Conséquences de l’incendie de Lubrizol pour l’Homme et l’environnement

27 septembre 20246 min

À la suite de l’incendie des usines Lubrizol et Normandie Logistique du 26 novembre 2019, et des 10 000 tonnes de produits chimiques partis en fumée, un groupe de scientifiques rouennais a lancé le projet Cop Herl. Son objectif : étudier, sur du plus long terme (de novembre 2020 à juin 2024), les conséquences de l’accident pour l’Homme et l’environnement et proposer des recommandations aux acteurs décisionnels et aux gestionnaires locaux et nationaux.

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Financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche) et la Région Normandie, le projet interdisciplinaire Cop Herl, regroupant 17 laboratoires et plus de 100 experts scientifiques – chimistes, biologistes, spécialistes de la santé, de la combustion, des environnements naturels,  psychologues, sociologues, économistes, géographes… – vient d’être publié. Il met en lumière certains points qui n’avaient pas pu être explorés durant la gestion de crise de l’incendie de Rouen et propose plusieurs recommandations.

Conclusions relatives à l’environnement

Les conclusions du projet Cop Herl révèlent que 30 molécules organiques retrouvées dans l’air au moment de l’incendie de Rouen, dans les sols, les sédiments et les eaux souterraines et de surface ont été identifiées comme marqueurs spécifiques de l’incendie. C’est-à-dire qu’elles n’étaient pas présentes avant l’incendie et ont donc été générées par celui-ci. Parmi ces molécules, les deux-tiers présentent un risque mineur ou nul. En revanche, « huit substances sont classées cancérogènes et mutagènes, perturbateurs endocriniens et/ou reprotoxiques, ou toxiques pour les organismes aquatiques », indique le document de Cop Herl.

L’objectif du projet étant de qualifier ces molécules, les scientifiques recommandent à présent aux autorités de les rechercher dans les nappes phréatiques qui alimentent en eau potable la population, de les quantifier et de les surveiller.

Par ailleurs, dans les sédiments de la Darse au bois, le bassin situé près de Lubrizol qui a reçu les eaux d’extinction, les chercheurs ont trouvé des concentrations de cadmium, de cuivre, de plomb, de zinc, d’HAP et de PCB supérieures aux seuils autorisés. Ainsi que des Pfas dont les niveaux de contamination « dépassent par deux fois (au moment de l’incendie puis fin 2022-début 2023) les valeurs maximales observées dans les sédiments en aval de Lyon », précise le rapport.

Ils recommandent donc aux pouvoirs publics de « vérifier que les sédiments ne relarguent pas des doses toxiques pour les organismes aquatiques ». Et après leur curage, qu’ils soient « mis en décharge selon une procédure spécifique ».

L’impact de l’incendie de Rouen sur la population

Des recherches ont également été menées sur les cheveux d’habitants résidant ou travaillant dans la zone située sous le panache des fumées afin de déterminer s’ils ont été exposés à un polluant. Les résultats n’ont pas montré de surexposition significative aux contaminants.

Toutefois, conscients que la population a ressenti des gênes (vertiges, nausées, vomissements, picotements aux yeux…) pendant et après l’incendie, les auteurs du projet recommandent aux autorités de ne pas négliger les ressentis des riverains dans la communication de crise afin de lever tout sentiment de suspicion.

Signaux d’alerte et consignes de sécurité

L’étude met en exergue la mauvaise connaissance du signal national d’alerte et des consignes de sécurité par la population.

Ainsi, selon une enquête menée en 2018 (soit quelques mois avant l’incendie et avant le déploiement de FR-Alert mis en place en juin 2022) auprès des résidents de la zone du PPI (plan particulier d’intervention), des personnes la fréquentant et des responsables des ERP (établissements recevant du public) de cette zone :

  • moins de 20% des enquêtés font le lien entre le signal d’alerte et les consignes, connaissent le sens de l’un (sirène) et les modalités de l’autre (se mettre à l’abri, écouter la radio …) ;
  • 24 % connaissent le signal d’alerte (sirène) mais n’y associent pas de comportement ;
  • 46% ne connaissent ni l’un ni l’autre ;
  • 60% des responsables d’ERP ou de sécurité ne laisseraient pas entrer les personnes situées à l’extérieur dans leurs établissements en cas d’alerte.

Le projet Cop Herl constate que la culture du risque n’est pas suffisamment développée. Il préconise notamment de :

  • former et informer largement la population en amont sur les différentes procédures de l’alerte (rôle, fonctionnement, émetteur, suivi) ;
  • mettre en place des programmes de formation sur le confinement et l’évacuation auprès des personnels de sécurité et des responsables des ERP ;
  • réaliser un diagnostic sur les zones refuges et de mise à l’abri présentes sur les territoires à risques industriels ;
  • créer un statut de personnes référentes de sécurité civile pour les agents de sécurité ou responsables d’ERP ;
  • organiser des séances de travail sur l’information et l’alerte entre les responsables de communication des mairies, de la métropole et de la préfecture ;
  • donner l’alerte et diffuser des informations officielles en continu en cas de crise ;
  • communiquer sur les dangers d’être à l’extérieur en cas de nuage toxique ;
  • réaliser des exercices de confinement, à domicile et dans des lieux publics, en situation ordinaire ;
  • distribuer des kits de confinement (plaquette, adhésif) ;
  • former aux bonnes pratiques les responsables de transport en commun ;
  • diversifier les canaux de diffusion de l’information ;
  • préparer en amont des messages types à diffuser tout au long de l’événement et même après pour informer sur les procédures en cours et les analyses a posteriori ;
  • favoriser les collaborations avec les associations de MSGU (Médias sociaux en gestion d’urgence) pour la lutte contre les rumeurs et l’identification de comportements particuliers ;
  • favoriser la coordination de la communication entre les acteurs (industriels, différents échelons administratifs).

Échantillons des produits chimiques

Autre point soulevé par Cop Herl : l’accès aux échantillons des produits qui ont brûlé afin de mener à bien les investigations. Car dans le cas présent, ni Lubrizol, ni Normandie Logistique n’ont fourni les échantillons des produits incriminés, selon Paris Normandie. Ainsi en l’absence de ces produits natifs, « des essais de combustion ont été réalisés dans une enceinte confinée de laboratoire à partir d’huiles minérales sans additifs et d’huiles pour moteurs contenant des additifs (susceptibles de contenir des molécules identiques à celles produites sur le site de l’usine Lubrizol », note le rapport.

La balle est à présent dans le camp des autorités locales et nationales.

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Martine Porez – Journaliste

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