La prévention des violences au sein de l’entreprise
Agressions, incivilités, harcèlement… Le monde du travail n’est pas exempt de risques de violences mettant en danger l’intégrité physique et mentale des salariés. L’engagement clair de l’entreprise à lutter contre toute forme de violence doit s’accompagner de mesures concrètes. À charge pour le juge, le cas échéant, d’en apprécier le caractère suffisant.
L’illusion du risque zéro
Les entreprises ne sont pas toutes logées à la même enseigne vis-à-vis du risque de violences. En particulier en ce qui concerne la violence externe. Certaines professions se trouvent davantage exposées, notamment celles en contact avec le public (agents administratifs, personnel soignant, hôtellerie, personnel d’accueil, commerciaux, enseignants…). Sont également concernés les employés travaillant dans des domaines spécifiques comme la sécurité des personnes et des biens (agents de sécurité, secours publics…), la manipulation d’argent ou de valeurs (convoyeurs de fonds, personnel de caisse, employés de banque, vendeurs…) ou encore le contrôle et l’application de la loi (policiers, gendarmes et douaniers, agents de l’administration fiscale, huissiers, personnel pénitentiaire, contrôleurs des transports en commun…).
Toutefois, même en dehors de ces secteurs, aucune entreprise ne peut se considérer à l’abri d’un éventuel passage à l’acte, qui relève avant tout du facteur humain présentant souvent un caractère imprévisible. Ce sont ces difficultés en particulier que l’employeur devra affronter dans le cadre de la mise en place de sa démarche de prévention.
Les attendus en termes de prévention
« Il appartient à l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les paroles ou agissements violents. »
Il est ainsi établi que les violences sont susceptibles de constituer un facteur de risque professionnel. Il appartient donc à l’employeur, en application de son obligation de sécurité (article L.4121-1 du code du travail), de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les paroles ou agissements violents au même titre que les autres risques pouvant dégrader la santé et la sécurité des travailleurs.
L’évaluation du risque de violences reste donc la première étape incontournable. Bien que la concrétisation du risque varie selon l’environnement et les circonstances, la stratégie à adopter consiste systématiquement à identifier les facteurs de risques, en lien avec l’organisation du travail, qui peuvent favoriser ou générer de tels faits, et à mettre en œuvre les moyens permettant d’en préserver les travailleurs. On s’attachera à mettre en place plusieurs vecteurs d’actions qui viennent se compléter afin de couvrir le risque au maximum. On pourra par exemple agir sur :
- les relations internes (amélioration de l’écoute et des échanges, renforcement de la cohésion, redéfinition des objectifs et rythmes de travail…) ;
- une gestion attentive de la relation client et de l’accueil du public ;
- le recours à du personnel de sécurité et à des technologies de sûreté ;
- la sensibilisation, la formation et l’information du personnel ;
- etc.
Il est important de noter que, si le choix de ces moyens est laissé à la libre appréciation de l’employeur, on attend de lui qu’il implique l’ensemble des acteurs de l’entreprise, dont le Comité social et économique (CSE), et que ces moyens se révèlent efficaces. Cette exigence ressort de manière claire à travers l’étude de la jurisprudence.
Illustrations en jurisprudence
En ce qui concerne l’obligation de sécurité, une jurisprudence constante a longtemps considéré que « le manquement de l’employeur est constitué lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales ou d’agissements de harcèlement sexuel, bien que ces agissements ne soient pas le fait de l’employeur et quand bien même il aurait pris les mesures en vue de les faire cesser » (Soc., 3 février 2010, n° 08-44.019 et Soc., 23 janvier 2013, n° 11-18.855).
Cette obligation absolue a connu ces dix dernières années un réel infléchissement, les juges acceptant désormais de se pencher sur les mesures de prévention et de protection immédiatement prises par l’employeur en cas d’atteinte au salarié. La condition sine qua none est que ces mesures soient effectives et efficaces et ne relèvent pas d’un simple effet d’annonce.
Ont notamment été jugées insuffisantes voire inefficaces à prévenir le risque les mesures suivantes :
- suite à des agressions récurrentes d’éducateurs spécialisés, l’engagement d’une réflexion sur la question des violences, sans changements dans l’organisation du travail au sein de l’association (Soc., 15 décembre 2016, n° 15-20.987) ;
- quand après une altercation verbale, l’employeur s’est contenté d’organiser une réunion avec les protagonistes le lendemain des faits puis des réunions périodiques afin de faciliter l’échange d’informations entre services (Soc., 17 octobre 2018, n° 7-17.985) ;
- dans un contexte d’actes de violence commis dans le service d’urgences d’un hôpital, le recrutement d’un maître-chien et l’organisation de formations sur la gestion de la violence (Civ. 2e, 29 février 2024, n° 22-18.868).
À l’inverse, il a pu être jugé que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité :
- quand les faits avaient pour unique cause le comportement violent du salarié qui avait violemment bousculé un collègue, ce dernier répliquant par un coup de poing ; l’employeur ne pouvait anticiper ce risque et était personnellement intervenu pour faire cesser l’altercation (Soc., 1er février 2017, n° 15-24.166) ;
- lorsqu’il n’était pas informé d’une particulière inimitié entre les deux salariées, et qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir une nouvelle altercation avant leur mise en échec « par le seul comportement de l’une des intéressées » (Soc., 30 novembre 2022, n° 21-17.184) ;
- quand il organise une réunion le jour de la connaissance des faits de harcèlement moral par la directrice du magasin, en présence de celle-ci, de la salariée et d’un membre du CSE, propose un changement de secteur et, suite à un entretien entre la salariée et le RRH, fait mener une enquête par le CSE (Soc., 7 décembre 2022, n° 21-18.114) ;
- alors qu’informé de l’existence d’un harcèlement sexuel, il a cessé de faire circuler ensemble la victime et son collègue et informé l’Inspection du travail (Soc., 18 janvier 2023, n° 21-23.796).
Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).
Morgane Darmon
Consultante experte au service Assistance réglementaire de CNPP Conseil & Formation
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