Les Pfas dans le viseur des Dreal
Un arrêté du 20 juin 2023 impose à 5 000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation d’identifier les Pfas utilisés, produits ou traités et d’analyser leurs rejets aqueux. Une surveillance que la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes, territoire pilote, a menée dès 2022 sur certains sites. Explications et retours terrain.
C’est l’affaire qui a mis les Pfas sur le devant de la scène médiatique. En mai 2022, une enquête journalistique dénonce une pollution massive aux Pfas dans le sud-ouest de la Métropole de Lyon. Des concentrations importantes de ces substances chimiques, qu’on nomme « polluants éternels », ont été mesurées dans le Rhône, dans les sols, dans certaines denrées alimentaires et même le lait maternel d’habitantes de la commune de Pierre-Bénite. La contamination proviendrait des rejets industriels des sites Arkema (Seveso seuil haut) et Daikin (site soumis à autorisation), deux entreprises du secteur de la chimie qui produisent des polymères fluorés et manipulent donc des Pfas. Deux Pfas sont actuellement utilisés sur la plateforme industrielle (6:2 FTS pour Arkema, PFHxA pour Daikin). D’autres ont été utilisés par le passé.
Le cas de la plateforme de Pierre-Bénite
Quelques jours après la diffusion de l’enquête, la préfecture prend deux arrêtés prescrivant une surveillance renforcée des Pfas dans les processus et les rejets liquides des deux usines. Depuis le 1er juin 2022, les rejets dans l’eau sont analysés quotidiennement et les bilans sont transmis régulièrement à l’Inspection des installations classées. Des contrôles inopinés sont menés par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Si Daikin avait mis en service une station visant à traiter 99 % des rejets du composé Pfas utilisé dans l’eau dès 2017, Arkema a mis en place un système de traitement renforcé par charbons actifs en fin d’année 2022 pour respecter des objectifs de réduction prescrits par arrêté préfectoral. L’entreprise a également annoncé l’arrêt de l’utilisation du Pfas concerné, le 6:2 FTS, au 31 décembre 2024 au plus tard.
« Les résultats récents montrent que les rejets aqueux par Daikin demeurent faibles et maîtrisés (de l’ordre de quelques grammes par mois), peut-on lire sur le site de la Dreal, en charge de l’Inspection des installations classées. Les rejets du composé 6:2 FTS par Arkema sont en très nette diminution. Les quantités rejetées début 2024, de l’ordre de 15 kg en janvier, respectaient d’ores et déjà le dernier palier de réduction fixé pour septembre 2024 par arrêté préfectoral [NDLR : -80 % de rejets]. »
« Le site d’Arkema à Pierre-Bénite a été identifié comme préfigurateur de la démarche de surveillance des Pfas puis de la limitation de leur utilisation », explique Gaëtan Josse, chef de service Prévention des risques industriels, climat, air, énergie à la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes. Et la région comme territoire pilote puisque, face au manque de réglementation et de connaissance sur le sujet des Pfas, la préfecture de région a décidé de mettre en place, dès 2022, une surveillance approfondie des rejets de perfluorés sur son territoire. De nombreuses mesures ont par ailleurs été mises en place par une task force mobilisant plusieurs services de l’État, notamment l’Agence régionale de santé (ARS) qui surveille les captages en eau potable.
« L’industrie chimique, le secteur des déchets, la papeterie, les stations d’épuration industrielles et les traitements de surface sont parmi les activités qui rejettent le plus de Pfas. »
Gaëtan Josse, chef de service Prévention des risques industriels, climat, air, énergie à la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes.
Surveillance approfondie du territoire
La Dreal Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi lancé en juin 2022 des investigations exploratoires pour identifier d’autres sites industriels potentiellement concernés par les rejets de Pfas dans les cours d’eau. Les inspecteurs des installations classées ont intégré les 20 Pfas mentionnés dans la directive européenne sur l’eau potable aux substances à analyser lors de leurs contrôles inopinés. 156 établissements ont ainsi été contrôlés entre juin 2022 et novembre 2023 dans la région.
Pour 15 sites industriels, en raison des concentrations ou quantités de Pfas détectées, la Dreal a demandé de nouvelles analyses ou informations aux exploitants. Pour 6 d’entre eux, les Pfas proviendraient de l’eau d’alimentation des process en amont et non de l’usage industriel. La question d’un transfert de pollution entre milieux différents est considérée pour prendre des mesures. Pour les 9 autres sites (usines, stations d’épurations, centres de stockage ou de traitement de déchets…), des analyses complémentaires et des actions sont en cours.
« C’est notamment en s’appuyant sur nos résultats que le ministère a pu confirmer la pertinence des rubriques ICPE retenues comme susceptibles d’émettre des Pfas pour établir l’arrêté ministériel du 20 juin 2023, remarque Gaëtan Josse. L’industrie chimique, le secteur des déchets, la papeterie, les stations d’épuration industrielles et les traitements de surface sont parmi les activités qui rejettent le plus de Pfas. »
L’arrêté du 20 juin 2023
Au niveau gouvernemental, un plan d’actions « Pfas 2023-2027 » a été lancé par le ministère de la Transition écologique en janvier 2023 – il a été remplacé en avril 2024 par un plan interministériel. Une des premières mesures significatives prises dans ce cadre a été la publication de l’arrêté du 20 juin 2023 relatif à l’analyse des Pfas dans les rejets aqueux des ICPE relevant du régime de l’autorisation. Sont concernées 31 rubriques ciblées sur les secteurs les plus susceptibles de rejeter des Pfas et les installations qui utilisent, produisent, traitent ou rejettent des Pfas. Les exploitants concernés devaient, sous 3 mois, établir la liste des Pfas utilisés, produits, traités ou rejetés, ainsi que les substances Pfas produites par dégradation et la tenir à disposition de l’Inspection des installations classées. Et sous 3, 6 ou 9 mois selon les substances, réaliser trois campagnes de mesures des Pfas dans leurs rejets aqueux avec un laboratoire agréé.
« On produit des Pfas depuis les années 1950 et la pollution historique compte beaucoup. »
Gaëtan Josse, chef de service Prévention des risques industriels, climat, air, énergie à la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes.
Près de 600 sites en Auvergne-Rhône-Alpes
En Auvergne-Rhône-Alpes, environ 600 sites sont concernés par l’arrêté, en l’état actuel des connaissances. La Dreal a sensibilisé les exploitants à ce sujet et ses inspecteurs sur les contrôles à mener. En mai, 323 sites avaient déclaré au moins une campagne de mesures à la Dreal (via l’application web Gidaf – Gestion informatisée des données d’autosurveillance fréquente) et 135 leurs trois campagnes de mesures.
« Certains sites sont encore dans les temps, d’autres ont pris du retard. Il y a eu des soucis d’accréditation puis une surcharge de demandes pour les laboratoires qui ne sont pas nombreux, certains sites ont eu des difficultés à établir la liste de Pfas, je pense notamment aux stations d’épuration qui reçoivent des rejets de plusieurs industriels. Cela prend plus de temps pour avoir une liste la plus exhaustive possible », explique Clarisse Pidoux, référente eau et déchets, notamment sur la thématique des Pfas, à la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes. « Certains sites peuvent aussi avoir des rejets ponctuels ou qui dépendent de la pluviométrie, il faut donc que les laboratoires puissent venir au bon moment, ajoute Gaëtan Josse. Et certains exploitants ne se sont pas suffisamment saisis du sujet. Des courriers de rappel à la réglementation ont été envoyés, il y a eu quelques mises en demeure et des sanctions administratives. »
Premier bilan
Les premiers résultats des analyses, disponibles sur le site internet de la Dreal, n’ont pas surpris les experts. « Les rubriques étant ciblées, nous n’avons pas été surpris de retrouver des Pfas dans les rejets. Nous avons tout de même été rassurés de ne pas trouver de “hot spot“ comme on les appelle, de sites avec beaucoup de rejets, dont on n’aurait pas connaissance. Il y a des sites avec des concentrations importantes, mais des flux (c’est-à-dire des quantités rejetées dans le milieu) faibles. Pour certains autres sites, on n’avait pas en tête qu’ils allaient rejeter des Pfas. Cela permet d’améliorer la connaissance. On note aussi que tous les départements sont concernés. Comme les Pfas sont des molécules très persistantes – la liaison carbone-fluor étant très difficile à casser – c’est un sujet généralisé. On en produit depuis les années 1950 et la pollution historique compte beaucoup », indique Gaëtan Josse.
Les services de la Dreal traitent en priorité les sites qui ont mesuré et déclaré le plus de rejets de Pfas ou ceux situés à côté de captages d’eau potable. « Dès qu’un résultat nous interroge, on échange avec l’industriel, ajoute Clarisse Pidoux. On se renseigne sur la façon dont a été établie la liste des Pfas, via leur fournisseur ou les fiches de sécurité des produits par exemple. On les interroge sur l’origine de la détection de Pfas : est-ce que le site en a utilisé par le passé ? Est-ce qu’une machine ou des tuyauteries contaminées ne pourraient pas conduire à du relargage de Pfas ? Est-ce qu’ils ont vérifié que l’eau utilisée pour alimenter le site n’était pas déjà chargée en Pfas ? Certains ont déjà mis en place des plans d’actions. Cela peut aller d’une simple substitution de produit à des traitements, par charbons actifs par exemple. Cela concerne principalement les gros sites. »
Valeurs de référence
Pour mieux maîtriser le risque, l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, a été mandatée pour fournir des valeurs toxicologiques de référence (VTR). « Pour le moment, sur certains sites, nous prescrivons proactivement une surveillance, du fait d’un captage en aval notamment. D’une manière générale les exploitants sont plutôt à l’écoute et on travaille bien, souligne Gaëtan Josse. Mais face à un exploitant qui peut être récalcitrant, des seuils clairs, liés à des valeurs toxicologiques de référence, seraient utiles. »
L’Anses a recensé les valeurs de référence existantes dans d’autres pays ou au niveau international pour les 20 Pfas à suivre dans les eaux destinées à la consommation humaine et les analyse. Pour les VTR qui n’existent pas, ou celles jugées non pertinentes, elle en proposera de nouvelles.
Article extrait du n° 602 de Face au Risque : « Les Pfas dans les rejets acqueux » (juillet-août 2024).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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