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Agents extincteurs, émulseurs fluorés : une fin programmée
Depuis les premières interdictions prononcées à l’encontre des Pfos en 2010, les restrictions des Pfas dans les mousses extinctrices se suivent et s’accélèrent depuis 2020. La transition vers les émulseurs sans fluor est en marche.
Depuis les années 1950-60, les substances Pfas ont été largement utilisées dans la fabrication des agents extincteurs, mousses anti-incendie et eau additivée. Les agents extincteurs de type émulseurs sont destinés, lorsqu’ils sont mélangés à l’eau dans une certaine proportion, à faciliter l’extinction des feux de liquides inflammables, hydrocarbures ou solvants polaires (alcools, esters, éthers, etc.), au moyen de la formation d’un tapis de mousse, puis d’un film.
Ces produits chimiques représentent historiquement un ingrédient indispensable de la lutte contre l’incendie dans les dépôts de carburant, l’industrie pétrochimique ou les plateformes aéroportuaires.
Selon l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) citée dans le rapport du député Isaac-Sibille (janvier 2024), « environ 18 000 tonnes de mousses anti-incendie à base de Pfas sont vendues chaque année en Europe et cela représenterait environ 500 tonnes de Pfas ». © Bioex
Caractéristiques des émulseurs fluorés
Familles. Il existe plusieurs familles d’émulseurs (filmogène ou non, à base protéinique ou synthétique, adaptés à certains types de feux…) selon leur mode d’élaboration et leurs propriétés. Afin de simplifier, nous considérerons deux grands groupes : les émulseurs fluorés et les émulseurs non-fluorés. Jusqu’à peu, leur répartition en France était approximativement de 70 % d’émulseurs fluorés pour 30 % de l’autre groupe, ces derniers étant plutôt réservés aux activités d’entraînement.
Extinction. La propriété remarquable des émulseurs formulés sur la base de tensioactifs fluorés est de former une pellicule ou un film aqueux à la surface du liquide inflammable. Dans les émulseurs fluorés, les propriétés hydrophobes, lipophobes et tensioactives des Pfas permettent à la solution moussante de réduire la tension superficielle de l’eau et de se répandre rapidement à la surface du combustible, de bloquer l’apport en air et d’éliminer les émanations de vapeur inflammable, d’obtenir une bonne stabilité du film aqueux dans le temps.
Chimie. Les Pfas contenus dans les émulseurs contiennent des liaisons chimiques carbone-fluor, dont la longueur de la chaîne carbonée varie (C8 comme les Pfoa, C6 comme les PFHxS…). Plus la chaîne est longue, plus elle est stable, et plus la substance fluorée est persistante dans l’environnement du fait de sa très faible biodégrabilité (Pfos, Pfoa…).
Toxicité. Outre leur accumulation et leur persistance dans l’environnement, les Pfas présentent un risque sanitaire pour la population en général, notamment lorsque des sources d’eau potable sont contaminées. Pour les professionnels susceptibles d’être exposés aux émulseurs (pompiers, militaires…), se pose une problématique particulière de santé au travail.
Les usages des émulseurs en France
Sur la base de l’outil « Pfas screening tool » développé par Antéa Group[1], une première identification des sites sur lesquels une mousse AFFF a été ou est utilisée (lieux d’incendie de type B et sites d’exercice d’extinction de feux, …) a pu être effectuée en France métropolitaine :
Il faut noter que ces sites sont soumis à l’arrêté « Pfas dans les rejets aqueux » du 20 juin 2023, sauf si les eaux utilisées ont été contenues et détruites. Ce sont donc potentiellement près de 1200 sites en France qui sont, ou ont été, exposés à la présence de Pfas du fait de l’utilisation d’émulseurs fluorés.
L’action n° 7 du plan interministériel Pfas (mars 2024) consiste à « inventorier, identifier, prioriser et diagnostiquer les sites potentiellement pollués aux Pfas en raison de l’utilisation de mousses anti-incendie pour cibler les surveillances des eaux souterraines, en particulier l’eau destinée à la consommation humaine ». © Jana Shea- Adobestock
Des recherches scientifiques en cours
La caractérisation précise des risques liés aux Pfas reste insuffisante. En effet, l’état des connaissances et les techniques disponibles est encore partiel.
Détection et mesure. Les techniques d’analyse de détection et de quantification des substances fluorées ne sont toujours pas harmonisées, avec des méthodes et des limites d’incertitude variables. Il faut souligner que le taux de concentration recherché, exprimé généralement en ppb (parties par milliard) ou nanogramme/litre, revient à détecter l’équivalent d’une goutte d’eau dans une piscine olympique. Même si la méthode Tofa (Total Organic Fluorine Assay) est prometteuse.
Diffusion et dispersion. Des travaux tentent d’identifier les sites pollués et de comprendre les comportements des Pfas dans les différentes matrices. Plusieurs études, en France ou à l’international, ont montré que les sols et les eaux souterraines situés à proximité de sites ayant utilisé des émulseurs fluorés présentaient des traces de Pfas, selon des concentrations variables, mais très souvent élevées. L’une de ces études révèle que les sources d’eaux potables environnantes de quatre sites sont menacées par ruissellement, infiltration ou rejet direct. Deux puits d’eau potable ont même été fermés par précaution. Une autre étude mentionne l’accumulation de Pfas dans le béton des dalles, avec des concentrations détectées jusqu’à 12 cm de profondeur.
Traitement et élimination. Un chantier d’importance concerne l’élimination des stocks de produits fluorés existants ainsi que les méthodes de traitement de la pollution aux Pfas. Osmose inverse, filtrage par charbon actif, voire eau supercritique, des techniques existent mais elles souffrent de limites ou ne sont pas encore totalement abouties.
L’Echa poursuit l’objectif d’une réduction de 95 % des émissions de Pfas en envisageant des restrictions (production, mise sur le marché, utilisation). Des campagnes de tests d’émulseurs sans fluor ont commencé, comme ici sur le site de CNPP. © Gesip
De futures restrictions à anticiper
Concernant les émulseurs, des interdictions et des restrictions ont déjà été prononcées par les autorités compétentes (voir article « frise chronologique »). Au niveau européen, l’Echa poursuit l’objectif d’une réduction de 95 % des émissions de Pfas en envisageant des restrictions de production, de mise sur le marché et d’utilisation des substances fluorées. Les émulseurs fluorés sont concernés.
Des restrictions annoncées. Au terme d’une grande enquête menée par conjointement par le RAC (Risk assessment) et le SEAC (Socio-economic analysis) comprenant la consultation des diverses parties prenantes dans les Etats membres, des premiers avis ont été rendus en juin 2023 par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) quant aux futures restrictions concernant les émulseurs fluorés :
- les émulseurs ne devront pas être mis sur le marché ou formulés lorsque la concentration en Pfas totaux est supérieure à 1 ppm (soit 1 mg/L) ;
- l’interdiction de mise sur le marché interviendrait dans les 6 mois après l’entrée en vigueur du futur texte concernant l’extinction manuelle (EN3-7, EN-1866, EN-16856), 18 mois dans le cas des extincteurs pour solvants polaires, et 10 ans dans les autres cas ;
- l’interdiction de formulation s’appliquerait 10 ans après l’entrée en vigueur de la future directive ;
- des dérogations sont prévues en fonction des applications : 18 mois pour les pompiers et les sites de formation, 3 ans pour la marine, 5 ans pour l’aviation, 10 ans pour les sites Seveso et off-shore ;
Un calendrier au conditionnel. Ces délais doivent être pris avec précaution. « S’il existe une unanimité sur les taux de concentration, il subsiste des variations d’interprétations concernant les délais, explique Isabelle Deguerry, cheffe du service extinction manuelle et émulseur à CNPP. Une communication officielle de l’Echa était attendue au premier semestre 2024, mais il se pourrait qu’elle n’intervienne pas avant décembre 2024. En attendant, les Etats prennent des décisions au niveau national, comme on le voit en France. Les fabricants d’émulseurs prennent aussi les devants : certains ont déjà arrêté de commercialiser des produits fluorés, d’autres ont annoncé qu’ils le feront très prochainement ».
« S’il existe une unanimité sur les taux de concentration, il subsiste des variations d’interprétations concernant les délais [des futures restrictions des émulseurs fluorés]. »
Isabelle Deguerry, cheffe du service Extinction manuelle et Émulseur à CNPP.
Émulseurs non-fluorés : les essais
Afin d’amorcer la transition en cours vers des émulseurs non-fluorés, des campagnes d’essais sont en cours.
Identification. Diverses appellations sont attribuées aux émulseurs non-fluorés : SFFF (Synthetic Fluorine Free Foam), NFF (Non-Fluorinated Foam), F3 (standard européen EN 1568).
Chimie. selon le groupe de travail « émulseurs » de Gesip[2], spécialiste en sécurité industrielle, évoqué lors d’un webinaire récent, les émulseurs sans fluor validés par la DGPR respectent les conditions suivantes :
- « la somme des concentrations en Pfas est inférieure à 1 ppm, dans la limite des connaissances actuelles et des méthodes d’analyse et de quantification ;
- Au plus tard fin 2023, une concentration en Pfoa inférieure à 25 ppb et une concentration en PFHxS inférieure à 100 ppb (seuils et réglementation amenés à évoluer) ».
Propriétés. Les caractéristiques des émulseurs non-fluorés diffèrent de celles à de leurs homologues fluorés. Ils ne forment pas de film flottant, le foisonnement est nécessaire pour garantir l’extinction, ils ont une viscosité et un taux d’application (2,5 vs 2 l/min/m² pour les sites relevant de l’arrêté ministériel du 3 octobre 2010) généralement plus élevés. Ceci implique que les émulseurs sans-fluor ne peuvent pas être substitués directement aux émulseurs fluorés : des modifications d’installations seront nécessaires (lances, proportionneurs…), accompagnées éventuellement de techniques d’application adaptées.
Premiers résultats. Gesip a mené une première campagne de tests d’émulseurs sans fluor en 2023 avec pour objectif de pouvoir atteindre des taux d’applications réduits. Les résultats sont encourageants, puisque Gesip a entamé en 2024 des tests de qualification sur les émulseurs sans fluor pour démontrer qu’ils sont performants au taux d’application réduit de 2 l/min/m² sur des feux d’hydrocarbure.
Des points d’attention. Dimensionnement du stockage et des moyens d’application des nouveaux émulseurs, évacuation des anciens émulseurs et rinçage des installations existantes, compatibilité des nouveaux produits avec l’eau de mer ou les poudres extinctrices, efficacité sur du sprinkleur, coût et disponibilité des nouveaux produits sans fluor, des questions subsistent. Une raison de plus pour les exploitants d’envisager sans tarder la transition vers le « sans fluor » sur leur site, sans se précipiter toutefois tant que rien n’est acté au niveau réglementaire.
[1] Voir les annexes du rapport de l’IGEDD : « analyse des risques de présence de Pfas dans l’environnement » (2022).
[2] Cf. les ressources de Gesip sur son site internet.
Article extrait du n° 602 de Face au Risque : « Les Pfas dans les rejets acqueux » (juillet-août 2024).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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