Administrations et collectivités territoriales / BTP / BUP / ERP/IGH / Gestion des risques / Industrie/ICPE
Culture de sécurité : l’impact du facteur humain
Eduardo Blanco-Muñoz est directeur Prévention HSSE du groupe Spie Batignolles. Ingénieur en gestion des risques, il est professeur affilié du Cnam après avoir enseigné la sécurité comportementale à la Sorbonne et est l’auteur du livre Facteur humain & culture sécurité paru en janvier 2024.
Qu’est-ce que, pour vous, la culture sécurité ?
Eduardo Blanco-Muñoz. L’expression même de culture sécurité n’est qu’un raccourci pour évoquer une culture organisationnelle dans laquelle la sécurité occupe une place centrale. On ne peut pas avoir une culture sécurité qui serait complètement indépendante de la culture d’entreprise. La culture d’une organisation, ce sont les façons de faire, de penser, de sentir de chacun. À partir du moment où on arrive à mettre la sécurité comme valeur centrale dans cette culture, les gens vont spontanément s’aligner vis-à-vis des comportements sécuritaires ou éviter certaines prises de risque, car ils vont sentir une motivation intrinsèque qui les pousse vers la sécurité.
Pour que les attitudes évoluent, il ne suffit pas de le décréter, il ne suffit pas de dire « la sécurité est importante ». Il faut mettre en place ce que j’appelle des « artéfacts culturels ». Ce sont des éléments visibles qui vont incarner, matérialiser les valeurs et les croyances porteuses de sécurité.
« Il faut mettre en place ce que j’appelle des “artéfacts culturels“. Ce sont des éléments visibles qui vont incarner, matérialiser les valeurs et les croyances porteuses de sécurité. »
Eduardo Blanco-Muñoz, directeur Prévention HSSE du groupe Spie Batignolles.
Quels sont ces artéfacts ?
E. B-M. Ces artéfacts sont multiples. Ils peuvent être tangibles comme une façon d’organiser les lieux de travail, la signalétique par exemple, mais ils sont souvent intangibles, comme des pratiques de travail et des techniques de management. C’est en mettant en place ces pratiques – encore une fois il faut que ce soit vraiment visible pour les travailleurs – que les gens vont s’imprégner de la valeur qu’on donne à la sécurité.
On peut citer les indicateurs de pilotage des rituels de prévention – et surtout pas uniquement les taux de fréquence ou les jours sans accident ! Ils ont une utilité pratique de pilotage, mais ils vont être aussi un artefact culturel parce qu’ils symbolisent l’importance qu’on donne à ces actions. Ce peut être aussi une séquence dédiée à la prévention dans les comités de direction, des rituels spécifiques comme les quarts d’heure sécurité, la remontée d’événements via une application ou des visites de management, avec des managers qui toutes les semaines vont sur le terrain, dans les ateliers ou sur les chantiers pour poser des questions sur la sécurité. Ces visites servent aussi à encourager les bonnes pratiques. Il faut partir du principe que travailler en sécurité, c’est souvent un surplus d’énergie à dépenser, parce qu’il faut porter les EPI, passer plus loin pour emprunter le bon cheminement. Travailler en sécurité est souvent perçu comme une contrainte. Il faut aussi pointer ce qui est positif.
C’est vraiment à chaque entité de trouver les bons artefacts. Il y a littéralement des centaines de façons de s’y prendre et l’idée c’est d’adapter les façons de faire aux usages de l’organisation, selon la culture sous-jacente du pays, les activités de l’organisation… C’est le rôle du préventeur, responsable HSE de trouver les bons outils.
« Pour être en sécurité, un individu doit être en mesure de percevoir les risques et dangers autour de lui et les informations nécessaires pour les gérer »
Eduardo Blanco-Muñoz, directeur Prévention HSSE du groupe Spie Batignolles.
Quel est l’impact du facteur humain dans la culture sécurité ?
E. B-M. Le facteur humain est au cœur d’une culture. Il faut vraiment comprendre la dimension individuelle avant de s’attaquer à des dimensions collectives. Si vous imaginez des rituels et pratiques, mais que vous ne comprenez pas vraiment les forces, mais aussi les faiblesses, de l’humain au travail, vous pouvez partir sur une stratégie qui sera en décalage avec la réalité. Différents volets sont souvent méconnus. Prenons l’exemple de la perception. Pour être en sécurité, un individu doit être en mesure de percevoir les risques et dangers autour de lui et les informations nécessaires pour les gérer. Mais cela ne va pas de soi, c’est un phénomène cognitif relativement sophistiqué. Si on part du principe qu’il suffit d’avoir « les yeux en face des trous » pour ne pas se blesser, on se trompe.
Autre élément, beaucoup de comportements humains relèvent du pur automatisme. Si on part du principe que tout le monde est maître de ses gestes en permanence, encore une fois, on se trompe. On peut aussi parler de l’attention, très fragile et limitée. Non seulement on ne perçoit pas tout, mais en plus on ne peut pas porter son attention sur tout ce qu’on perçoit. Il y a un goulet d’étranglement qui s’opère et on est vraiment capable de porter son attention sur un nombre très limité de stimuli. Ce sont les valeurs sur lesquelles on est vraiment axés qui vont attirer notre attention, à l’image d’une voiture qu’on aurait décidé d’acheter et qu’on verrait partout sur les routes, dans les médias… Si on donne de l’importance à la sécurité, on va mieux percevoir et mieux porter son attention sur les sujets liés à la sécurité. Cela « saute aux yeux », c’est ce qu’on appelle la « saillance cognitive ». Il faut avoir tout cela en tête pour développer une culture de la prévention.
Est-ce que vous avez des exemples de pièges ou de mauvaises pratiques à éviter ?
E. B-M. Dans le domaine de la prévention, on donne beaucoup de poids au taux de fréquence alors que c’est un indicateur très biaisé. Il y a plein de raisons pour lesquelles les gens ne vont pas forcément reporter toutes les choses qui arrivent. C’est un peu vicieux, mais plus vous donnez d’importance à cet indicateur (qui doit être le plus bas possible), plus les gens vont avoir tendance à faillir dans leur devoir de transparence. Il est peut-être préférable de suivre le nombre de visites de sécurité effectuées par les managers par exemple.
Justement, autre exemple, ces visites de management, ou même les quarts d’heure sécurité. Si ces pratiques sont sincères, c’est positif. Mais ces mêmes pratiques faites par un manager qui n’est pas sensible à la sécurité et qui les fait de toute évidence sans en avoir envie, cela devient un symbole du manque d’engagement et d’intérêt qu’on donne à la sécurité.
Il faut que les gens qui portent ces pratiques soient véritablement acquis à la cause. Ils doivent être formés et convaincus. J’insiste beaucoup sur le fait que le rôle du préventeur c’est de donner au management des outils, mais aussi le pourquoi du comment. Il doit donner du sens à ces outils.
Comment le préventeur peut-il convaincre la direction et le management ?
E. B-M. Je pars du principe que les valeurs de sécurité, de la vie humaine, de l’évitement de la souffrance sont partagées par tous. La question est de savoir comment faire pour que ces valeurs soient vraiment présentes sur l’ensemble de ce qu’on fait. Là, effectivement, la fonction HSE ou prévention doit coacher les leaders d’une organisation et mettre à leur disposition des informations pertinentes pour voir comment l’organisation se porte au niveau de la prévention (quels sont les risques majeurs par exemple, les sujets sont-ils bien maîtrisés, rappeler l’importance du facteur humain…) puis leur fournir des outils concrets pour porter cette culture.
On peut toujours espérer, en tant que préventeur, que la sécurité soit le premier sujet auquel le manager va penser. Mais on sait qu’il y a d’autres préoccupations à l’instant T qui peuvent devenir « prioritaires » car plus urgentes ou plus pressantes. L’intérêt de la démarche dite culture de sécurité, c’est de donner du poids à la valeur sécurité pour qu’elle se rapproche des autres choses auxquelles les managers pensent en permanence. Structurellement, il faut faire en sorte que la sécurité ait un poids face à toute cette machinerie qui nous fait regarder les coûts, les investissements… On ne peut pas imaginer une culture dans laquelle la prévention serait au centre si le leadership ne donne aucun gage d’engagement sur le sujet. Il doit challenger, encourager, remercier.
Le préventeur doit donc s’assurer que les outils sont en place et assurer un suivi. On peut avoir plein de bonnes idées, il ne suffit pas de donner des outils et de compter sur les gens pour qu’ils fassent. Le plus urgent revient vite prendre le dessus. Avant d’arriver à une certaine maturité, il est nécessaire de passer par ces stades où on s’astreint à se dire « tiens, on a dit qu’il fallait faire », donc on compte, on bâtonne et on s’assure que c’est fait.
Article extrait du n° 605 de Face au Risque : « Culture de sécurité » (janvier-février 2025).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
Les plus lus…
En 2021 et 2022, 56% des décès par accident du travail étaient des malaises mortels, c’est-à-dire des décès survenus…
L'arrêté du 13 novembre 2024 supprime le caractère obligatoire de certaines normes concernant les ICPE (Installations classées pour la…
Fabrice Bru, directeur cybersécurité et architecture de la Stime - Groupement Les Mousquetaires, est élu président du Cesin (Club…
Après quatre années fastes, la sécurité privée est désormais affectée par un environnement économique morose et doit se préparer à…
Deux incendies ont touché le site Hydrapro de Lédenon (Gard) les mardi 4 et vendredi 7 juillet 2023. Dans…
Le 20 juillet 2024 peu avant 14 h, le quartier du Sentier, haut-lieu bouillonnant de l’industrie de la confection…