Sécuriser les missions à l’international

11 mars 20259 min

Béatrix Renaut est responsable sûreté pour la région Europe du Sud chez International SOS, entreprise française spécialisée dans la gestion des risques santé et sûreté à l’international. Elle dresse pour nous les risques sûreté à anticiper et met l’accent sur la prévention.

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Quel est votre rôle chez International SOS ?

Béatrix Renaut. Je conseille nos organisations clientes sur l’accomplissement de leur devoir de protection des collaborateurs à l’étranger. Au-delà de gérer les risques sécuritaires au cas par cas, je les accompagne sur la manière d’avoir une véritable gouvernance de la sûreté en place au sein de leur organisation et sur la mise sur pied de politiques, de procédures qui vont, de manière structurelle, réduire l’exposition aux risques des collaborateurs qui doivent se déplacer à l’étranger.

Béatrix Renaut, responsable sûreté pour la région Europe du Sud chez International SOS © International SOS

« Dans 80 % des cas, nos clients nous contactent pour de l’information ou du conseil. C’est plutôt une bonne nouvelle (…) l’accent est vraiment mis sur la prévention. »

Béatrix Renaut, responsable sûreté pour la région Europe du Sud chez International SOS.

Quels sont les besoins de vos clients en matière de sûreté ?

B. R. Dans 80 % des cas, nos clients nous contactent pour de l’information ou du conseil. C’est plutôt une bonne nouvelle, on n’est pas systématiquement contactés pour un problème. C’est illustratif de la façon dont la sûreté est pratiquée aujourd’hui, l’accent est vraiment mis sur la prévention. Toutes les mesures qui peuvent être prises en amont pour minimiser l’occurrence du risque, la probabilité qu’il se matérialise, sont primordiales. L’une des mesures phares de la prévention est l’information. Nous jouons un rôle clé dans l’information des voyageurs et des managers qui préparent les missions à l’étranger. Nous mettons à leur disposition des informations fiables, pratiques sur les risques sécuritaires qui peuvent advenir à l’étranger. Par exemple en ce moment, on est beaucoup sollicités sur Israël en raison des différents cessez-le-feu qui sont en vigueur dans la région. Un certain nombre de clients nous demandent ce que nous préconisons en matière de déplacements, si ceux-ci peuvent reprendre. Nous analysons la situation sécuritaire, nous la décrivons et donnons nos conseils. Mais nous ne sommes jamais le décideur final. Cela reste de la responsabilité de l’organisation.

Comment collectez-vous ces informations ?

B. R. Il est certain que sécuriser une information, s’assurer de sa fiabilité à l’ère de la désinformation, est tout un enjeu. Nous avons six centres régionaux de sûreté à travers le monde qui ont chacun une zone géographique sur laquelle ils sont spécialisés. Dans ces centres, il y a des équipes qui, avec des outils d’intelligence artificielle et toujours avec un regard humain, détectent en permanence les événements en cours ou à venir pouvant avoir un impact sur la logistique ou la sûreté des collaborateurs. Nos informations proviennent des réseaux sociaux, des médias locaux ou régionaux, mais aussi de nos collaborateurs d’International SOS présents dans 90 pays, de nos divers partenaires sur le terrain (sociétés de sécurité privée, personnels de sûreté…), des représentations diplomatiques… Donc, 24 heures sur 24, les informations remontent à nos analystes qui les filtrent, et recoupent les sources pour les confirmer.

Par quels moyens prévenez-vous vos clients en cas d’événements à risque ?

B. R. Une fois les informations confirmées, nos analystes émettent des alertes destinées à nos clients. Elles notifient qu’un événement est en cours. Il peut être de nature sociopolitique : une manifestation qui perturbe la voie publique ou qui se transforme en affrontements avec les forces de l’ordre, une attaque terroriste… Ces alertes peuvent également notifier un événement à venir : une élection, un phénomène climatique, une grève… tout ce qui peut avoir un impact sur la mission des clients et quel que soit le niveau de sévérité de l’événement.

En moyenne, nous en émettons 40 par jour à l’échelle mondiale. Elles résument le fait, le contexte et surtout donnent des conseils pour les personnes se trouvant sur place. De son côté, le client peut filtrer les alertes en fonction des zones géographiques et du niveau de sévérité qui l’intéressent.

La carte des risques 2025 met en lumière un monde fragmenté avec des crises qui se superposent continuellement. © International SOS.

La carte des risques 2025 © International SOS

Malgré la prévention, si affûtée soit-elle, des problèmes arrivent en mission à l’étranger.

B. R. Le risque zéro n’existe pas, donc effectivement, nous sommes aussi contactés par nos clients lorsqu’un problème surgit. Ils peuvent d’ailleurs être multiples. Cela peut aller du passeport volé ou perdu, ce qui en soi n’est pas grave, mais qui, sur le plan pratique, peut prendre des proportions importantes quand on ne parle pas la langue, si on ne fait pas confiance aux forces de sécurité locales… À l’opposé du spectre, les situations les plus épineuses pour lesquelles on assiste nos clients sont les crises sécuritaires aiguës, avec impacts sur les frontières et l’espace aérien. Les collaborateurs peuvent alors se sentir pris au piège dans un pays. Ça a été le cas en Israël, au Liban et, à la suite de coups d’État, dans un certain nombre de pays du Sahel. Nous avons la capacité de déployer des moyens exceptionnels dans ce type de configuration pour permettre aux gens de rentrer dans leur pays d’origine. Cela peut se faire dans des délais plus ou moins longs, car nous restons dépendants de situations conjoncturelles qui nous échappent.

Dans ces cas-là, vous appuyez-vous sur les instances gouvernementales françaises ?

B. R. Nous sommes totalement autonomes des instances gouvernementales françaises avec lesquelles nous avons des relations professionnelles poussées. Mais nos cibles ne sont pas les mêmes. Le ministère des Affaires étrangères émet des conseils pour un public général de citoyens français. Or nous, nous nous adressons à une population professionnelle avec des enjeux de business. Par ailleurs, on ne s’adresse pas uniquement à des Français. Les collaborateurs de nos clients sont de toutes nationalités. Nous allons donc aussi regarder ce que disent d’autres grandes représentations diplomatiques pour avoir un mélange de points de vue et éviter d’avoir un quelconque biais.

Avez-vous des exemples de la façon dont vous opérez différemment des autorités ?

B. R. L’Ukraine est un exemple intéressant. Douze jours avant son invasion effective par la Russie, nous avons donné le conseil à nos clients de quitter le pays en raison de l’imprévisibilité de la situation et surtout de l’impact qui pouvait être projeté sur les capacités logistiques. Il vaut mieux partir du pays avant qu’on ne le puisse plus avec les moyens commerciaux qui sont plus simples à gérer que des convois routiers… Or, pour des raisons politiques ou autres, la France a tardé à donner ce conseil à ses ressortissants. C’était d’ailleurs l’un des derniers pays occidentaux à le faire.

Je repense aussi au coup d’État au Niger en août 2023. L’espace aérien et les frontières terrestres étaient fermés, pas d’accès à la mer. Les ressortissants internationaux étaient pris au piège. La France a pu évacuer par voie diplomatique les ressortissants européens, mais nous avions un certain nombre d’organisations clientes qui avaient des collaborateurs africains et personne n’allait les chercher, sauf nous. On a organisé un convoi par voie routière du Niger au Bénin.

Béatrix Renaut, responsable sûreté pour la région Europe du Sud chez International SOS © International SOS

« Toutes les mesures qui peuvent être prises en amont pour minimiser l’occurrence du risque, la probabilité qu’il se matérialise, sont primordiales. »

Béatrix Renaut, responsable sûreté pour la région Europe du Sud chez International SOS.

Quels sont les risques à redouter en 2025 ?

B. R. Alors que 2024 s’est inscrite dans la continuité de la tendance désormais bien établie de la permacrise, 2025 semble s’annoncer dans cette même lignée, marquée par des défis complexes et protéiformes : conflits en cours (conflit russo-ukrainien, différents conflits impliquant Israël au Moyen-Orient), catastrophes naturelles plus nombreuses et dévastatrices (on repense à Mayotte en décembre, aux feux en Californie en janvier ou, plus proches de nous en Europe, aux inondations, aux feux de forêt), échéances électorales à risques, crises politiques, criminalité violente, terrorisme… Nous établissons une carte interactive des risques en matière de santé et de sûreté que nous mettons à jour en permanence. Les fronts sont multiples. Une entreprise doit faire face dans la durée à la multiplicité de ces enjeux sécuritaires qui peuvent avoir un impact direct sur la conduite de ses activités.

La norme ISO 31030 sur la gestion des risques liés aux voyages est sortie en 2021. Qu’apporte-t-elle aux entreprises ?

B. R. Il s’agit d’un recueil de bonnes pratiques en matière de santé et de sûreté dans un contexte de mobilité à l’international. Elle n’a pas, à date, de caractère certifiant mais a le mérite de coucher les meilleures bonnes pratiques, ce vers quoi les entreprises sont invitées à tendre pour remplir au mieux leur devoir de protection des collaborateurs en mission.

Plusieurs de nos clients ont pu confronter leur politique et leurs procédures au contenu de cette norme et voir quel était leur niveau de maturité. Sur la base de ce comparatif, nous les avons aidés à tirer des conclusions et un plan d’action pour se conformer au mieux à ces bonnes pratiques. Pour d’autres organisations qui n’avaient encore rien mis en place sur ces aspects, la norme a été un coup de semonce.

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Article extrait du n° 606 de Face au Risque : « Batteries au lithium : l’emballement thermique » (mars-avril 2025).

Martine Porez – Journaliste

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