Intelligence artificielle : une révolution qui tarde à venir pour la sécurité
Considérée tout d’abord comme le moteur d’une nouvelle étape cruciale pour la civilisation humaine, l’intelligence artificielle (IA) fait aujourd’hui l’objet de nombreuses interrogations et ses applications semblent limitées pour la sécurité privée.
L’IA est dans toutes les têtes, mais sera-t-elle vraiment au rendez-vous de l’histoire comme le prévoyaient initialement tous les experts et les stars de la Silicon Valley ?
Le rétropédalage est en effet impressionnant et les doutes sont nombreux. Les faramineux gains de productivité anticipés se révèlent nettement moins attrayants dans la réalité du terrain. La suppression de millions d’emplois n’a pas eu lieu – et ne semble pas se préparer –, tandis que plusieurs études américaines montrent que le passage à l’IA coûte beaucoup plus cher que le maintien des salariés en place.
Parallèlement, le cours de bourse de plusieurs sociétés spécialisées dans l’intelligence artificielle s’est effondré et les fonds d’investissement se montrent nettement plus circonspects pour prendre des initiatives dans cette technologie.
Frilosité de certains professionnels
Pour la sécurité, la révolution n’est pas encore là, estiment plusieurs experts. « L’IA est devenue un affichage commercial affirmant qu’elle est capable d’apporter des solutions novatrices. Mais cela n’a pas été vraiment le cas jusqu’à présent. L’IA ne va pas révolutionner la sécurité à court terme », nous déclare Patrick Lanzafame, président du GPMSE, organisation patronale qui rassemble les sociétés de sécurité électronique.
Il estime ainsi que l’IA peut apporter une vraie valeur ajoutée pour les services de renseignement – civils ou militaires – ou encore pour la santé qui brassent de nombreuses données. En revanche, selon lui, l’apport est minime pour l’analyse des alarmes enregistrées par des détecteurs.
S’appuyant sur une puissance informatique importante, l’IA est un logiciel qui s’enrichit automatiquement et apprend par lui-même : on en est encore très loin, par exemple dans les caméras de vidéosurveillance dites « intelligentes ».
Celles-ci peuvent seulement comparer un éventuel incident avec une situation similaire déjà stockée en mémoire, ce qui suppose de gigantesques bases de données. Et notamment une connexion entre les informations et les images collectées par les forces de l’ordre, les services de renseignement, les centres de supervision urbaine (CSU) et les sociétés de télésurveillance opérant pour des clients privés. Ce qui n’est pas chose faite.
Pour l’instant, les scénarios stockés dans le système informatique d’un opérateur sont encore trop succincts si bien qu’il ne peut pas détecter et analyser toutes les situations possibles. Sa capacité d’anticipation est donc encore minime.
« Les experts soulignent que le basculement vers l’IA coûte plus cher que de garder une configuration actuelle faisant intervenir des humains. »
Patrick Lanzafame, président du GPMSE.
« Les experts soulignent que le basculement vers l’IA coûte plus cher que de garder une configuration actuelle faisant intervenir des humains. Les gains de productivité sont lointains », souligne Patrick Lanzafame en pointant le fait que l’homme restera toujours un acteur majeur de la sécurité, notamment pour le secours aux personnes.
Pompiers
90 %
Police et gendarmerie
85 %
Douanes
85 %
Services de renseignement
81 %
Ministère de la Justice
77 %
Polices municipales
76 %
Entreprises de sécurité privée
61 %
Confiance des Français dans les acteurs utilisant l’IA pour des applications de sécurité.
Sondage OpinionWay – Septembre 2024.
La France au stade des expérimentations
L’époque actuelle en est aux prémices : dans la sécurité, l’IA est une technologie émergente qui peut s’appliquer à l’analyse des images vidéo prises pour assurer la protection périmétrique de gros sites sensibles. Elle diminuera le nombre de fausses alarmes et détectera des comportements inhabituels, tels que des mouvements de foule, la présence d’une personne ou d’un objet non autorisé dans une zone ou encore un départ de feu.
Alors que les Gafam investissent à coups de milliards de dollars sur cette technologie – et notamment sur les applications de sécurité –, la France apparaît singulièrement à la traîne. Des expérimentations ont été autorisées pendant une période de deux ans par la loi dite Sécurité globale votée en mai 2023. C’est elle qui a permis au ministère de l’Intérieur d’attribuer en janvier 2024 le marché public de la vidéosurveillance algorithmique des Jeux olympiques à quatre sociétés françaises, pour un montant de 8 M€.
Il s’agit de deux start-up (Wintics et Videtics), d’un poids moyen (ChapsVision qui opère dans le big data pour la sécurité) et Orange Business, filiale du groupe de télécom, très présente dans la vidéosurveillance urbaine. Les pouvoirs publics sont favorables à un prolongement de cette expérimentation.
De plus, sur le plan réglementaire, la France accuse un certain retard dans ce domaine par rapport à plusieurs pays européens avec la quasi-interdiction de la reconnaissance faciale sur la voie publique. Et la pénurie de spécialistes de l’IA dans la sécurité constitue un frein qu’il semble difficile de lever.
Autre exemple des débuts hésitants de l’IA : une version « dégradée » permet de connaître l’environnement économique ou commercial d’un client ou d’un prospect, par exemple en analysant l’image qu’il véhicule sur les réseaux sociaux. En fait, il s’agit d’une simple compilation et synthèse de données. Même état des lieux pour la maintenance préventive, basée sur des types de pannes déjà listées dans un système informatique.
65 % des Français estiment que l’IA est utile et efficace pour les forces de l’ordre, mais 45 % pensent que son usage doit être fortement réglementé afin de préserver au mieux les libertés individuelles. © Gearstd-AdobeStock – Image générée par IA.
Les Français favorables à l’IA
Néanmoins, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut se préparer à cette future rupture technologique. 46 % des entreprises privées et publiques investissent dans la sécurité électronique à base d’IA, selon un sondage réalisé fin 2023 par Human Thinking pour le compte de Securitas Technology, auprès de 900 décideurs en France, États-Unis, Royaume-Uni et Suède.
Autre sondage qui va dans le même sens : 31 % des chefs d’entreprise européens considèrent les systèmes de vidéosurveillance basés sur l’IA comme un moyen de résoudre leurs défis opérationnels, selon une enquête réalisée auprès d’un millier de décideurs de cinq pays pour le compte du groupe Hanwha Vision.
Le sondage le plus récent – datant de septembre 2024 –, réalisé par OpinionWay, et le plus intéressant, car il interroge directement la population, fait ressortir que 65 % des Français estiment que l’IA est utile et efficace pour les forces de l’ordre.
Néanmoins, leur opinion est partagée sur le niveau de réglementation à mettre en place : 54 % sont favorables à une réglementation qui doit laisser une marge de manœuvre suffisante aux forces de l’ordre pour assurer la sécurité alors que 45 % estiment que l’usage de l’IA doit être fortement réglementé afin de préserver au mieux les libertés individuelles.
Des niches prometteuses
L’industrie du drone paraît particulièrement réceptive aux promesses de l’IA. « Les robots et les drones équipés d’IA sont plus rapides, plus précis et moins susceptibles aux erreurs humaines », affirme Stéphan Le Doaré, auteur du livre « Géopolitique de l’intelligence artificielle » publié en novembre 2023 qui anticipe de nombreuses applications dans la guerre de demain.
« Nous travaillons sur des algorithmes qui permettront aux drones de s’adapter à des environnements changeants et d’effectuer des tâches de plus en plus sophistiquées de manière autonome. »
Marco Ballerini, dirigeant de Dronus.
Même son de cloche du côté de Marco Ballerini, dirigeant de Dronus : « L’intelligence artificielle et le machine learning permettront aux drones de prendre des décisions complexes en temps réel, d’optimiser leurs trajectoires et d’analyser les données collectées avec une précision sans précédent. Nous travaillons sur des algorithmes qui permettront aux drones de s’adapter à des environnements changeants et d’effectuer des tâches de plus en plus sophistiquées de manière autonome, ouvrant la voie à une véritable autonomie dans des environnements changeants et parfois hostiles. »
Les robots de sécurité constituent également un débouché potentiel important pour l’IA. Jeff Bezos, le mythique fondateur d’Amazon, a investi l’été dernier dans la start-up Swiss-Mile qui conçoit des robots dopés à l’IA leur permettant de s’adapter à un environnement non familier, notamment de se déplacer au milieu de la circulation automobile ou d’éviter des obstacles.
La grande question est celle de l’éthique quand l’IA agit de manière autonome, sans intervention humaine dans la boucle décisionnelle. C’est ce que les spécialistes appellent une IA forte. Elle relève aujourd’hui de la science-fiction, mais interpelle si l’on songe qu’un robot pourra un jour prendre seul la décision de tirer sur un délinquant, ou un drone de bombarder des terroristes cachés au milieu de civils. Des limites semblent indispensables.
Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).
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