Feu instructif : un sentier long et étroit…

7 janvier 202513 min

Le 20 juillet 2024 peu avant 14 h, le quartier du Sentier, haut-lieu bouillonnant de l’industrie de la confection en plein cœur de Paris, s’anime plus que d’habitude. La rue du Sentier s’emplit d’un brouillard de fumée que les phares du premier engin-pompe peinent à percer. C’est le début d’une intervention qui va mobiliser les sapeurs-pompiers de Paris pendant près d’un mois !

Ceci est une légende Alt

Près du premier engin qui vient de s’arrêter se trouve un magasin dont le rideau de fer baissé laisse échapper de la fumée, et bientôt, plus préoccupant, des flammes sortant de la porte voisine du n° 16. L’incendie concerne un immeuble d’environ 300 m² au sol, sur six étages, à l’angle des rues du Sentier et des Jeûneurs.

Une intervention compliquée…

Deux lances sont immédiatement établies et s’engouffrent dans le hall. À gauche se trouve la porte latérale de la boutique, embrasée, et au fond du couloir, une cage d’escalier avec un ascenseur central ouvert. Le feu ronfle déjà avec violence dans ce conduit vertical entraînant le feu jusqu’au sixième étage, où se trouve une personne bloquée dans son appartement et qui appelle à l’aide. Les flammes ravagent déjà la toiture à quelques mètres d’elle… Heureusement, cette personne finira par être « cueillie » de justesse grâce à une manœuvre échelle aérienne prolongée de l’échelle à crochets. Un « renfort habitation » est demandé quelques minutes après l’arrivée du premier détachement de deux pompes et une échelle. Quatre minutes plus tard, un premier point est fait : il s’agit d’un feu d’immeuble de six étages à usage mixte de commerces et d’habitations. Un sauvetage a été réalisé et deux lances sont en manœuvre.

En plus d’un « renfort habitation », quatre engins-pompes sont demandés. L’immeuble est coiffé d’un bouillonnant panache de fumée brune alors que les flammes percent çà et là la toiture de zinc. Peu après 14 h, le feu concerne l’escalier et s’est propagé au sixième étage et à la toiture. La verrière coiffant l’escalier a explosé, poussant à son paroxysme le tirage dans l’escalier, dont des fenêtres ouvrent sur une cour latérale. Le feu pourra être attaqué sur cette face à partir des toits voisins.

FI Sentier Paris - Dessin de René Dosne

… et qui s’éternise

Des reconnaissances périphériques à partir des immeubles contigus visent à cerner le feu. Plus tard, trois engins-pompes et un bras élévateur articulé (BEA) s’ajoutent aux précédentes demandes. Peu après 15 h, le feu intéresse plusieurs appartements, la totalité de l’escalier et la toiture.

Six lances sont en manœuvre. L’escalier est effondré à partir du troisième étage et entrave la progression. Inaccessibles à partir du troisième étage, les niveaux supérieurs ne peuvent être investis qu’à partir des échelles aériennes. Mais la dextérité des écheliers permettra de positionner très étroitement quatre échelles aériennes dans cet environnement exigu ! Une heure plus tard, huit lances sont braquées sur le feu depuis l’intérieur, des échelles et des toits voisins. Peu avant 18 h, ce sont onze lances qui cernent le feu, permettant de passer le message « maître du feu ».

Vers 19 h, le dispositif est réarticulé en fonction de nouveaux paramètres : le risque d’effondrement partiel du bâtiment est élevé, empêchant une action précise sur les divers foyers. Des lances à mousse vont tenter de couvrir les zones de décombres fumants. Vers 20 h, le feu est déclaré « éteint ». Il intéressait la totalité de l’immeuble, et le risque d’effondrement ne permet pas d’engager des reconnaissances. Un télémètre laser par façade est installé, un périmètre de sécurité instauré.

Un dispositif de deux engins-pompes et un moyen aérien sont postés en surveillance les jours suivants. Le 23 juillet, des reprises se manifestent et trois lances-mousse, dont une sur BEA, sont établies. Le 24, des foyers sont réactivés entre le premier et le deuxième étage. Le 25, l’opération est déclarée terminée. Mais le déblai et le dégarnissage sont impossibles en raison de l’instabilité des structures. Et puis, le 26, plusieurs foyers inaccessibles sont combattus à partir d’un moyen aérien. Un engin-pompe et un moyen élévateur aérien seront sur place jusqu’au 5 août.

Après cette date, des rondes, des relevés à la caméra thermique, et parfois des survols de drones, sont effectués jusqu’au 21 août. Ce n’est qu’à cette date que l’opération se termine réellement, plus aucun point chaud ne subsistant.

Un immeuble ancien en cours de réhabilitation

L’origine du feu fait l’objet d’une enquête judiciaire. Plusieurs facteurs ont conduit ce feu à devenir aussi destructeur et complexe à combattre. L’ancienne boutique du rez-de-chaussée gauche servait de dépôt de chantier, et renfermait un potentiel calorifique significatif, avec vraisemblablement peintures, vernis, colles, câblages, planches, isolants, etc. Elle est reliée au hall d’entrée par une porte latérale. Lorsque les premiers secours se présentent, le feu est dans le hall et dans la boutique, hall et escalier ne constituant qu’un seul volume. Un tirage extérieur/intérieur s’instaure rapidement. Le feu s’amplifie à vive allure dans l’escalier, bientôt ventilé par la courette latérale, et se distribue aléatoirement en périphérie dans les étages.

Parvenu aux cinquième et sixième étages, le feu va s’y étaler, les murs de maçonnerie, de plâtre, ne l’empêchant pas de gagner la charpente et la couverture, avant de retomber dans les logements. Un occupant se manifestant à sa fenêtre du sixième étage sera sauvé au moyen d’une échelle aérienne prolongée d’une échelle à crochets, alors que trois autres s’en sortent en s’échappant vers le toit de l’immeuble voisin via une échelle scellée dans le mur.

FI Sentier Paris 240720 02 ©BSPP

Cet incendie retors a mobilisé des moyens de la Brigade pendant près d’un mois. © Mark Loukachine – BSPP.

Une structure en bois

Les sapeurs-pompiers disposent de peu d’informations à leur arrivée : les ouvriers présents quittent le bâtiment sans renseigner les sauveteurs sur la présence d’occupants, la topographie des lieux, et la condition de chantier de l’immeuble, avec tous les risques que cela comporte : présence de bouteilles de gaz, stocks de matériaux ou d’emballages dans les étages, portes ouvertes, trémies mal signalées, gaines d’ascenseur sans portes, etc. La progression dans les étages va rapidement se compliquer avec la destruction de volées de marches à partir du troisième étage. En périphérie de l’escalier, ce sont des surfaces de plancher qui cèdent, entraînant des effondrements intérieurs, empêchant bientôt la progression des équipes devant maîtriser les derniers foyers.

Bien que l’immeuble soit en chantier, de nombreux studios sont déjà meublés avec des canapés, des lits ou encore des meubles sous housses et emballages. Le déblai d’un feu tel que celui-ci nécessite un dégarnissage minutieux des structures de bois, planchers ou murs, parcourant l’immeuble, sous peine de générer des feux au cœur des pièces de bois. Les sapeurs-pompiers savent que ces feux dans les structures de bois doivent être minutieusement traités, avant que le feu ne s’étende comme une mèche, au cœur des poutres, avec le risque qu’il parcourt plusieurs étages.

Cependant, la plupart des locaux, réhabilités, voient leurs murs couverts de revêtements type placo sur rails, des planchers flottants couvrant les véritables planchers. Ce sont des boîtes dans les boîtes, des millefeuilles recouvrant la structure d’origine. Les caméras thermiques ne détectent pas toutes les élévations de température.

Le passage de l’échelle à coulisse à l’échelle à crochets est parfois acrobatique. © Mark Loukachine – BSPP.

FI Sentier Paris 240720 03 ©BSPP

Une progression entravée

La progression dans les étages, parfois partiellement effondrés, est compromise. Il faut évacuer les lieux et traiter les foyers résiduels à la mousse, de l’extérieur, pour tenter de les étouffer. Deux bras élévateurs articulés (BEA) sont positionnés. Grâce à leur large plage de manœuvre, ils interviennent ponctuellement sur les reprises de feu qui ne manqueront pas de réapparaître pendant plusieurs semaines.

Dans le cadre de la réhabilitation de l’immeuble d’habitation en résidence hôtelière, un escalier encloisonné en béton et un ascenseur ont été ajoutés. Ils desservaient du deuxième sous-sol au troisième étage. Sans plans d’évacuation ni plans de construction, sans ouvriers à même de renseigner, cet escalier à l’accès occulté par des panneaux n’a été découvert que tardivement. Sa connaissance aurait pu, au moins jusqu’au troisième étage, permettre de disposer d’un accès stable à l’abri des effondrements, permettant d’y établir un dispositif d’attaque.

Dans ce quartier aux rues étroites, rapidement paralysé dès qu’un événement s’y produit, de nombreux écueils peuvent apparaître. La présence d’un balcon filant au cinquième étage et deux étages en retrait, ne permet pas de repérer les éventuelles victimes appelant à l’aide. Et ce, même de jour.

En images, l’intervention des sapeurs-pompiers de la BSPP à Paris, le 20 juillet 2024.
© Mark Loukachine – BSPP.

Une circulation difficile

Ce sont des riverains en vis-à-vis qui vont attirer l’attention des secours. La première échelle aérienne se positionne de manière à pouvoir couvrir les deux façades, au cas où. Les trois autres vont profiter d’un léger élargissement de la rue au carrefour pour se positionner.

Les interventions dans ces secteurs aux rues étroites nécessitent une rigoureuse organisation dans l’engagement des moyens aériens dont l’action est primordiale. Il faut prendre en compte les axes à emprunter pour parvenir à l’immeuble, le positionnement des engins-pompes afin de ne pas entraver leur approche, la zone de regroupement des moyens en renfort – des dizaines de camions -, le choix du poste de commandement, le point de regroupement des victimes ainsi que la zone de reconditionnement des personnels engagés, alors que la température est élevée ce jour-là. Chaque rue périphérique a sa fonction. Et lorsqu’il y a des victimes, le choix d’un poste médical avancé doit permettre une bonne rotation des moyens d’évacuation.

Toutes les particularités du quartier vont être exploitées pour le transformer, durant quelques heures, en champs de bataille bien structuré. Avec la difficulté qu’il s’agit d’une zone située dans un centre-ville ancien. Un grand « Ancien »* disait, « éteindre un feu, c’est pas sorcier, il suffit de jeter de l’eau sur des flammes ! … Et c’est là que tout se complique ! »

*Colonel Jacques Le Toquin.

L’immeuble est situé au coeur de Paris, dans le quartier « du Sentier ». Implanté à l’angle de la rue des Jeûneurs et de la rue du Sentier, deux rues étroites, il occupe une surface au sol rectangulaire d’environ 280 m². Composé de deux niveaux de sous-sols sur rez-de-chaussée, accessibles par deux escaliers reliés au rez-de-chaussée, il comprend six étages, le dernier étant un comble aménagé. La structure originelle est en pierres (façades), cloisons en maçonnerie et pans de bois, planchers bois hourdis de plâtre, renforcés d’IPN.

La réhabilitation en cours recouvre une partie de ces éléments structurels. L’immeuble est traversé d’un escalier principal (RdC+6), et d’un ascenseur inséré dans le vide central (RdC+6). Dans le cadre de la réhabilitation de l’immeuble, un escalier en béton encloisonné et un ascenseur ont été ajoutés, du deuxième sous-sol au troisième étage. Un retrait latéral forme un puits de lumière de 12 m² partiellement ouvert sur l’immeuble voisin à partir du deuxième étage. Les fenêtres de l’escalier principal ouvrent sur ce volume.

La toiture, en zinc, est percée au niveau du sixième étage de chiens assis et de vasistas, et une verrière de 10 m² coiffe la cage d’escalier principale. Le dernier étage est isolé des toitures voisines par des alignements de cheminées.

En occupation mixte chantier/habitation partielle aux deux derniers étages, l’immeuble est doté d’extincteurs dans ses parties communes. Il n’existe pas encore de dispositif de désenfumage.

La première bouche d’incendie est implantée face à l’immeuble, Paris bénéficiant d’un réseau dense de bouches d’incendie implantées sensiblement tous les cent mètres.

Le centre de secours le plus proche est Rousseau (8e compagnie), situé à 700 m environ.

Les feux urbains entraînant des opérations d’aussi longue durée sont rares. Ceux que l’on a connus concernaient le plus souvent des feux de matières en vrac, tels que des stockages de papier ou de chiffons, combattus parfois avec des lances spécifiques plantées dans la matière en ignition.

Le dernier traité dans nos colonnes concerne un feu de déchets divers mobilisant les pompiers du Sdis13 à Saint-Chamas, près de Fos-sur-Mer, pendant un mois environ. Pour autant, ce type d’incendie est extrêmement rare en ville. La majorité des feux intéressant des immeubles, dans notre rubrique, concernaient des incendies d’hôtels anciens (rue de Provence, Face au Risque n° 414, juin-juillet 2005), incendie d’un immeuble d’habitation à Belfort, (Face au Risque n° 253, mai 1989), mais aussi quelques incendies se développant par les façades d’immeubles plus récents, riches en éléments de bois. Courchevel, Face au Risque n° 478, décembre 2011 ou des IGH (Chambéry, Face au Risque n° 472, avril 2011, ou Dubaï, Face au Risque n° 521, mars 2016).

Les feux survenant dans les immeubles d’habitation anciens, ne disposant pas d’escaliers encloisonnés, sont ceux susceptibles d’entraîner le plus de victimes. L’heure est déterminante, la nuit impliquant une occupation maximale, une découverte du feu plus tardive et des réactions plus lentes.

Chaque minute compte alors : aux sauvetages des occupants bloqués par le feu ou les fumées dans les étages supérieurs va conjointement s’effectuer l’attaque à partir de l’escalier, en le poursuivant jusqu’au sommet de celui-ci, en distribuant des lances aux différents étages où des propagations s’amorcent. Lorsque c’est possible, un exutoire sera créé à partir d’une échelle au sommet pour évacuer flammes et gaz chauds et créer un tirage vertical. Souvent le feu se le constituera lui-même !

Des ventilateurs accélèreront l’instauration de cette veine d’air intérieur/extérieur déjà initiée par le jet des lances. Les pompiers rechercheront au plus vite les courettes et autres puits de lumière susceptibles de propager le feu aux étages supérieurs par un puissant effet de cheminée.

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Article extrait du n° 605 de Face au Risque : « Culture de sécurité » (janvier-février 2025).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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