Feu sacré et couvant à Montpellier

12 mars 202513 min

Le 11 décembre 2024, alors que des travaux de réfection de terrasse ont lieu, un incendie se déclare dans la couverture de l’église contemporaine des Saints-François à Montpellier. Sa conception architecturale contribuera à alimenter un feu qui va mobiliser une centaine de sapeurs-pompiers durant vingt-quatre heures !

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Le premier appel émanant des ouvriers effectuant des travaux sur la couverture parvient au CTA-Codis à 9h27. Il entraîne l’envoi d’un « groupe incendie » constitué de deux engins-pompe, une échelle aérienne, un chef de groupe et un VSAV. À l’arrivée du premier détachement, le secteur baigne dans un brouillard de fumée épais.

L’incendie

Aucune flamme n’est visible. La fumée s’échappe de la toiture concave qui forme en même temps la façade latérale et le toit, la face opposée étant constituée d’un haut mur de béton sur lequel elle s’appuie. Dix minutes plus tard, un second groupe incendie est demandé. Le risque de propagation à l’ensemble de l’édifice n’est pas à écarter, et la lutte contre la progression du feu dans cette toiture multicouches va demander du temps et des moyens…

Le feu intéresse la sous-surface de la toiture avec des difficultés d’accès. De nombreuses archives et œuvres sont alors à protéger. Il faut « éplucher » plusieurs centaines de mètres carrés de revêtement, constitué d’une couche de couverture en cuivre, posée sur un platelage de bois, lui-même soutenu par un quadrillage de chevrons, entre lequel est disposé un remplissage de laine minérale. Un bardage d’acier nervuré constitue la dernière couche. Cette « peau » est posée sur une ossature métallique en treillis, visible depuis l’intérieur de la nef. Trois blocs à la courbure différente constituent le flanc et la toiture.

L’accessibilité à la toiture est complexe. Verticale à sa base, elle s’arrondit à son sommet. Il faut tenter de réaliser des lignes d’arrêt en ouvrant cette peau, avant que le feu n’occupe sa totalité. Les moyens de découpe d’un véhicule de secours routier vont être employés, mais il faudra bientôt demander une cellule « sauvetage-déblaiement » disposant de moyens de découpe des différents matériaux, plus adaptés.

La zone de départ de feu est sur une terrasse R+1. Une première lance attaque le feu à cet endroit, mais les fumées fusent entre la couverture de cuivre bien plus haut, en s’évasant. Deux lances sur échelle sont établies, permettant d’entreprendre un début de dégarnissage plus haut. Mais le feu s’étend, marqué par endroits par la décoloration du cuivre. Un drone équipé d’une caméra thermique est alors engagé. Avant midi, le déplacement d’une statue de 500 kg de la Vierge Marie, directement menacée, est effectué. Elle est déplacée dans un établissement scolaire voisin. Les archives de l’église seront elles aussi déplacées, tandis que l’autel et l’orgue monumental seront bâchés.

Feu sacré et couvant à Montpellier - Dessin René Dosne

En milieu d’après-midi, le difficile dégarnissage de la couverture, pour mettre à jour la couche de bois qui se consume, se poursuit, tandis que des trouées sont effectuées en partie haute de l’édifice pour éviter une accumulation de gaz chauds pouvant conduire à un embrasement.

Une « main courante » est installée au faîte de la toiture pour sécuriser la progression des personnels travaillant sur les parois très inclinées.

Des prélèvements d’air sont effectués dans le cadre de la protection des populations, les fumées de ce feu au tirage faible stagnant sur le quartier. Aucun toxique ne sera relevé. Cinq lances sont en manœuvre de manière intermittente. Mais la durée d’intervention entraîne tout de même d’importants ruissellements d’eau dans l’église, dont le bardage d’acier est ajouré. Des équipes raclent alors inlassablement le sol pour rejeter l’eau à l’extérieur.

Une fois la nuit tombée, l’opération devient plus dangereuse, et c’est à la lueur des projecteurs que les pompiers poursuivent l’extinction de l’incendie. Il faut découper les feuilles de cuivre, acérées, arracher le platelage de bois, le feu mis à jour se réactivant, et parfois, tout cela en équilibre instable.

Le feu va consumer deux des trois blocs constituant la toiture, montant en diagonale vers le clocher de béton, bien isolé, puis redescendant jusqu’au sol. Il faudra attendre 1h18 du matin, soit seize heures après l’alerte, pour se déclarer « maître du feu ». L’incendie sera finalement déclaré éteint près de huit heures plus tard. Ces délais illustrent les difficultés rencontrées au cours de cette intervention hors normes. Cinq sapeurs-pompiers auront été légèrement blessés. On décompte notamment des coupures, des blessures aux yeux, ou des intoxications… Plus de 400 mètres carrés de couverture auront été détruits ou parcourus par le feu.

En images, l’intervention des pompiers du Sdis 34, le 11 décembre 2024 à Montpellier.
© Sdis 34.

Enseignements

Les feux d’églises ou de cathédrales « traditionnels », tels que la basilique de Nantes ou Notre-Dame-de-Paris suivent un schéma type lié à leur architecture historique, et à la répartition du bois dans la construction, les meubles et les accessoires. Il y a généralement un feu de comble, des chutes de matériaux dans la nef et un risque de montée du feu dans les clochers. Le feu d’église de Saint-Omer suit ce schéma avec, à la différence des deux premiers, le feu généralisé du clocher, en bois, à l’extrémité de la nef, et son effondrement. Ces risques d’effondrement, qui obligent à instaurer un large périmètre de sécurité, amoindrissent l’efficacité des moyens aériens, ou des lances au sol, obligés de s’écarter, s’incliner, et diminuer leur hauteur d’emploi.

Les feux d’établissements de culte contemporains ne répondent plus à ce schéma. Moins monumentaux, souvent d’une architecture audacieuse, symbolisant une envolée spirituelle, ils possèdent souvent une toiture ou une sculpture aux formes complexes faisant appel au voile de béton, à la toiture multicouches sur charpente bois lamellé-collé, ou sur charpente en treillis métalliques épousant les formes. Les clochers sont souvent indépendants, détachés de la nef. En Norvège, deux églises aux formes géométriques s’élançant vers le ciel, dont une R + 6. Toutes deux sont en bois. Ici, la nef est constituée d’un mur de béton de 35 mètres de long sur une quinzaine de mètres de haut. Sur ce rectangle viennent s’appuyer trois blocs incurvés en poutrelles d’acier, en forme d’arc supportant la toiture. Plus de 400 mètres carrés ont été détruits. L’origine du feu, soumise à enquête, se trouverait à la jonction terrasse/toiture, où des travaux d’étanchéité utilisant une flamme nue étaient en cours depuis plusieurs jours. La veille, en fin de matinée, un brouillard envahit la nef, accompagné d’une forte odeur de fumée alors que les ouvriers sont présents. Le personnel paroissial ventile les lieux, aucun feu n’est alors détecté. Les ouvriers quittent les lieux.

Le lendemain, ce sont les ouvriers qui donnent l’alerte. Le prêtre est alerté par un commerçant du voisinage qu’une fumée s’échappe du toit. Lorsque les pompiers se présentent, le feu se développe à partir de ce point initial terrasse/toiture. Pour les pompiers, la problématique est la suivante : combattre un feu quasi invisible, (les flammes sont rares), sur une « façade-toiture » bombée interdisant une progression autre qu’à partir d’échelles, par des sapeurs-pompiers harnachés et sécurisés, après pose d’une « longe » par les spécialistes sauvetage-déblaiement.

Il faut littéralement « éplucher » cette grande surface courbe pour y traquer les foyers se développant dans les pièces de bois. Mais il faut éviter que tous ces gaz chauds et fumées rampant sous le cuivre ne se rassemblent dans la partie supérieure de la structure et ne provoquent un embrasement généralisé. Outre le désenfumage de la nef, les pompiers vont pratiquer des trouées dans la partie haute de la couverture pour désamorcer ce processus. La découpe des plaques de cuivre, puis du platelage de bois, est complexe. Initialement réalisée avec le matériel de secours routier, elle est complétée par des tronçonneuses aux disques adaptés. L’utilisation d’échelles aériennes « pendulaires » au dernier plan coulissant articulé sera déterminante pour permettre d’atteindre la majorité de la surface, ce que les échelles traditionnelles ne permettaient pas. Une troisième échelle sera positionnée dans la rue latérale pour « attendre le feu » en partie haute.

Les pompiers ont pu positionner des engins dans deux rues situées de part et d’autre de l’édifice. © Sdis 34

Les pompiers ont pu positionner des engins dans deux rues situées de part et d’autre de l’édifice. © Sdis 34.

On utilisera par ailleurs, pour déchirer la carapace recouvrant le feu, des câbles attachés aux feuilles de cuivre et reliés à des tireforts, eux-mêmes amarrés aux troncs d’arbres de l’avenue.

Par ailleurs, l’emploi d’un drone sera particulièrement précieux, car doté d’une caméra thermique permettant de suivre la progression du feu à cœur. Il sera aussi utilisé pour produire des vues aériennes, et la nuit tombée, l’éclairage ponctuel de certaines zones. Un robot d’extinction sera envoyé, mais gardé en réserve. Au plus fort de l’action, cinq lances seront employées, deux sur échelles et trois au sol, la durée de l’intervention entraînant d’inévitables ruissellements dans la nef.

Sauvegarde des œuvres

Dès le début de l’intervention, le volet « préservation des œuvres » est initié. Le prêtre indique aux sapeurs-pompiers les biens les plus précieux menacés, à bâcher, comme l’autel et l’orgue, à déplacer, comme les archives de la sacristie et quelques œuvres d’art. Une statue de la Vierge de 500 kg, menacée par le feu et les écoulements, est protégée par du papier bulle, puis couchée sur une palette et conduite par un transpalettes dans un autre lieu.

Il existe à Montpellier un plan de sauvegarde des biens culturels et cultuels. Dans ce cadre, des lots de protection sont situés dans des lieux sensibles, (cathédrale, musées, hôtels particuliers, fac de médecine…). Le matériel de protection et de déplacement des œuvres est fourni pour cette intervention par un musée.

Les pompiers ont pris soin de protéger le patrimoine de l’église. © Sdis 34.

Les pompiers ont pris soin de protéger le patrimoine de l’église. © Sdis 34

Enfin, puisque l’eau finit toujours par avoir sur le feu le dernier mot, quatre véhicules de protection fournissent le matériel nécessaire pour le fastidieux raclage de la nef, permettant de rejeter à l’extérieur les flots souillés. Le bilan fait état de cinq pompiers légèrement blessés. Si la structure porteuse de l’église n’a pas été impactée par ce feu couvant, toute la couverture est à remplacer. Il ne restait au lendemain du feu qu’une toiture pelée et un enchevêtrement de feuilles de cuivre au sol. Celles-ci seront progressivement subtilisées, la revente de cuivre volé étant une activité lucrative.

Achevée en 1997, l’église est située à l’emplacement d’un autre lieu de culte beaucoup plus imposant, élevé à la fin du 19ᵉ siècle (1895), et détruit en 1995, car objet d’un arrêté de péril. Sur le même emplacement, en zone urbaine montpelliéraine, sera alors construite une autre église, plus réduite et intégrée à un programme immobilier.

L’édifice est en angle de rue et occupe une surface au sol de moins de 1 000 m². Essentiellement en béton pour ses parois et acier pour sa charpente en treillis, il est fait de trois arcs accolés en treillis métallique partant du sol jusqu’au sommet, où ils s’appuient sur un mur de béton. La couverture est constituée de quatre couches, bardage d’acier ajouré, quadrillage de chevrons en bois emplis de laine minérale, platelage de bois, et enfin couverture de cuivre. Un clocher en béton est accolé à la nef, soutenant un ensemble de cloches extérieures. Enfin, un petit appartement, vidé et inséré dans le clocher, est accessible par un escalier. L’église est reliée sur deux faces à un ensemble immobilier R+3 et R+5.

ERP type V (établissement de culte), de 3e catégorie, l’église est défendue par des extincteurs portatifs. Sa surface en trapèze comporte des accès sur trois de ses faces, et le sommet de la nef comporte un dispositif de désenfumage, au droit de l’autel. Le premier centre de secours est à trois kilomètres environ, et des poteaux d’incendie sont implantés à proximité du sinistre. L’établissement ne fait pas l’objet d’un plan Etare.

Nous avons relaté deux incendies de lieux de cultes dans nos colonnes, au cours des quarante dernières années. Ces événements semblent de plus en plus fréquents, avec une recrudescence des départs de feux, dont 30 % environ ont pour cause des travaux par point chaud. L’incendie de la basilique Saint-Donatien à Nantes (Face au Risque n° 516) et l’incendie de Notre-Dame-de-Paris (Face au Risque n° 553) sont des feux d’églises traditionnelles, avec une nef en forme de croix à grande hauteur sous voute, (25/35m ou plus), une ou deux tours intégrées, une charpente en bois triangulaire, etc.

Le feu dans ce type d’édifice suit un schéma traditionnel : feu de comble, retombée du feu dans la nef par chute de matériaux enflammés et montée du feu dans les beffrois de bois soutenant le système de cloches.

Lors de la retombée du feu en nef, les orgues, de grande hauteur et représentant un grand volume combustible, peuvent être atteints par les chutes de matériaux et produire un violent feu.

Le feu généralisé de l’église de Saint-Omer, en septembre 2024, de construction traditionnelle, s’est soldé par la destruction complète de la charpente, du clocher bois, et de l’intérieur de la nef. Les constructions accolées sur deux de ses faces ont pu être préservées. Le clocher s’est effondré dans l’emprise de la nef. Les feux d’églises contemporaines, à l’architecture souvent audacieuse, sont régis par la forme de l’édifice et la nature des matériaux qui les composent.

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Article extrait du n° 606 de Face au Risque : « Batteries au lithium : l’emballement thermique » (mars-avril 2025).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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