Menace jihadiste : « Elle existe toujours, mais elle a baissé de niveau »

13 novembre 20249 min

D’avis unanime, les JOP 2024 ont été une réussite sur le plan sécuritaire. Durant cet événement inédit, trois projets d’attentat majeurs ont été déjoués, selon le procureur antiterroriste Olivier Christen. L’occasion de revenir sur la menace terroriste en France avec Alexandre Rodde, consultant sûreté et chercheur, spécialiste des questions de terrorisme.

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Quel bilan peut-on faire des JOP 2024 sous l’angle de la menace terroriste ?

Alexandre Rodde. Les JOP 2024 ont été une vraie réussite. Un certain nombre d’éléments étaient inquiétants, à commencer par la menace jihadiste. C’était un événement d’ampleur avec une résonance internationale importante, qui en faisait une cible idéale. Les Jeux, ce sont non seulement des compétitions, des stades et des athlètes, mais c’est aussi toute une logistique derrière. Il y a des foules qui se déplacent et qu’il faut gérer, des transports publics, des hôtels, etc.

Pour ce qui est de la menace terroriste en France, nous avions globalement deux problématiques : des menaces directement dirigées vers les JOP avec un certain nombre d’acteurs que l’on avait repérés, notamment jihadistes. Et des attaques qui pouvaient arriver pendant les JOP, sans y être liées directement, et qui pouvaient créer des troubles supplémentaires.

« La sécurité privée joue un rôle important de détection en premier lieu, de guidage du public, de réponse et d’alerte en cas de situation grave. »

Alexandre Rodde, consultant sûreté et chercheur, spécialiste des questions de terrorisme.

Alexandre Rodde, consultant sûreté et chercheur, spécialiste des questions de terrorisme (Crédit : Vincent Pasquier – CHU Orléans)

Au niveau des pouvoirs publics, comment évaluez-vous les actions mises en place ?

A. R. Il y a eu un travail formidable du ministère de l’Intérieur sur ces questions, notamment d’anticipation avec 936 visites domiciliaires tout au long du printemps 2024. C’est un chiffre gigantesque : sur une année classique comme 2023, il y en a eu 153. Il y a donc eu ce travail sur tous les individus qui pouvaient causer un risque pour les JOP, principalement de la mouvance jihadiste. Il y a eu également un certain nombre d’arrestations. Une quarantaine depuis le début de l’année, trois fois plus qu’en 2023. Et il y a plus de 700 mesures de type « Micas » (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) qui ont pu limiter la possibilité d’actions d’un certain nombre d’individus (lire l’encadré ci-dessous).

Ensuite, il y a eu un travail de présence sur les lieux pour empêcher la mouvance de passer à l’acte. Ça a l’air d’avoir fonctionné. On le voit quand on étudie l’arrestation à Marignier, en Haute-Savoie au mois d’avril, d’un individu de 16 ans qui préparait une attaque. Il ressort des premiers éléments qu’il projetait une attaque au couteau plutôt à La Défense qu’à Paris, car il pensait que la capitale serait maillée de nombreux policiers et gendarmes. Il y a donc eu un vrai succès des forces de l’ordre, autant du côté de l’anticipation que de la sécurisation des événements.

Peut-on dire que la France est mieux préparée aux attaques armées depuis la période 2015-2016 ?

A. R. Depuis la réforme du schéma national d’intervention de 2016, oui, la France est mieux préparée. Il y a eu une vraie évolution sur ce volet avec l’arrivée de fusils d’assaut pour les équipes d’intervention, une logistique plus lourde, des formations plus importantes…

En même temps, il y a eu un effort global, sur trois axes : un effort militaire en zone irako-syrienne, un effort judiciaire et sécuritaire en France pour s’occuper des personnes qui revenaient de ces zones et un effort de renseignement pour comprendre les filières jihadistes. C’est ce qui a permis de réduire le niveau de la menace.

Alexandre Rodde, consultant sûreté et chercheur, spécialiste des questions de terrorisme (Crédit : Vincent Pasquier – CHU Orléans)

« La génération actuelle de jihadistes est moins compétente que celle que l’on a pu avoir par le passé. »

Alexandre Rodde, consultant sûreté et chercheur, spécialiste des questions de terrorisme.

Depuis 2020, le profil des auteurs n’est plus le même que celui de la génération 2015- 2016. Cette dernière rassemblait des individus âgés d’une trentaine d’années, avec un passé criminel important, une radicalisation qui avait souvent eu lieu en prison et la capacité à activer des contacts dans le trafic de stupéfiants pour s’armer, s’équiper, s’organiser, financer une attaque. Ce n’est pas vraiment le cas de la génération actuelle.

En ce moment, on observe des profils plus jeunes, adolescents ou d’une vingtaine d’années, qui peuvent être primodélinquants, mais qui n’ont pas le passé judiciaire de leurs aînés. Ils se rabattent sur des moyens d’actions qui sont plus faciles à obtenir et plus facile à utiliser : l’arme blanche principalement, et le véhicule-bélier. La génération actuelle de jihadistes est moins compétente que celle que l’on a pu avoir par le passé. La menace existe toujours, mais elle a baissé de niveau.

En termes d’effectifs, la sécurité privée a été au rendez-vous lors des JOP. Quel est son rôle en cas d’attaque terroriste ?

A. R. Le rôle de la sécurité privée est différent de celui des forces de l’ordre : l’idée n’est pas d’en faire un supplétif. Mais elle joue un rôle important de détection en premier lieu, de guidage du public, de réponse et d’alerte en cas de situation grave. On a vu des choses qui ont pu faire la différence comme au Bataclan, mais on a vu aussi des manquements assez graves, comme lors de l’attaque de Manchester en 2017 en Angleterre. Les agents de sécurité avaient repéré un individu déambulant durant une dizaine de minutes avec un gros sac à dos et qui faisait des signes religieux. Ils ne sont pas intervenus immédiatement, ce qui a permis à l’homme de faire 22 morts.

En cas d’attaque, les premiers moments relèveront de la responsabilité de la sécurité privée, avant que les forces de l’ordre soient assez nombreuses pour gérer la neutralisation de la menace, puis la gestion de la foule. Ce rôle particulier des agents de sécurité privée est à prendre en compte, car les forces de l’ordre ne peuvent pas être partout. Elles ont pu l’être durant les JOP, car elles étaient très nombreuses, mais elles ne le seront pas dans la majorité des cas.

Comment le responsable sûreté d’un établissement recevant du public (ERP) peut-il anticiper la menace terroriste dans son établissement ?

A. R. Les écoles, les maisons de santé, les salles de concert restent des sites particulièrement vulnérables : ils reçoivent beaucoup de monde, cela présente un risque particulier. Cependant je dirais que, même s’il possède un rôle extrêmement important, on ne peut pas tout attendre d’un responsable sûreté d’ERP. En temps normal, il a beaucoup d’obligations et doit assurer beaucoup de missions. Si l’action terroriste se révèle potentiellement très grave dans un ERP, elle est cependant associée à une probabilité mineure : elle reste moins risquée qu’un certain nombre de problématiques que le responsable sûreté affronte régulièrement. La menace terroriste, c’est donc un tout petit point parmi les autres, mais qui demeure néanmoins important à cause de la grande responsabilité qu’elle incombe dans la gestion du public.

Quelle doit être la démarche ?

A. R. Il faut aborder la question avec un peu de réalisme, beaucoup de praticité et en toute sérénité. À la différence d’un policier ou d’un gendarme, le terrorisme est un sujet particulièrement anxiogène pour des gens dont ce n’est pas le métier. L’idée c’est d’adopter des dispositifs de sécurité qui soient pertinents. Il y a des choses simples, des actions réflexes qui peuvent être mises en place et qui permettent de faire une vraie différence.

Sur les plans particuliers de mise en sûreté en milieu scolaire (PPMS) par exemple, il y a du très bon et aussi du très mauvais. Parfois, je constate des formations contre l’intrusion armée où l’on donne des leçons de self-défense en une heure et demie à des employés du secteur privé. Face à une intrusion armée, cela me paraît particulièrement grave ! D’autres vendent à mon avis plus une séance de cohésion qu’une véritable session de prévention pour un phénomène qui peut être dangereux et peut entraîner des responsabilités personnelles, professionnelles et pénales.

Au cours de l’été, selon Gérald Darmanin, alors à la tête de la Place Beauvau, 559 personnes ont été placées sous Micas (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance). Décidées par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la lutte antiterroriste, les Micas ne sont pas des décisions de justice, mais des mesures administratives, permettant d’interdire à un individu de sortir d’un périmètre donné, tout en l’obligeant à pointer quotidiennement au commissariat.

Contestées devant les tribunaux administratifs, certaines de ces mesures ont été annulées par la justice après leur mise en place. Les juges ont, en effet, estimé dans un certain nombre de cas que les éléments apportés par le ministère de l’Intérieur pour juger de la dangerosité des personnes visées manquaient de précision. Au cours de la période olympique, plusieurs médias, en particulier Le Monde et Mediapart, ont relaté les témoignages d’individus s’estimant lésés.

Camille Hostin

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Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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