Cargo Ruby : «Il faut arrêter cette psychose sur le nitrate d’ammonium»
À l’ancre depuis le 25 septembre, le vraquier Ruby, chargé de nitrate d’ammonium, est présenté comme une «bombe flottante» par de nombreux médias. À tort, selon Éric Slominski, expert en transport maritime de matières dangereuses.
Parti le 22 août 2024 du port de Kandalakcha, en Russie, chargé de 20 000 tonnes de nitrate d’ammonium, le vraquier Ruby est à l’ancre depuis le 25 septembre au large des côtes anglaises.
Quatre ans après l’explosion du port de Beyrouth, causée par du nitrate d’ammonium, aucun port européen ne souhaite l’accueillir. Victime d’avaries à la suite d’une tempête, le navire ne peut continuer sa route vers sa destination finale, identifiée comme étant le Brésil par les associations de défense de l’environnement Mor Glaz et Robin des Bois.
Une situation absurde et inquiétante, selon Éric Slominski, expert en transport maritime de matières dangereuses. Entretien.
Face au Risque. Est-ce fréquent que des navires transportent de telles quantités de nitrate d’ammonium, ou autres substances dangereuses ?
Éric Slominski. Oui, c’est quelque chose de très fréquent. Et la majorité des navires marchands transportent des matières dangereuses. On estime que, sur un porte-conteneur, il y a en moyenne 5% de volume de marchandises dangereuses. Dans le cas du Ruby, il s’agit d’un navire vraquier, et 20 000 tonnes de nitrate d’ammonium se transportent tout à fait sur ce genre de navire. Il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans.
Certains médias grand public parlent d’une “bombe flottante”, et font un parallèle avec ce qu’il s’est passé sur le port de Beyrouth en 2020. Y a-t-il réellement un risque d’explosion ?
É. S. Il y a cette phrase magique qui dit “le risque 0 n’existe pas”. En effet, mais dans le cas du Ruby, il s’agit d’engrais de nitrate d’ammonium, avec au plus 0,2% de matière combustible. C’est incomparable avec ce qui a fait exploser le port de Beyrouth, car il s’agissait alors de nitrate d’ammonium destinés à la fabrication d’explosifs.
Pour autant, il ne faut pas minimiser le pouvoir explosif du nitrate d’ammonium présent sur ce vraquier. En revanche, le risque d’arriver à une explosion est minime. Évidemment, si quelqu’un va dans la cale du navire avec une potentielle source de chaleur, comme un chalumeau, une disqueuse ou des outils à batteries lithium, ça pourrait provoquer un incendie, et s’il n’est pas maîtrisé, une explosion. Mais si personne ne touche à la cargaison marchandise, alors il n’y a aucun risque. Néanmoins, cette situation ne peut pas durer indéfiniment.
Si le risque est si faible, pourquoi aucun port ne veut l’accueillir ?
É. S. Il y a une psychose depuis ce qu’il s’est passé à Beyrouth. Ça a marqué les esprits, et le nom «nitrate d’ammonium» est associé, dans la tête de beaucoup de gens, à cette catastrophe. Sauf qu’il y a plusieurs types de nitrate d’ammonium. Dans le cas de Beyrouth, il est à noter, que la substance avait été conservée pendant six ans dans des conditions plus que médiocres avant d’exploser.
Honnêtement, dans le cas du Ruby, je ne comprends pas le raisonnement des autorités, qu’elles soient françaises ou européennes. C’est trop long, et tout le monde craint ce navire et a peur de gérer cette situation de crise, alors qu’on ne devrait pas avoir peur. Il s’agit certes d’une matière dangereuse, classée comme telle, mais elle se charge et se décharge comme toute marchandise. On charge même des nitrates d’ammonium sur des navires de transport de passagers. Il faut arrêter la psychose avec cette substance.
Êtes-vous inquiet par l’inaction et le manque de coopération des États face à cette situation ?
É. S. Oui, ça m’inquiète plus que la substance en elle-même. En tant qu’expert en transport maritime de matières dangereuses, c’est pour moi un cas d’école. Il n’y a pas d’incendie, pas de « réel » danger, et malgré cela on n’est pas capable de gérer la situation dans des temps raisonnables. On peut se demander ce qu’il se passera le jour où on aura un incendie ou une explosion, car là, il y a clairement un manque de coopération européenne : la Norvège, la Suède et la Lituanie ont refoulé le bateau. Il s’est retrouvé au mouillage en Angleterre, la France est fébrile, et la Belgique se fait discrète. Alors j’entends le préfet du Nord, qui dit qu’il surveille le navire. Mais il ne faut pas le surveiller, il faut s’en occuper : il faut le décharger, soit à quai, soit avec des barges, soit transborder la cargaison sur un autre navire.
Existe-t-il des conventions internationales obligeant les pays à accueillir un navire en détresse dans ce type de situation ?
É. S. Le droit maritime impose uniquement une assistance aux personnes. Pour le navire, c’est payant. L’armateur a demandé à avoir accès à un quai, et a proposé de payer, mais aucun port n’a accepté de l’accueillir. Il y a déjà eu d’autres cas de ce type, mais pas qui durent aussi longtemps. Ce dossier est clairement mal géré.
Camille Hostin – Journaliste
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