Musée d’Orsay : la crue centennale comme référence

5 septembre 20249 min

Situé au cœur de Paris sur les bords de Seine, le musée d’Orsay abrite des milliers de chefs-d’œuvre, dont la plus importante collection de tableaux impressionnistes. L’établissement est doté d’un plan de protection contre les inondations, mis à jour annuellement et élaboré en référence à la plus importante crue que l’ancienne gare ait connue : le débordement de la Seine de 1910.

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La photo d’époque en noir et blanc est saisissante. Lors de la crue de la Seine à Paris fin janvier 1910, la gare d’Orsay – l’ancêtre du musée éponyme – est sous l’eau. Ayant atteint la cote de 8,62 m mesurée au pont d’Austerlitz le 28 janvier 1910, la Seine en crue aura paralysé l’activité de tout Paris durant plusieurs semaines. Le caractère exceptionnel de cette inondation fait qu’on la qualifie d’épisode centennal, autrement dit qui a une chance sur 100 de se produire.

De la gare au musée d’Orsay

La région parisienne affronte régulièrement des crues dites majeures, supérieures à la cote de 6 mètres. La dernière en date s’est produite en juin 2016, avec 6,10 m.

L’État a engagé des travaux depuis 1910 : il a fait aménager quatre lacs-réservoirs en amont de la capitale pour réguler le cours de la Seine, rehausser les ouvrages de défense (digue, levée, murette…) et curer le lit du fleuve. Entretemps, l’ancienne gare d’Orsay et son hôtel ont été réhabilités en musée d’art et d’exposition au début des années 1980, après avoir été classés « monument historique ».

PPRI et PPCI : prévention et protection

À Paris, un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) a été approuvé par arrêté préfectoral le 15 juillet 2003, et révisé en 2007. Ce PPRI impose notamment aux établissements et réseaux assurant une mission de service public et situés en zone inondable l’élaboration d’un plan de protection contre les inondations (PPCI).

« Le PPCI est un document obligatoire qui doit être transmis au préfet de région et mis à jour tous les ans. Il comprend une partie gestion de crise et une partie sauvegarde des biens culturels. »

« Le PPCI est un document obligatoire qui doit être transmis au préfet de région et mis à jour tous les ans, décrit Sébastien Saura, responsable unique de sécurité et chef du service Exploitation et Sécurité du musée d’Orsay. On y retrouve la chronologie d’alerte selon le niveau atteint par la Seine, ainsi que la partie opérationnelle : qui fait quoi, à quel moment… Il comprend une partie gestion de crise et une partie sauvegarde des biens culturels. Chaque mise à jour est l’occasion d’un travail collectif, impliquant les différentes directions du musée.»

Remontées de nappes et infiltrations en sous-sol

Propriété de l’État, le musée d’Orsay est un édifice de 58 000 m² qui borde les quais sur la rive gauche de la Seine. Il se compose d’un hall de 32 m de haut sur 40 m de large et 138 m de long. Doté d’une structure métallique et surmonté d’une verrière, le bâtiment comprend aussi 6 étages et 4 niveaux en sous-sol. « Ces niveaux en infrastructure ont été créés au moment de la construction du musée, ils n’existaient pas du temps de la gare », nous détaille le responsable unique de sécurité. Au dernier sous-sol, « nous sommes à environ moins 16 mètres en dessous du niveau de la Seine. Un cuvelage étanche a été créé autour de ces infrastructures, en prévision des remontées d’eaux souterraines ».

Malgré les précautions prises lors de la réhabilitation, les sous-sols constituent une vulnérabilité au risque inondation pour le musée. « Les sous-sols accueillent des locaux techniques et font aussi office de réserves pour les œuvres, poursuit Sébastien Saura. Avec le temps, il s’est produit des fissures dans le cuvelage. Lorsque les eaux de la Seine montent, cela appuie sur la nappe phréatique et nous avons des infiltrations dans les infrastructures par capillarité. Dès que l’on arrive aux premiers seuils d’alerte de notre plan inondation [soit à la cote de 4,50 m mesurée au pont d’Austerlitz, NDLR], il se forme des flaques d’eau par endroits. Et ceci bien avant le débordement de la Seine [qui correspond à une cote supérieure à 6 m, NDLR] ».

Sébastien Saura, responsable unique de sécurité et chef du service Exploitation et Sécurité du musée d’Orsay. © Musée d’Orsay

« L’anticipation est très importante. Nous ne pouvons pas ne pas être prêts si l’eau monte vraiment. »

Sébastien Saura, responsable unique de sécurité et chef du service Exploitation et Sécurité du musée d’Orsay.

Des travaux sur le cuvelage

Récemment, de gros travaux ont été entrepris pour réduire les fissures et restaurer l’étanchéité du cuvelage originel. « Depuis ce gros chantier, nous avons moins d’infiltrations, constate le responsable unique de sécurité. Néanmoins lorsque des flaques apparaissent, notamment aux endroits qui n’ont pas été traités, nous intervenons et nous nettoyons avec l’aide du détachement de pompiers de la BSPP dont le musée bénéficie à demeure ».

Après un seuil de vigilance déclenché lorsque la Seine atteint la hauteur de 3,20 m au pont d’Austerlitz, les premières actions du PPCI établi par le musée consistent notamment à effectuer une veille informationnelle sur le niveau de la Seine et les prévisions météorologiques ainsi que des contrôles réguliers de l’état des sous-sols du bâtiment dès que le seuil de 4,50 m est franchi, afin de surveiller ce phénomène d’infiltrations.

Le scénario de 1910 en référence

Le scénario retenu pour élaborer le PPCI du musée d’Orsay est basé sur la hauteur de crue de 1910. Cette hauteur d’eau a été transposée aux différents niveaux actuels du musée. Si un certain nombre d’entre eux resteront probablement hors d’eau, d’autres seront submergés : de 50 cm dans l’allée centrale à 2,60 m en bas de nef… Par ailleurs, les sous-sols seraient totalement noyés. En effet, la cote d’arase du cuvelage réalisé dans les années 1980 se situe à 6,18 m. Un seuil critique. Au-delà de cette cote, l’eau commencera à pénétrer dans le bâtiment. Ce scénario catastrophe doit être pondéré par un paramètre important : le temps. Avec un rythme moyen de montée des eaux de 50 cm par jour en cas de pluviométrie intense en amont (selon l’Agence parisienne du climat), Paris et ses habitants disposent normalement de quelques jours pour se préparer à une inondation majeure.

Protéger les œuvres et les équipements

Dès le seuil d’alerte de 5,20 m atteint, la préparation du musée à un débordement de la Seine de type 1910 repose sur une chronologie d’actions qui s’étale sur 96 heures, soit 4 jours. La priorité concerne en premier lieu les sous-sols : c’est là que sont entreposées les œuvres en réserve. Il faut éditer les listes d’œuvres, regrouper les matériels de transport et de manutention, avant de tout remonter dans les étages. Un réel défi logistique.

Dès 2003, le musée a pris en considération cette contrainte et a démarré une politique d’externalisation partielle de ses réserves en vue d’alléger le déplacement des œuvres en cas de crue. « Suite au retex de la crue de 2016, le musée l’a poursuivie, indique Sébastien Saura. Cela a permis d’atténuer le risque pesant sur le patrimoine et cela fait moins de personnel à mobiliser. »

C’est aussi en sous-sol que se situent des équipements névralgiques : les groupes électrogènes, des centrales de traitement d’air, les groupes froid… Il faut, selon les cas, arrêter proprement les équipements et/ou leur faire prendre de la hauteur. « Nous avons prévu un groupe électrogène mobile, de moyenne taille, qui remonte dans les étages, poursuit le responsable unique de sécurité. Cela permet de travailler encore, notamment en salle de crise. Avec moins d’électricité, mais en restant autonome. En cas de perte du réseau informatique, nous avons également quelques ordinateurs qui sont indépendants en 4G. Cela permet de communiquer vers l’extérieur et de recevoir les informations ». La fermeture de l’établissement au public est prévue dès la cote de 5,50 m, concomitante avec l’activation de la cellule de crise.

Grandes manœuvres

Cette cote de 5,50 m déclenche une course contre la montre : il faut remonter les œuvres et protéger celles qui ne peuvent pas l’être (comme les sculptures) ; mettre en place des batardeaux (sacs de sable ou systèmes de plaques métalliques coulissant sur rails fixes) sur les différents accès ; remonter le groupe électrogène et ses fûts de carburant. Tout cela exige des moyens humains, de la coordination et de la planification. Dans le cas où le musée se retrouverait complètement isolé du fait de l’envahissement des eaux, le plan prévoit (en amont, dès 4,50 m) la constitution de vivres et d’équipements (cuissardes, lits de camp, moyens de communication…) pour faire face à la paralysie progressive de Paris (transports en commun, électricité, approvisionnements…).

Pour contrer la montée des eaux et protéger notamment les sous-sols, les équipes du musée d’Orsay s’entraînent à mettre en place des batardeaux. Ici un système coulissant sur rails, montable en 20 minutes par 3 personnes.

« L’impact sur la sûreté est important, relève Sébastien Saura. Si l’on n’est plus alimenté en électricité, les équipements de sûreté ne seront plus opérationnels. Et si notre groupe électrogène tombe en panne, alors nous devrons basculer sur de la surveillance humaine. L’anticipation est très importante. Nous ne pouvons pas ne pas être prêts si l’eau monte vraiment. »

Le PPCI est articulé autour de seuils de hauteur atteints par la Seine et d’une chronologie des opérations à entreprendre avant la phase de débordement (niveau supérieur à 6 m). Reprenant des éléments des plans de sauvegarde des œuvres et de gestion de crise, il liste les mesures techniques, humaines et organisationnelles à mettre en place.

Il comporte 4 grands niveaux, certains décomposés en sous-niveaux :

  • 0 à 2,64 m : veille
  • 3,20 m : seuil de vigilance
  • 4,50 m : seuil de préalerte
  • 5,20 m : seuil d’alerte (H-96)
  • 5,50 m : seuil de déclenchement de la crise (H-72)
  • 6 m : situation de crise niveau 1 (H-48)
  • 6,50 m : situation de crise niveau 2 (H-24)
  • 7,95 m : situation de crise niveau 3 (H-00)

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Article extrait du n° 603 de Face au Risque : « Le risque inondation » (septembre-octobre 2024).

Bernard Jaguenaud, rédacteur en chef

Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef

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