Violences : recevabilité d’une preuve illicite

29 novembre 20245 min

Un enregistrement réalisé par un salarié à l’insu de son employeur est soumis à la Cour de cassation dans le cadre d’une reconnaissance du caractère professionnel d’un accident du travail et de la faute inexcusable de l’employeur.

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Un salarié de la société S., a déclaré avoir été victime de violences verbales et physiques commises par le gérant de cette société. Cet événement ayant été pris en charge au titre de la législation professionnelle, il a saisi ensuite la juridiction compétente d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

La Cour de cassation a par la suite été saisie par les deux parties, notamment par l’employeur qui entendait contester jusqu’à la réalité de l’incident en litige et réfute les éléments de preuve produits. C’est dans ces circonstances que la Haute Juridiction décide ici ce qui suit.

Preuve recueillie à l’insu de la partie adverse

« (…) 7. Suivant les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi.

8. La Cour de cassation jugeait néanmoins (…), qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème.

9. Par un arrêt d’assemblée plénière rendu le 22 décembre 2023 (…), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence. (…)

10. L’arrêt relève que l’employeur conteste l’existence même de l’accident du travail et que, pour établir avoir été molesté par le gérant au cours de la dispute du 18 mars 2016, la victime produit, outre un procès-verbal de dépôt de plainte et deux certificats médicaux du 18 mars 2016, un procès-verbal d’huissier de justice du 30 mars 2016 retranscrivant un enregistrement effectué sur son téléphone portable lors des faits.

11. Il relève encore que cet enregistrement des propos tenus par le gérant de la société a été réalisé à l’insu de celui-ci et qu’il est présenté par l’employeur comme ayant été obtenu de manière déloyale.

(…)

13. Il constate qu’au moment des faits, trois collègues de travail de la victime ainsi qu’une personne, cliente de l’entreprise et associée avec le gérant dans une autre société, étaient présents sur les lieux. Il retient qu’au regard des liens de subordination unissant les premiers avec l’employeur et du lien économique de la seconde avec le gérant, la victime pouvait légitimement douter qu’elle pourrait se reposer sur leur témoignage.

(…)

16. De ces constatations et énonciations (…), la cour d’appel a pu déduire que la production de cette preuve était indispensable à l’exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l’accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l’origine de celle-ci (…).

17. Les moyens ne sont, dès lors, pas fondés. (…).»

Partant, le pourvoi de l’employeur est rejeté.

Atteinte proportionnée au but poursuivi

En résumé, souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, après avoir été victime notamment de violences physiques de sa part, un salarié a produit dans le cadre du litige l’y opposant, un enregistrement de l’altercation pris à l’insu dudit employeur. Ce dernier contestant jusqu’à la réalité des faits, place dès lors la recevabilité de cette preuve au cœur du contentieux.

La Haute Juridiction décide, dans cet arrêt publié, que l’enregistrement est ici recevable en application de sa Jurisprudence récente en la matière. Elle examine, pour conclure en ce sens, si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. En effet, le droit à la preuve peut aujourd’hui justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits ; à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

« La Haute Juridiction décide, dans cet arrêt publié, que l’enregistrement est ici recevable en application de sa Jurisprudence récente en la matière. »

En l’espèce, l’atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société a été strictement proportionnée au but poursuivi d’établir la réalité des violences subies par le demandeur, et contestées par le défenseur, puisque la victime s’est bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu’elle indique avoir subies et n’a fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l’employeur quant à l’existence de l’altercation. Les témoins de la scène ayant un lien économique avec ce dernier, la victime pouvait en outre légitimement douter qu’elle puisse se reposer sur leur participation.

C’est donc les éléments en présence qui, contrepesés, font confirmer à la Cour de cassation que la situation de ce salarié, au moment des faits, permet de considérer que cet enregistrement ne porte pas une atteinte disproportionnée aux principes d’un procès équitable et est bien indispensable à la partie qui l’a produite. Ces conditions rappelées et confirmées dans ce différend, l’enregistrement à l’insu de l’employeur est en conclusion considéré comme recevable et peut permettre la preuve de la faute du défendeur.

Chambre Civ.2, n° 22-11736 du 6 juin 2024.

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Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).

Virginie Perinetti

Virginie Perinetti

Avocate au Barreau de Paris depuis 2004

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