En Toute Sécurité, soit le plus mauvais pourcentage de toute la filière de la sécurité. Une telle situation n’est pas tenable sur le long terme.
D’ailleurs, on note plusieurs sociétés de drones qui arrêtent leur activité dans la surveillance, car ce segment est trop complexe à appréhender pour des petites structures, notamment le fait de solliciter des grands comptes publics. C’est le cas de Phodia et Drone Technologies (ex-Drone RC). D’autres sont en liquidation comme Helper Drone, tandis que le groupe industriel Cnim, présent dans ce domaine, est en redressement judiciaire depuis le printemps 2022.
Autre signe des difficultés de ce secteur : Delta Drone, qui a fait de la sécurité un de ses axes de développement, a échoué coup sur coup à conclure deux opérations majeures. Fervent partisan des synergies entre les drones et les agents de sécurité, il annonce en février 2022 l’annulation de son projet de rachat de la société de surveillance humaine Weesure. Deux mois plus tard, la prise de participation de 45 % par le canadien Volatus Aerospace est annulée.
L’heure de la maturité de cette profession extrêmement mouvante n’est pas encore arrivée.
« 39 % seulement des entreprises de drones de surveillance ont été rentables en 2021, soit le plus mauvais pourcentage de toute la filière de la sécurité. »
Article extrait du n° 587 de Face au Risque : « Sûreté des JO 2024 : le grand saut » (novembre 2022).
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