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Feu instructif : un sentier long et étroit…
Le 20 juillet 2024 peu avant 14 h, le quartier du Sentier, haut-lieu bouillonnant de l’industrie de la confection en plein cœur de Paris, s’anime plus que d’habitude. La rue du Sentier s’emplit d’un brouillard de fumée que les phares du premier engin-pompe peinent à percer. C’est le début d’une intervention qui va mobiliser les sapeurs-pompiers de Paris pendant près d’un mois !
Près du premier engin qui vient de s’arrêter se trouve un magasin dont le rideau de fer baissé laisse échapper de la fumée, et bientôt, plus préoccupant, des flammes sortant de la porte voisine du n° 16. L’incendie concerne un immeuble d’environ 300 m² au sol, sur six étages, à l’angle des rues du Sentier et des Jeûneurs.
Une intervention compliquée…
Deux lances sont immédiatement établies et s’engouffrent dans le hall. À gauche se trouve la porte latérale de la boutique, embrasée, et au fond du couloir, une cage d’escalier avec un ascenseur central ouvert. Le feu ronfle déjà avec violence dans ce conduit vertical entraînant le feu jusqu’au sixième étage, où se trouve une personne bloquée dans son appartement et qui appelle à l’aide. Les flammes ravagent déjà la toiture à quelques mètres d’elle… Heureusement, cette personne finira par être « cueillie » de justesse grâce à une manœuvre échelle aérienne prolongée de l’échelle à crochets. Un « renfort habitation » est demandé quelques minutes après l’arrivée du premier détachement de deux pompes et une échelle. Quatre minutes plus tard, un premier point est fait : il s’agit d’un feu d’immeuble de six étages à usage mixte de commerces et d’habitations. Un sauvetage a été réalisé et deux lances sont en manœuvre.
En plus d’un « renfort habitation », quatre engins-pompes sont demandés. L’immeuble est coiffé d’un bouillonnant panache de fumée brune alors que les flammes percent çà et là la toiture de zinc. Peu après 14 h, le feu concerne l’escalier et s’est propagé au sixième étage et à la toiture. La verrière coiffant l’escalier a explosé, poussant à son paroxysme le tirage dans l’escalier, dont des fenêtres ouvrent sur une cour latérale. Le feu pourra être attaqué sur cette face à partir des toits voisins.
… et qui s’éternise
Des reconnaissances périphériques à partir des immeubles contigus visent à cerner le feu. Plus tard, trois engins-pompes et un bras élévateur articulé (BEA) s’ajoutent aux précédentes demandes. Peu après 15 h, le feu intéresse plusieurs appartements, la totalité de l’escalier et la toiture.
Six lances sont en manœuvre. L’escalier est effondré à partir du troisième étage et entrave la progression. Inaccessibles à partir du troisième étage, les niveaux supérieurs ne peuvent être investis qu’à partir des échelles aériennes. Mais la dextérité des écheliers permettra de positionner très étroitement quatre échelles aériennes dans cet environnement exigu ! Une heure plus tard, huit lances sont braquées sur le feu depuis l’intérieur, des échelles et des toits voisins. Peu avant 18 h, ce sont onze lances qui cernent le feu, permettant de passer le message « maître du feu ».
Vers 19 h, le dispositif est réarticulé en fonction de nouveaux paramètres : le risque d’effondrement partiel du bâtiment est élevé, empêchant une action précise sur les divers foyers. Des lances à mousse vont tenter de couvrir les zones de décombres fumants. Vers 20 h, le feu est déclaré « éteint ». Il intéressait la totalité de l’immeuble, et le risque d’effondrement ne permet pas d’engager des reconnaissances. Un télémètre laser par façade est installé, un périmètre de sécurité instauré.
Un dispositif de deux engins-pompes et un moyen aérien sont postés en surveillance les jours suivants. Le 23 juillet, des reprises se manifestent et trois lances-mousse, dont une sur BEA, sont établies. Le 24, des foyers sont réactivés entre le premier et le deuxième étage. Le 25, l’opération est déclarée terminée. Mais le déblai et le dégarnissage sont impossibles en raison de l’instabilité des structures. Et puis, le 26, plusieurs foyers inaccessibles sont combattus à partir d’un moyen aérien. Un engin-pompe et un moyen élévateur aérien seront sur place jusqu’au 5 août.
Après cette date, des rondes, des relevés à la caméra thermique, et parfois des survols de drones, sont effectués jusqu’au 21 août. Ce n’est qu’à cette date que l’opération se termine réellement, plus aucun point chaud ne subsistant.
Un immeuble ancien en cours de réhabilitation
L’origine du feu fait l’objet d’une enquête judiciaire. Plusieurs facteurs ont conduit ce feu à devenir aussi destructeur et complexe à combattre. L’ancienne boutique du rez-de-chaussée gauche servait de dépôt de chantier, et renfermait un potentiel calorifique significatif, avec vraisemblablement peintures, vernis, colles, câblages, planches, isolants, etc. Elle est reliée au hall d’entrée par une porte latérale. Lorsque les premiers secours se présentent, le feu est dans le hall et dans la boutique, hall et escalier ne constituant qu’un seul volume. Un tirage extérieur/intérieur s’instaure rapidement. Le feu s’amplifie à vive allure dans l’escalier, bientôt ventilé par la courette latérale, et se distribue aléatoirement en périphérie dans les étages.
Parvenu aux cinquième et sixième étages, le feu va s’y étaler, les murs de maçonnerie, de plâtre, ne l’empêchant pas de gagner la charpente et la couverture, avant de retomber dans les logements. Un occupant se manifestant à sa fenêtre du sixième étage sera sauvé au moyen d’une échelle aérienne prolongée d’une échelle à crochets, alors que trois autres s’en sortent en s’échappant vers le toit de l’immeuble voisin via une échelle scellée dans le mur.
Cet incendie retors a mobilisé des moyens de la Brigade pendant près d’un mois. © Mark Loukachine – BSPP.
Une structure en bois
Les sapeurs-pompiers disposent de peu d’informations à leur arrivée : les ouvriers présents quittent le bâtiment sans renseigner les sauveteurs sur la présence d’occupants, la topographie des lieux, et la condition de chantier de l’immeuble, avec tous les risques que cela comporte : présence de bouteilles de gaz, stocks de matériaux ou d’emballages dans les étages, portes ouvertes, trémies mal signalées, gaines d’ascenseur sans portes, etc. La progression dans les étages va rapidement se compliquer avec la destruction de volées de marches à partir du troisième étage. En périphérie de l’escalier, ce sont des surfaces de plancher qui cèdent, entraînant des effondrements intérieurs, empêchant bientôt la progression des équipes devant maîtriser les derniers foyers.
Bien que l’immeuble soit en chantier, de nombreux studios sont déjà meublés avec des canapés, des lits ou encore des meubles sous housses et emballages. Le déblai d’un feu tel que celui-ci nécessite un dégarnissage minutieux des structures de bois, planchers ou murs, parcourant l’immeuble, sous peine de générer des feux au cœur des pièces de bois. Les sapeurs-pompiers savent que ces feux dans les structures de bois doivent être minutieusement traités, avant que le feu ne s’étende comme une mèche, au cœur des poutres, avec le risque qu’il parcourt plusieurs étages.
Cependant, la plupart des locaux, réhabilités, voient leurs murs couverts de revêtements type placo sur rails, des planchers flottants couvrant les véritables planchers. Ce sont des boîtes dans les boîtes, des millefeuilles recouvrant la structure d’origine. Les caméras thermiques ne détectent pas toutes les élévations de température.
Le passage de l’échelle à coulisse à l’échelle à crochets est parfois acrobatique. © Mark Loukachine – BSPP.
Une progression entravée
La progression dans les étages, parfois partiellement effondrés, est compromise. Il faut évacuer les lieux et traiter les foyers résiduels à la mousse, de l’extérieur, pour tenter de les étouffer. Deux bras élévateurs articulés (BEA) sont positionnés. Grâce à leur large plage de manœuvre, ils interviennent ponctuellement sur les reprises de feu qui ne manqueront pas de réapparaître pendant plusieurs semaines.
Dans le cadre de la réhabilitation de l’immeuble d’habitation en résidence hôtelière, un escalier encloisonné en béton et un ascenseur ont été ajoutés. Ils desservaient du deuxième sous-sol au troisième étage. Sans plans d’évacuation ni plans de construction, sans ouvriers à même de renseigner, cet escalier à l’accès occulté par des panneaux n’a été découvert que tardivement. Sa connaissance aurait pu, au moins jusqu’au troisième étage, permettre de disposer d’un accès stable à l’abri des effondrements, permettant d’y établir un dispositif d’attaque.
Dans ce quartier aux rues étroites, rapidement paralysé dès qu’un événement s’y produit, de nombreux écueils peuvent apparaître. La présence d’un balcon filant au cinquième étage et deux étages en retrait, ne permet pas de repérer les éventuelles victimes appelant à l’aide. Et ce, même de jour.
En images, l’intervention des sapeurs-pompiers de la BSPP à Paris, le 20 juillet 2024.
© Mark Loukachine – BSPP.
Une circulation difficile
Ce sont des riverains en vis-à-vis qui vont attirer l’attention des secours. La première échelle aérienne se positionne de manière à pouvoir couvrir les deux façades, au cas où. Les trois autres vont profiter d’un léger élargissement de la rue au carrefour pour se positionner.
Les interventions dans ces secteurs aux rues étroites nécessitent une rigoureuse organisation dans l’engagement des moyens aériens dont l’action est primordiale. Il faut prendre en compte les axes à emprunter pour parvenir à l’immeuble, le positionnement des engins-pompes afin de ne pas entraver leur approche, la zone de regroupement des moyens en renfort – des dizaines de camions -, le choix du poste de commandement, le point de regroupement des victimes ainsi que la zone de reconditionnement des personnels engagés, alors que la température est élevée ce jour-là. Chaque rue périphérique a sa fonction. Et lorsqu’il y a des victimes, le choix d’un poste médical avancé doit permettre une bonne rotation des moyens d’évacuation.
Toutes les particularités du quartier vont être exploitées pour le transformer, durant quelques heures, en champs de bataille bien structuré. Avec la difficulté qu’il s’agit d’une zone située dans un centre-ville ancien. Un grand « Ancien »* disait, « éteindre un feu, c’est pas sorcier, il suffit de jeter de l’eau sur des flammes ! … Et c’est là que tout se complique ! »
*Colonel Jacques Le Toquin.
Article extrait du n° 605 de Face au Risque : « Culture de sécurité » (janvier-février 2025).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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