Explosion suivie de feu au cœur d’un site Seveso

11 juillet 202411 min

Le 10 avril 2024 dans le port de Sète (Hérault), une déflagration secoue l’unité de production de biocarburant de l’usine Saipol, classée Seveso seuil bas. Un incendie générateur d’un impressionnant panache s’élève aussitôt. Quelques minutes après, un premier appel parvient aux sapeurs-pompiers…

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Il est environ 16 h 40 ce mercredi 10 avril 2024 lorsqu’une déflagration ébranle les structures de l’unité d’estérification (production de biodiesel à partir d’huile végétale) du site industriel Saipol dans le port de Sète.

Environ une heure après l’arrêt des travaux de maintenance sur Ester 2 (lire l’encadré “L’entreprise” ci-dessous), le rondier qui parcourait alors l’installation au niveau +10 m est directement impacté par la charge thermique et environné de flammes. Ces dernières barrant l’accès à l’escalier extérieur, il parvient toutefois, bien que brûlé, à descendre par une échelle à crinoline et est pris en charge par ses camarades.

16 h 48 : le premier appel parvenant aux sapeurs-pompiers émane de l’entreprise et évoque une « explosion » suivie de feu, une grosse fumée dans une structure métallique de 200 m², sur les lieux du sinistre justifiant un premier envoi de six engins, dont un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) et un chef de groupe, ainsi que le chef de colonne. Bien avant leur arrivée, les équipages repèrent un très fort panache sombre s’étendant vers la mer…

La victime, brûlée et catégorisée en urgence absolue, est immédiatement prise en charge par l’équipe du VSAV, tandis que deux lances sont mises en œuvre par le premier engin-pompe.

Le groupe Saipol, filiale du groupe Avril, est un leader européen de la transformation des oléagineux, colza et tournesol. Il emploie 600 salariés en France et dispose de 5 sites industriels dont 4 fonctionnent en énergie décarbonée. Il « triture » de 500 à 600 milliers de tonnes par an de colza servant à produire des huiles et biocarburants.

L’usine Saipol établie dans le port de Sète occupe environ 12 ha et compte plus de 100 salariés. Essentiellement alimentée par navires céréaliers, elle comprend des unités de production, Ester 1 et 2, ainsi qu’un « centre grains » avec des silos de stockage de céréales, une chaudière biomasse, des zones de stockage de biocarburants, des laboratoires et ateliers de transformation, etc.

L’unité « Ester 2 » concernée par l’incendie s’élève à l’entrée du site. Constituée d’une structure ouverte métallique de 300 m² au sol, elle comprend entre autres équipements une tour de distillation, un réacteur permettant la production de biodiesel et plusieurs capacités cylindriques, horizontales ou verticales (300 m³ de liquides inflammables, huiles, éthanol) et de produits toxiques (acides). L’unité est sous rétention et sprinklée.

FI Usine Saipol 03 © Sdis34

Avant même d’arriver sur les lieux du sinistre, les sapeurs-pompiers distinguent un très grand panache sombre qui s’élève au-dessus du site de Saipol. © Sdis34

Fort risque d’explosion

17 h 10 : « Important feu, 10 m³ de méthanol, 3 m³ d’ester méthylique, un réacteur huile au méthanol et une cuve d’acide sont menacés. Fort risque d’explosion. Demande renforts. » Les informations transmises par un premier collaborateur de l’entreprise font état d’un « gros risque d’explosion »… Plusieurs réservoirs, dont deux de 90 m³ de mélange méthanol, glycérine et biocarburants, surplombent au niveau 2 les flammes qui se développent au milieu de cuves au contenu encore incertain, d’entrelacs de canalisations, de vannes, de pompes, un niveau plus bas… Il faut rabattre au plus vite les flammes et refroidir l’unité.

Les trois poteaux d’incendie les plus proches sont hors service. Il va falloir disposer de gros débits pour juguler ce feu tout en préservant une certaine distance compte tenu du risque d’explosion. Aux deux premières lances refroidissant l’extrémité de la structure, incluant une tour de distillation, s’ajoute bientôt la lance-canon-mousse d’un fourgon mousse grande puissance (FMOGP). Conjointement, le bateau-pompe des sapeurs-pompiers se positionne côté quai. Après une courte attaque directe au canon, peu efficace car à contre vent, il va s’amarrer à quai et va se substituer à la partie du réseau d’eau défaillant, en alimentant deux engins-pompes. Un poste de commandement mobile est activé à l’extérieur du site, conjointement au PC entreprise, situé non loin du feu.

Vers 18 h 30, deux lances assurent le refroidissement des installations, mais le feu reste très actif. Outre la lance-canon du FMOGP, une seconde sur robot d’extinction (engin radiocommandé et chenillé) va être mise en œuvre.

Dix minutes plus tard, la situation est la suivante : sur l’unité Ester 2, le feu intéresse 300 m³ de diester, produit inflammable, non toxique avec traces de méthanol. Sous l’action conjointe de trois lances-canons, le feu baisse considérablement d’intensité. La victime, essentiellement brûlée aux mains et aux cuisses, est héliportée en urgence absolue au CHU.

Vers 19 h 30, le feu est maîtrisé. Le refroidissement des installations et des structures se poursuit avec trois lances aux débits moins puissants (le niveau du volume de rétention est à surveiller).

Dessin FI Usine Saipol © René Dosne/Face au Risque

Classé Seveso seuil bas, le site ne possède pas d’équipe de seconde intervention. Ses personnels sont entraînés au maniement des extincteurs et des lances-canons. Certaines installations de production disposent d’extinction automatique de type sprinkleur. Des RIA (robinets d’incendie armés) sont répartis sur le site ainsi qu’un réseau de poteaux d’incendie privé alimenté par un système de pompes dédiées et secourues.

L’unité « Ester 2 », siège du sinistre, est encadrée par trois poteaux d’incendie. Le site est classé « Etare » (établissement répertorié) par les sapeurs-pompiers qui y effectuent des exercices régulièrement dont le dernier en 2022. Six véhicules minimum sont engagés au premier appel. Un exercice inopiné était très prochainement programmé par la Dreal et un exercice inopiné avec le Sdis était planifié en mai. Les centres de secours les plus proches sont à Frontignan (à 3 min) et Sète (à 4,5 km).

Conséquences sur la pollution et la production

Des prélèvements atmosphériques pour contrôler la pollution de l’air se révèlent négatifs. Un contrôle du bassin de rétention pour éviter tout débordement dans la darse du port est effectué.

Plus de 150 sapeurs-pompiers de 15 centres de secours auront été engagés. Ces importants moyens en hommes et en matériel sont progressivement levés. Seuls 75 m³ ont été brûlés sur les 300 m³ potentiellement exposés au feu. La production de biocarburant sera à l’arrêt le temps de reconstruire l’installation (entre 12 et 24 mois d’arrêt).

Origine du sinistre

L’origine de la déflagration suivie de feu est inconnue à l’heure où nous écrivons et sujette à plusieurs enquêtes.

Il n’est pas encore établi que le feu soit parti du niveau 0 pour se propager au niveau + 5 m ou l’inverse. Toutefois, les premières déclarations de l’ouvrier brûlé (odeur de brûlé, détonation, et environnement de flammes) pourraient localiser le départ de feu au réacteur contenant 28 000 l d’huile et de méthanol, dont un des niveaux transparents permettant de lire sur la paroi la hauteur de liquide aurait cédé. C’est une hypothèse. Les sapeurs-pompiers auraient alors été confrontés à un feu alimenté se déversant du niveau + 5 sur les installations inférieures.

Devant l’ampleur du sinistre et les risques d’explosion, six engins sont dépêchés dès le premier appel. © Sdis34

FI Usine Saipol Photo 02 © Sdis34

Des dysfonctionnements dans les moyens du site

À leur arrivée, les sapeurs-pompiers apprennent que 300 m³ de liquides inflammables sont répartis dans l’unité, et qu’un fort risque d’explosion existe. Cependant, les conduites d’eau alimentant l’installation d’extinction automatique équipant Ester 2 ainsi que les poteaux d’incendie les plus proches sont fermées.

Point positif : l’ensemble des collaborateurs et des sous-traitants (nous sommes en arrêt technique pour maintenance annuelle) sont regroupés et à l’abri. Le POI (plan d’opération interne) est déclenché. Les deux premiers engins-pompes qui vont établir les deux premières lances, déterminantes dans le refroidissement des installations (tour de distillation et cuve d’acide) ne disposent que de quelques dizaines de minutes d’autonomie. Le FMOGP, disposant d’une réserve d’eau de 12 000 l et de 2 400 l d’émulseur, mais d’un canon de 3 000 l/min, n’a que 4 minutes d’autonomie… Il va être raccordé par deux lignes d’alimentation à un poteau éloigné de 200 m, sur le site. Mais cet établissement prend « un certain temps ! »

Heureusement, les sapeurs-pompiers engagent immédiatement leur bateau-pompe qui, après avoir tenté une attaque directe peu efficace car dans la zone de fumée, va alimenter de manière pérenne les fourgons aux tonnes vidées par la première attaque réflexe, grâce à son débit de 8 000 l/min. 1 500 l d’émulseur ont été employés.

Enfin, la cellule mobile d’intervention chimique (CMIC) départementale est rejointe vers 18 h 30 par le véhicule de détection, identification et prélèvement (VDIP) du Bataillon de marins-pompiers de Marseille.

La conduite alimentant les deux poteaux d’incendie encadrant l’unité Ester 2 est barrée en raison d’une fuite qui devait être réparée le lendemain. Les autres poteaux du site sont en phase de recablage à la suite d’une intervention sur un transformateur alimentant les motopompes du réseau incendie. L’alimentation en eau des sprinkleurs est transitoirement coupée pour une opération de maintenance planifiée sur un échangeur situé à proximité d’une tête de sprinkleur (retour d’expérience des années précédentes où le déluge était systématiquement déclenché lors de cette intervention). Un défaut de transmission de consignes fait qu’ils sont toujours isolés une heure après la fin des opérations de maintenance. Ils sont remis en pression à la demande des pompiers, en fin d’intervention, en veillant toutefois à ce qu’ils ne détruisent pas le tapis de mousse formé… À noter que le local était situé dans le sens des vents dominants, ce qui a empêché un accès plus rapide.

Soulignons que deux des trois poteaux d’incendie hors service encadrant l’unité Ester 2 n’auraient pu être utilisés, car placés dans la zone balayée par les flammes et les fumées denses rabattues par le vent.

Les opérations de maintenance

Durant la phase de maintenance d’un site industriel, les risques d’incendie sont accrus: aux 101 salariés permanents s’ajoutent environ 150 sous-traitants. Selon la direction, toutes les procédures liées aux travaux par point chaud étaient respectées.

Il était notamment prévu que durant les travaux journaliers, deux moyens de lutte sur trois (poteaux incendie, RIA, sprinkleurs) soient toujours actifs. Sur l’unité Ester 2, sprinkleurs et RIA étaient en principe activés… puisque les poteaux incendie étaient barrés.

Cette plateforme industrielle a été conçue pour la fabrication de biocarburants. Son unité Ester 2 a été érigée il y a 9 ans, définissant d’autres niveaux de risques (notamment incendie).

À l’expérience de ce sinistre, l’usine de Sète va affiner et mieux adapter aux risques nouveaux générés par la production de biocarburants les procédures de son plan d’opération interne.

Ils concernent des sinistres sur des sites hautement sensibles pour leurs volumes de stockages ou leurs process, impliquant un accueil des secours par des responsables du site dédiés, à même de les informer sur les dangers particuliers des installations, sur les produits en cause ou les process pouvant conduire à des effets violents, sur les priorités en matière d’actions visant à limiter le sinistre et protéger l’outil de travail au mieux.

Sur certains de ces sites, les sapeurs-pompiers de l’établissement, disposant de moyens de lutte adaptés aux risques spécifiques, ont déjà souvent engagé de premières actions à l’arrivée des secours extérieurs. Ces actions s’intégreront dans le cadre du POI (plan d’opération interne) plaçant le directeur du site au cœur du dispositif, qui pourra glisser vers un PPI (plan particulier d’intervention) dès lors que les effets du sinistre sortent théoriquement des limites de l’entreprise, désignant alors le préfet comme directeur des opérations de secours (DOS).

Nous avons notamment développé dans nos colonnes les incendies suivants :

  • Raffinerie de La Mède (Face au Risque n° 293, mai 1993) ;
  • Saipol à Dieppe (Face au Risque n° 543, juin 2018) ;
  • Lubrizol à Rouen (Face au Risque n° 557, novembre 2019) ;
  • Total à Gonfreville-L’Orcher (Face au Risque n° 566, octobre 2020).

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Article extrait du n° 602 de Face au Risque : « Les Pfas dans les rejets acqueux » (juillet-août 2024).

René Dosne, lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

René Dosne

Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris

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