Incendie de Bolloré Logistics : le BEA-RI met en avant l’emballement thermique d’une batterie Li-ion polymère

11 avril 20259 min

Un peu plus de 2 ans après l’incendie ayant affecté un entrepôt près de Rouen, l’enquête du Bureau d’enquêtes et d’analyses sur les risques industriels (BEA-RI) décrit le scénario supposé du sinistre. Le retour d’expérience, qui fournit des enseignements de sécurité très instructifs sur le stockage des batteries lithium-métal-polymère (LMP), est assorti de plusieurs recommandations.

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Le 16 janvier 2023 à Grand-Couronne (Seine-Maritime), trois cellules d’un entrepôt logistique qui en comportait quatre partent en fumée. Ce feu long et intense, qui aura mobilisé 150 pompiers et plus de 80 engins au plus fort, nécessitera 2 jours de lutte et de surveillance pour pouvoir être déclaré éteint.

Un événement dont l’ampleur aura ravivé la mémoire de l’incendie majeur de Rouen du 26 septembre 2019, qui s’était déroulé sur un site Seveso à quelques kilomètres de là.

Un entrepôt logistique sprinklé

L’entrepôt logistique de Grand-Couronne, soumis notamment à enregistrement pour la rubrique 1510, disposait d’un système d’extinction automatique par « sprinklage de type ESFR, dimensionné en application du référentiel NFPA 13 » précise le rapport d’enquête.

Le départ de l’incendie a été identifié dans la cellule 1 de 5900 m² louée par la société Bolloré Logistics, où elle entreposait principalement 892 tonnes de batteries de technologie LMP, « 1300 packs » et « 11 000 modules » conditionnés dans des caisses en bois. Le feu s’est ensuite propagé à deux autres cellules, l’une contenant des pneumatiques et l’autre des produits divers (palettes et textiles). La quatrième cellule sera préservée.

La publication de l’enquête du BEA-RI intervient alors que les opérations de déblaiement des déchets viennent seulement de commencer sur le site et que la question de la pollution des eaux souterraines demeure.

L’enquête du BEA-RI et la sollicitation de l’Ineris

Les agents du BEA-RI ont conduit leur enquête en procédant à des relevés directement sur le terrain après sinistre, et en exploitant les témoignages des personnes présentes (salariés, pompiers…) recoupés avec les séquences enregistrées par les caméras de vidéosurveillance.

Le BEA-RI a sollicité l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) afin d’éclairer plusieurs points spécifiques de l’enquête. L’Ineris a ainsi procédé à des tests avec des éléments de batterie fournis par le fabricant. L’objectif était de reproduire les conditions de l’incendie afin « de mieux appréhender les causes et effets de la réaction de ces batteries ».

L’analyse de l’Ineris a était complétée par une étude de modélisation d’un incendie de cellule de stockage de batteries. L’objectif pour le BEA-RI a été de comparer les résultats obtenus aux préconisations usuelles de sécurité de la rubrique 1510 pour un type de feu connu (feu de palettes). Et d’en déduire si ces préconisations paraissent adaptées dans le cas d’un feu de stockage de batteries qui s’apparente à un feu de métaux spécifique.

Le rapport d’appui technique de l’Ineris, un document de 200 pages, figure en annexe du rapport d’enquête du BEA-RI.

L’emballement thermique, hypothèse privilégiée

Sur la base des observations de terrain et des témoignages recueillis, le BEA-RI a exclu les pistes des causes externes à l’installation et de la malveillance pour expliquer le départ du feu. Même si une part d’incertitude demeure, les enquêteurs privilégient l’emballement thermique d’un module comme source de l’incendie, confortés par la corrélation entre certains éléments observés et les tests pratiqués par l’Ineris. Sur ce dernier point en effet, « les essais apportent enfin la certitude qu’il suffit de l’emballement thermique d’un module pour provoquer l’incendie généralisé de la cellule ».

Cependant, il n’est pas possible de remonter à la cause première de cet emballement thermique, malgré les analyses de l’Ineris. Les enquêteurs ne peuvent donc pas conclure si l’emballement résulte d’une agression mécanique, d’une élévation de température externe ou d’un défaut interne d’un module de l’une des batteries LMP.

La technologie LMP en cause ?

Concernant le dernier point évoqué et la fiabilité de la technologie LMP, le BEA-RI ne statue pas. En introduction, il rappelle qu’« en termes de sécurité, elle présente l’avantage de ne contenir aucun électrolyte liquide à température ambiante ce qui peut présenter un intérêt dans la mesure où ces électrolytes, généralement constitués de produits inflammables, peuvent fuir ou s’enflammer. Elle est en outre moins sensibles aux chaleurs excessives ».

Sur la base des tests de l’Ineris, le BEA-RI constate néanmoins qu’« à l’échelle de la cellule électro-chimique le débit calorifique d’un module peut notablement varier, du fait notamment de l’absence de séparation physique entre cellules qui permet une propagation plus rapide dans le cas du module LMP testé ». Les enquêteurs en tirent des recommandations à l’attention du fabricant pour réfléchir à des dispositifs techniques visant à ralentir la propagation de l’emballement thermique.

Le rapport mentionne également la possibilité qu’une partie du stockage des batteries LMP soit constitué d’éléments défaillants provenant des bus ou des automobiles commercialisés par le groupe Bolloré.

Des phénomènes dangereux à forte cinétique

Une fois l’emballement thermique déclenché, le rapport d’enquête décrit le scénario de l’incendie dans ses conclusions : « le phénomène d’emballement est particulièrement violent et rapide, les températures atteignent les 1600°C en quelques secondes et les fumées produites sont importantes ».

Concernant la puissance du feu et les effets thermiques associés, le BEA-RI complète avec les essais menés par l’Ineris : « les températures maximales mesurées de l’ordre de 1 600 °C, éloignées de celles des feux d’hydrocarbures qui culminent entre 1 000 et 1 200 °C, mettent en évidence une réaction très violente caractéristique des feux de métaux. Les émittances évaluées à partir des flux maximaux mesurés par les fluxmètres (170kW/m²) sont caractéristiques de flammes très rayonnantes ».

Des phénomènes de « flashs lumineux », « de jets » enflammés et de « coulées de métaux/résidus en fusion », favorisent la propagation du feu. Ils s’accompagnent de « dégagements importants de fumée » et d’émissions importantes de gaz.

A propos des phénomènes d’explosion à l’extérieur de la cellule 1 relatés par les pompiers et observés sur les enregistrements vidéos, le BEA-RI écarte l’action des modules enflammés sur la base des essais de l’Ineris. Les enquêteurs indiquent que la présence de dispositifs d’airbag dans la cellule 1 pourrait en être à l’origine.

Ces phénomènes, outre leur impact sur la sécurité des intervenants, ont eu des effets sur la propagation du feu, sur l’affaiblissement des structures et des protections passives, ainsi que sur les installations d’extinction automatique et de désenfumage.

Une protection insuffisante compte tenu du stockage

Le BEA-RI mentionne que l’installation d’extinction automatique de l’entrepôt avait été dimensionnée « en application du référentiel NFPA 13 de 2010 pour des marchandises de type matière plastique non expansée pour une hauteur de faîtage de 12,45 m et une hauteur de stockage de 10,7 m ». Plus précisément, « le système est dimensionné pour alimenter un maximum de 12 sprinklers avec une pression donnée pendant 1 heure ».

Au contraire du système d’extinction équipant la cellule 2, modifié en 2020 pour tenir compte de la nature du stockage de pneumatiques, le rapport spécifie qu’« aucune évolution n’avait été apportée au système de sprinklage de la cellule 1 pour tenir compte de la spécificité des incendies de batteries LMP, non portée à la connaissance du propriétaire, ni par le locataire de la cellule, ni par le fabricant des modules ».

Outre la nature du stockage évoquée plus haut (modules LMP potentiellement défaillants), la quantité de modules stockés dans la cellule 1 est aussi pointée du doigt : « l’ampleur, la durée et les conséquences de l’incendie de la cellule 1 sont directement liées à la quantité de modules qui était présente dans la cellule ». Le BEA-RI constate « une augmentation quasi exponentielle sur les trois dernières années du nombre d’unités entreposées sur le site de Rouen. »

L’action du sprinkleur et les effets de l’extinction à l’eau

Sur la base des essais menés par l’Ineris, le BEA-RI conclue que le mode de stockage a aussi été déterminant dans la propagation du feu et l’efficacité du système d’extinction automatique : « le système d’extinction, compte-tenu du mode de stockage, ne pouvait empêcher l’embrasement généralisé de la cellule. En revanche, ces mêmes essais ouvrent des perspectives en matière de dispositif de lutte contre ce type d’incendie notamment par un usage adapté du sprinklage ». Il en résulte des recommandations à destination du fabricant de batteries LMP relatives à la façon d’organiser les racks et le conditionnement des modules, au dimensionnement des dispositifs de sécurité et à la mise au point d’un système d’extinction automatique adapté au mode de stockage retenu.

Enfin le BEA-RI relève, s’appuyant toujours sur les analyses de l’Ineris, que « l’aspersion d’eau modifie sensiblement la composition des émissions ». La réactivité de l’eau avec le métal en fusion conduit à des émissions de « gaz toxique/inflammable/pyrophorique que sont l’acétylène (C2H2), la phosphine (PH3) et probablement le dihydrogène (H2). (…) Ceci rend, les derniers moments de l’extinction, et plus généralement la gestion post accidentelle, complexe et nécessitant une protection adéquate des intervenants ».

Au terme de sa description du scénario de l’incendie et des six enseignements de sécurité retenus, le BEA-RI formule dix recommandations adressées au fabricant de batteries LMP, à l’exploitant de l’entrepôt et à l’autorité réglementaire.

En savoir plus

Le rapport du BEA-RI sur l’incendie de batteries Li-ion polymère au sein de l’entrepôt Highway France Logistics 8 est disponible dans sa version intégrale.

Retrouvez également tous les rapports du BEA-RI dans notre rubrique « Rapports ».

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Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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