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Notre-Dame armée contre l’incendie
Défense passive et défense active contre l’incendie, tous les progrès et tous les outils de la protection incendie ont été investigués pour sélectionner une panoplie optimale et garantir à la cathédrale Notre-Dame de Paris la meilleure sécurité face au risque incendie.
Quelle que soit la cause de l’incendie du 15 avril 2019 – l’enquête est toujours en cours – l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris a souhaité que la question de la protection incendie soit prise dans sa globalité et sans a priori ; il ne s’agissait pas de préparer la guerre d’avant.
Aussi, en préalable, une analyse de risque exhaustive a-t-elle été commandée à la maîtrise d’œuvre, architectes et bureaux d’études spécialisés selon « le prisme réglementaire et le prisme du bâti, afin de prendre en compte l’aspect réglementaire – les normes incendie – et les contraintes inhérentes à un monument historique, énonce Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques. Il y a un parti patrimonial, mais aussi un parti technique. » Ils doivent être mis en cohérence. Ainsi, « on ne peut pas construire des charpentes en bois aujourd’hui de cette dimension-là sans une réflexion très poussée sur la sécurité incendie ».
L’établissement public, en lien étroit avec la maîtrise d’œuvre, a fait appel ensuite à l’expertise et aux moyens des meilleurs spécialistes français de la simulation feu pour qualifier les solutions les plus adaptées. Dans ce cadre, il a mandaté l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) pour effectuer des simulations grâce à un « jumeau numérique » de la cathédrale. Elles ont mobilisé les ressources du plus gros calculateur du pays, celui du CEA – deux semaines de calcul pour avoir un résultat ! « Le laboratoire a reconstitué le volume du grand comble – soit la nef et le chœur –, des deux bras du transept et de la flèche tel qu’il existait avant l’incendie et tel qu’il est à présent restitué, et a fait une simulation de l’incendie du 5 avril 2019, pour vérifier la véracité des données. Il a aussi procédé à des essais feu avec des maquettes à grande échelle, dans des chambres spécialisées », précise l’architecte du patrimoine Justine Demuth.
À partir de ces essais, les solutions les plus innovantes ont été envisagées et testées, pour une « défense passive » ne nécessitant pas d’action – telles que les fermes coupe-feu et l’épaisseur de la volige – « et active » du monument – telle que la brumisation, qui se déclenche en cas de détection –, permettant de prévenir les risques d’incendie et d’empêcher, ou tout au moins retarder, la propagation du feu.
Levage d’une des deux fermes coupe-feu. Elles permettent de séparer les volumes de la nef et du chœur de celui de la flèche et des deux bras du transept. © Rebâtir Notre-Dame de Paris.
Des actions préventives
Un nouveau système de détection automatique d’incendie agira en prévention. « Pour faciliter à la fois l’accès, l’entretien et la qualité de la détection, on met en place un système d’aspiration à l’aide de tubes visant à analyser l’air en permanence. L’air ainsi prélevé est orienté vers une centrale de détection incendie, où il est analysé et localisé. S’il y a de la fumée, l’alarme incendie se déclenche automatiquement », expliquent les lieutenants-colonels Jean-François Duarte Paixao, Alain Chevallier et Dominique Jager de la Mission sécurité sûreté et audit (Missa) de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA) qui a apporté son expertise.
« Ce système intelligent va permettre de détecter le plus rapidement possible un départ d’incendie, quel que soit l’endroit. En complément, des caméras thermiques seront mises en place dans les espaces identifiés comme étant les plus à risques, au niveau du grand comble et de la flèche, et au niveau des tableaux électriques (chaufferie, tribunes, grand orgue, sacristie, presbytère…) afin de conserver l’avantage d’une détection précoce d’un feu naissant », ajoute Alexandre Pernin, directeur adjoint des opérations de l’établissement public.
Un système de brumisation inédit pour une cathédrale en France
Une double détection par aspiration – il faut que deux tuyaux détectent un départ de feu – déclenche automatiquement un fin brouillard d’eau (la brumisation) dans la zone concernée. Dans le même temps, les informations sont immédiatement envoyées au poste central de sécurité incendie installé dans le presbytère. « Grâce à ses microgouttelettes qui se transforment en vapeur au contact de l’incendie, ce dispositif d’extinction automatique, installé partout dans le grand comble, diminue la température et finit par étouffer l’incendie qui, ainsi, ne peut plus se développer. Le brouillard d’eau réduit la température en une minute de 500 à 600 °C à moins de 100 °C sans répandre trop d’eau sur les voûtes. Le but est de mettre le brouillard d’eau en service là où le feu est détecté, une démarche qui participe à la préservation du monument », explique Marc Metzinger, directeur d’activité multifluides du bureau d’études techniques Alternet, co-traitant de l’équipe de la maîtrise d’œuvre.
Un système de protection incendie par brouillard d’eau a été installé avec un réseau de buses disposées partout dans le grand comble de la cathédrale. © Rebâtir Notre-Dame de Paris.
L’entreprise Marioff (Hauts-de-Seine), spécialisée dans la protection contre l’incendie par brouillard d’eau haute pression, a conçu et mis en œuvre le dispositif. Le système est constitué de surpresseurs, de vannes alimentant les différentes sections de la zone à protéger, d’un réseau de tuyauterie sous pression constante et de diffuseurs spécifiques (buses) : « Des capteurs numériques permettent d’observer s’il y a une chute de pression. Si, après dix secondes, la pression seuil du réseau n’est pas rétablie, les pompes (surpresseurs) situées au sous-sol de la cathédrale démarrent pour alimenter les buses et permettre la diffusion des microgouttelettes d’eau, dans la charpente », précisent les ingénieurs Stéphane Burkhard et Florence Casas. Un groupe électrogène permet de maintenir en fonctionnement les équipements en cas de coupure d’électricité.
Des fermes coupe-feu
D’autres outils pour lutter contre la propagation de l’incendie ont été adoptés, dont l’épaississement de la volige. « On a constaté, après échanges avec les pompiers et via des études numériques très poussées, qu’à chaque fois qu’on ajoutait un millimètre à la volige, on gagnait une minute avant que le feu ne perce le toit et gagne en intensité. Nous avons donc épaissi la volige de 15 millimètres pour récupérer un quart d’heure avant que le feu ne perce », explique Rémi Fromont.
À cela vient s’ajouter le recoupement des combles au moyen de fermes coupe-feu. « Deux fermes coupe-feu permettent d’obtenir trois volumes au lieu d’un seul : le volume de la nef, du chœur et celui du transept avec la flèche. En cas de déclenchement d’un feu dans l’un de ces trois volumes, cela permet de retarder considérablement la propagation au volume d’à côté », explique Alexandre Pernin. Ces fermes coupe-feu ont aussi l’avantage de pouvoir abriter des locaux techniques accueillant les dispositifs de détection et de brumisation. « Notre intervention réside dans la conception et la fabrication d’une structure métallique qui peut accueillir le système de protection incendie, des fermes coupe-feu aux équipements à l’intérieur de cette structure », précise Amine Baroudi, ingénieur principal au département rénovation ouvrages d’art du groupe Baudin Chateauneuf (Loiret), qui a remporté l’appel d’offres des fermes coupe-feu et des locaux pompiers.
En dernier lieu, la capacité d’accès des secours a été améliorée. Les colonnes sèches (des conduites d’eau verticales fixes et rigides destinées à être raccordées aux tuyaux des sapeurs-pompiers pour être mises sous pression d’eau en cas d’incendie) ont été repensées pour faciliter l’intervention des secours. De plus, le débit d’eau mobilisable au plus près de la cathédrale a été multiplié par trois pour atteindre 600 m³ d’eau par heure. « Et surtout, de nouveaux concepts ont été développés. La mise en place, notamment, de locaux protégés et adaptés pour rendre possible l’action des pompiers. Si les pompiers devaient lutter contre le feu avec leurs lances, ils disposeraient ainsi d’un espace de manœuvre en partie haute de la colonne, de manière à mettre les moyens, et se préparer avant d’entamer une action sur le sinistre », expliquent les officiers de la Missa.
La Brigade de sapeurs-pompiers de Paris s’est également équipée d’une nouvelle nacelle qui peut monter jusqu’à 42 mètres de haut et le réseau des poteaux d’incendie a été modifié pour permettre d’accéder aux canalisations au débit augmenté, à proximité immédiate.
« Nous aurons fini dans le courant de l’été 2024 et aurons ainsi le temps de faire tous les essais en vue de la réouverture, fin 2024 », conclut Rémi Fromont.
« La connaissance scientifique ainsi développée grâce au chantier de restauration de Notre-Dame de Paris pourra servir à enrichir le plan de protection incendie d’autres cathédrales », ajoute Alexandre Pernin.
Article extrait du n° 604 de Face au Risque : « Notre-Dame : la sécurité incendie renforcée » (novembre-décembre 2024).
Cet article est extrait du n° 6 de La Fabrique de Notre-Dame, le journal de la restauration co-édité par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris et Connaissance des Arts, grâce au mécénat du groupe LVMH. En savoir plus sur le site internet de Rebâtir Notre-Dame de Paris.
Myriam Boutoulle
Journaliste-rédactrice spécialisée en art
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