Inondations meurtrières en Espagne : cinq facteurs explicatifs

28 novembre 20249 min

Les violentes inondations qui ont frappé l’Espagne en octobre et novembre 2024 ont fait au moins 227 morts, selon les chiffres communiqués par le gouvernement espagnol le 18 novembre 2024. 13 personnes restaient portées disparues. Le lourd bilan humain soulève de nombreuses questions sur les différents facteurs ayant mené à cette catastrophe. Tour d’horizon des principales explications.

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Le 29 octobre 2024, un déluge d’eau s’est abattu sur l’est de l’Espagne et principalement la province de Valence, dotée d’une importante activité industrielle. En trois heures et vingt minutes, il est tombé autant de pluie que durant les 21 mois précédents, dans une région touchée par une longue sécheresse. Dans certaines communes, l’équivalent d’une année entière de pluies est tombé en l’espace de huit heures. Ces précipitations ont provoqué la crue des cours d’eau du secteur. 79 communes ont été touchées. Des rues ont été envahies par des torrents de boues, des personnes se sont retrouvées piégées dans leurs maisons, des voitures ont été emportées et des ponts ont été arrachés.

Zone sinistrée

Le gouvernement régional estime l’impact économique à 22 milliards d’euros, et le coût de la reconstruction à 31,4 milliards. La catastrophe a touché 350 000 emplois, 70 000 travailleurs indépendants, plus de 50 000 entreprises valenciennes, des dizaines de centres commerciaux et 63 zones industrielles qui peuvent chacune regrouper des centaines d’entreprises, d’après Radio France.

Dix jours après, puis à nouveau fin novembre, c’était au tour de l’Andalousie, située dans le sud de l’Espagne, d’être touchée par d’importantes crues.

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❶ Le phénomène de la goutte froide…

Fin octobre, deux anticyclones ne sont formés de part et d’autre de l’Espagne et au milieu, une goutte froide (une poche d’air très froid située à plus de 5000 m d’altitude) s’est retrouvée isolée et bloquée au-dessus de l’Espagne. L’air froid qui en est descendu a rencontré de l’air chaud et humide en provenance de la mer Méditerranée et de l’océan Atlantique. Ce qui a entraîné des précipitations très intenses.

La confrontation d’un air chaud d’une part et froid d’autre part a rendu l’atmosphère très instable, générant des orages qui ont pris un caractère stationnaire : “on parle d’un orage “en V” en raison de la forme qu’il prend sur les images satellites, a expliqué Météo France. La pointe du “V” – l’endroit où les orages sont les plus violents – était située près de Valence.” En France, la goutte froide a été responsable de l’épisode méditerranéen du 26 et 27 octobre dans le Sud-Est, et a ensuite engendré d’importants cumuls sur les Pyrénées-Orientales.

Le 30 octobre, l’Aemet, l’agence météorologique espagnole, estimait que cette goutte froide était la plus destructrice dans la province de Valence depuis le début du siècle, surpassant celle de 2019, plus précoce, qui avait fait sept morts et inondé de nombreuses habitations.

❷ …amplifié par le réchauffement climatique

“Les gouttes froides en Espagne ou en région méditerranéenne ne sont pas plus fréquentes aujourd’hui qu’avant, a expliqué Robert Vautard, climatologue coprésident du groupe 1 du Giec au micro de France 2. Mais elles donnent lieu à des pluies plus intenses parce que l’atmosphère est plus chargée d’humidité du fait du réchauffement climatique.”

Dans une tribune au Monde, la géographe Magali Reghezza-Zitt a alerté quant aux risques majeurs que l’inaction climatique engendre. “Chaque dixième de degré supplémentaire augmente de façon exponentielle les extrêmes hydroclimatiques, a-t-elle indiqué. La vérité est que si le réchauffement se poursuit au rythme actuel, de nombreux territoires en Méditerranée seront inhabitables, car trop coûteux à protéger.”

“En quelques mois seulement, des inondations ont frappé l’Europe centrale et orientale, l’Italie et maintenant l’Espagne, s’est de son côté exprimé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. C’est la réalité dramatique du changement climatique et nous devons nous préparer à y faire face dans toute notre Union et avec tous les outils à notre disposition.”

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❸ Une mauvaise gestion de crise et du dispositif d’alerte

La catastrophe a donné lieu à de vives polémiques concernant la responsabilité des parties prenantes à la gestion de crise. Le gouvernement régional est notamment critiqué pour avoir tardé à transmettre l’alerte à la population, malgré les avertissements émis par l’agence météorologique espagnole (Aemet) face à des conditions météorologiques extrêmes

Le message d’alerte de la protection civile, l’équivalent de FR-Alert en France, n’a ainsi été reçu sur les téléphones portables qu’après 20h, le 29 octobre, alors que de nombreuses personnes étaient déjà piégées ou emportées par la montée des eaux. L’Agence météorologique espagnole avait pourtant émis une alerte rouge pour la région de Valence dès 7h30 le matin.

“Je m’interroge sur la nécessité de distinguer la notion d’avertissement — à consacrer juridiquement en France, voire en Europe — de celle de l’alerte formelle, qui relève de l’autorité de police, explique François Giannoccaro , directeur de l’Institut des risques majeurs (IRMa). Cela me semble déterminant pour fluidifier le processus d’information entre un opérateur qui détient une donnée sur un événement prévisible à cinétique rapide et les responsables qui vont se saisir de cette donnée pour apprécier la situation critique et lancer l’alerte formelle.”

“Émis par des organismes comme Météo France ou encore des systèmes de prévision des crues comme Vigicrues, il consisterait à mettre à disposition ou diffuser idéalement au niveau local des informations rapidement vers les populations, notamment grâce aux technologies comme la diffusion cellulaire (cell broadcast) embarquée sur nos téléphones portables, dès l’observation d’un phénomène pouvant engendrer un danger imminent, explique François Giannoccaro. Ce mécanisme s’effectuerait en mode direct en complémentarité des intermédiaires habituels qui sont responsables de l’alerte formelle, en particulier pour les phénomènes à cinétique rapide.”

“Elle correspondrait, quant à elle, à une notification formelle lorsque le seuil critique est atteint, accompagnée de consignes de sécurité précises qui relèvent de la responsabilité de l’autorité de police, ajoute le directeur de l’IRMa.

❹ Une population en mouvement, des secours bloqués

Ce retard dans l’alerte a fait perdre de précieuses heures aux habitants : des milliers de personnes sont restées sur leur lieu de travail ou sont sorties de chez elles dans l’après-midi, pour aller récupérer leurs enfants à l’école par exemple. Elles se sont retrouvées bloquées sur les routes inondées, piégées dans leur entreprise ou dans des centres commerciaux.

L’accès aux zones inondées a été ensuite très difficile pour les secours. “La situation météorologique a fait que les ressources, les unités d’urgence et de secours n’ont pas été en mesure d’atteindre physiquement l’ensemble de la zone touchée”, a indiqué lors d’une conférence de presse le chef des pompiers de la région de Valence. Plusieurs vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont ainsi montré que les premiers secours à venir en aide aux populations dans certaines zones étaient des pompiers français, envoyés en Espagne dans le cadre du mécanisme européen de protection civile. L’absence de coordination a par ailleurs été dénoncée par de nombreux habitants et services de secours.

❺ Urbanisation en zone inondable et vulnérabilité géographique

Au cours des dernières décennies, la région de Valence a connu une transformation accélérée avec le tourisme de masse, ce qui a également conduit à une augmentation excessive de la population et de l’espace urbain.

« Valence se situe au bout d’un bassin versant gigantesque. Elle récupère toutes les eaux qui n’ont pas pu s’infiltrer en amont, a expliqué Clément Gaillard, urbaniste spécialiste en conception bioclimatique et adaptation au changement climatique au média Reporterre. Par le passé, il existait des zones tampons en périphérie de la ville, mais 9 000 hectares de vergers ont été détruits entre 1956 et 2011. […] Des zones urbanisées de manière un peu anarchique, à proximité de zones inondables ou dans des lits majeurs de fleuves, nous en trouvons partout dans le monde. Cela correspond à une époque où l’urbanisation s’est faite sans prendre en considération les enjeux liés à l’eau. Nous avons traité l’eau pluviale comme un déchet. Nous payons 150 années d’urbanisation brutale. »

La catastrophe rappelle la grande inondation de Valence survenue le 14 octobre 1957, provoquée par une crue importante du fleuve Túria qui traversait alors la ville. Plus de 80 personnes avaient perdu la vie. Les pluies torrentielles avaient surpris puisque la région souffrait d’une intense sécheresse et de privation d’eau. Quelques jours auparavant, on parlait même de possibles restrictions d’eau. En réponse à cette catastrophe, le gouvernement espagnol avait détourné le cours d’eau principal de la ville. Cela a permis de préserver le centre-ville de Valence lors des récentes inondations, mais les débits de la crue se sont reportés sur les faubourgs environnants.

Des erreurs commises

Le président de la région de Valence a admis le 15 novembre qu’il y avait eu des erreurs dans la gestion des inondations. “Je ne vais pas nier [qu’il y a eu] des erreurs, a-t-il déclaré dans un discours prononcé devant le Parlement régional. […] Je veux présenter mes excuses aux gens qui ont eu le sentiment que l’aide n’arrivait pas ou n’était pas suffisante”.

Fin novembre, les Espagnols étaient toujours les pieds dans la boue, confrontés à un long travail de nettoyage des déchets et terres séchées, laissées par la décrue. Le 24 novembre, un ouvrier qui travaillait à la remise en état d’une école touchée par les inondations dans la région de Valence est décédé lorsqu’une partie du toit du bâtiment s’est effondrée.

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Gaëlle Carcaly – Journaliste

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