Patrick Degiovanni (CNPP) : « La prévention, c’est de la RSE naturelle »
Nommé président de CNPP en juin 2023, Patrick Degiovanni a dédié toute sa carrière professionnelle à l’assurance. A l’occasion de l’assemblée générale de CNPP, il nous présente sa vision de la prévention et de l’assurance, tout en dévoilant les orientations stratégiques du groupe spécialisé dans la maîtrise des risques.
Pouvez-vous nous décrire brièvement le parcours professionnel ayant précédé votre fonction actuelle ?
Patrick Degiovanni. Je suis actuaire, statisticien et économiste de formation. J’ai évolué durant 40 ans dans le secteur de l’assurance, en abordant tous les sujets et en travaillant sur tous les marchés de l’assurance : les entreprises, le particulier, l’agricole, les collectivités locales… Je suis plutôt un homme de chiffres, et j’ai pris beaucoup de plaisir à devenir manager. Mon dernier poste a été directeur général adjoint chez Pacifica, la filiale d’assurance dommages du Crédit Agricole. À côté de la présidence de CNPP, je suis également président du FGAO[1].
Au cours de votre carrière en tant qu’assureur, quelles sont les expériences qui vous ont particulièrement marqué ?
P. D. Je voudrais revenir sur trois expériences assez différentes.
La première correspond à la création en 2001 de Gareat, après les attentats du World Trade Center. Ces graves événements ont posé des problèmes d’assurabilité pour un grand nombre d’entreprises. En tant que co-créateur du groupement, ce qui m’a marqué c’est la capacité de la profession de créer ce pool en quelques mois. Ce fut un travail collectif, avec des concurrents, pour sortir de la situation par le haut.
Le deuxième exemple a trait à la période du Covid. Le groupe Crédit Agricole, dans lequel je travaillais, a décidé d’accompagner les professionnels au-delà de leurs contrats, parce qu’il y avait des problématiques de pertes d’exploitation consécutives à l’arrêt de leurs activités. Ce fut, en quelques jours, la mise en place d’une solution et de propositions concrètes pour des montants significatifs, qui se sont mesurés à plus de 200 millions d’euros. Être capable, au niveau d’un grand groupe comme le Crédit Agricole, de prendre une telle décision rapidement, c’est un souvenir qui restera longtemps ancré dans ma mémoire.
Nommé président du Groupe CNPP le 13 juin 2023, Patrick Degiovanni a effectué toute sa carrière professionnelle dans le monde de l’assurance.
Le 3e exemple, c’est la capacité des assureurs à faire face à des événements climatiques d’ampleur. Face à des événements du type des tempêtes Lothar et Martin en 1999, l’assureur est dépassé car son organisation n’est pas en dimensionnée en conséquence. Pour autant, face à des événements de ce type pour lesquels nous ne sommes pas complètement organisés, les femmes et les hommes de l’assurance sont individuellement capables de prendre sur eux et de s’investir au service des clients. Ces trois exemples illustrent, à différents niveaux, la capacité de l’assurance à rendre service et à s’investir pour faire face à des événements inattendus ou exceptionnels, afin d’aider les clients à sortir d’une situation délicate et rebondir.
Cyberassurance, régime CatNat… le spectre de l’inassurabilité revient souvent dans les analyses en ce moment. Comment l’éloigner ?
P. D. Avec le temps, j’ai découvert que l’assureur avait aussi une autre vocation que celle d’aider à remettre dans la meilleure situation possible une personne, un client ou une entreprise troublée par un événement : celle d’éviter le sinistre, ou du moins d’en réduire les conséquences. Toute cette partie prévention et protection a pris du poids au fil de ma carrière. Ma conviction est que l’assureur ne doit pas être simplement un indemnisateur. Il doit accompagner son client, à trois niveaux. Le premier, c’est essayer d’aider à éviter un sinistre. Le deuxième, c’est essayer d’aider à réduire les conséquences d’un événement. Le troisième, c’est indemniser à hauteur de ce qui est dû.
Ces notions de prévention et de protection, donc de sécurité au sens large, sont-elles au centre des préoccupations du monde de l’entreprise ?
P. D. L’entrepreneur a d’abord comme préoccupations la création, le développement, l’investissement, l’innovation. Il a donc comme première vocation d’établir une stratégie pour son entreprise : mettre les moyens pour réussir cette stratégie. Par rapport à cette stratégie, la plupart du temps la partie aléas qui pourraient venir la perturber n’est pas intégrée. Ça peut donner l’impression que la prévention est secondaire, au sens du timing. C’est-à-dire que l’entrepreneur établit en premier lieu un plan selon une vision, et il engage les moyens pour réaliser cette vision. Le côté risque est considéré dans un second temps. Et puis face au risque, il y a une solution : l’assurance. C’est ce qui va permettre d’éviter que les aléas viennent perturber la stratégie définie.
Ce raisonnement n’est pas complètement erroné, mais il oublie un élément important : un arrêt d’activité partiel d’une durée variable, même s’il est pris en compte par un bon contrat d’assurance couvrant les pertes d’exploitation, va entraîner des conséquences qui ne sont pas indemnisables de façon classique. En effet, un arrêt d’activité a toujours des effets autres que l’impact directement financier que l’on peut mesurer et couvrir par l’assurance. Comment les clients, comment les collaborateurs réagissent à cet arrêt d’activité ? Ils posent potentiellement le problème de la concurrence et de l’avenir, indépendamment du contrat d’assurance. D’autant que depuis 50 ans, les marges des entreprises se sont considérablement réduites. Le risque résiduel, conservé par les entreprises, ne peut donc plus être résorbé par les marges. C’est pour cela que s’est développée au fil du temps la notion de management du risque en entreprise.
« L’activité de CNPP est au cœur d’une préoccupation majeure de la société qui est la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) de tous les acteurs de la société. »
La réglementation peut-elle venir combler les lacunes en matière de prévention ?
P. D. Les aspects réglementaires sont venus se rajouter et ont aidé les entreprises à prendre conscience de cette nécessité de sécuriser leur activité. Par la sensibilisation aux risques pris par les collaborateurs, à la santé publique, aux accidents et aux conséquences envers les tiers. La nouveauté de ces dernières années concernant la gestion des risques, c’est une vision de plus en plus systémique du risque. Auparavant, tout fonctionnait en silo : il y avait d’un côté la santé des personnes, de l’autre les tiers, et enfin l’exploitation de l’entreprise avec la notion de plan de continuité d’activité. Aujourd’hui, tous ces éléments se rejoignent : il est nécessaire d’avoir une vision la plus exhaustive possible des aléas potentiels que l’entreprise peut subir et de ce que l’on peut mettre en place pour les éviter, sinon pour réduire leurs occurrences et leurs conséquences.
Sur le plan de la gestion des risques, quels sont les grands défis à relever par les entreprises ?
P. D. En plus du contexte évoqué de marges faibles et de réglementaire fort, un élément important vient bouleverser et accentuer la situation : l’émergence de nouveaux risques. Cela peut être lié à l’aggravation de risques existants, comme avec le risque climatique. Et cela peut provenir également de véritables nouveaux risques, avec par exemple le risque cyber du fait de la généralisation et de l’intensification des outils numériques. Je pense aussi aux nouveaux risques liés à la transition écologique avec les nouvelles énergies, comme les batteries ou les panneaux photovoltaïques. L’émergence de nouveaux risques vient se rajouter à l’existant et complexifie la problématique du management de risque.
Comment le groupe CNPP se positionne-t-il face à cet impératif de prévention et ces grands défis en matière de gestion des risques ?
P. D. Il y a un besoin fort de mieux maîtriser les risques, ce qui apparaît comme une superbe opportunité pour CNPP. Dans le même sens, il y a aussi des éléments de réflexion sur les difficultés à s’assurer rencontrées par les entreprises ou les collectivités locales. Les assureurs demandent une responsabilisation accrue. Cela se traduit par une conservation plus importante de risques, ou la mise en place d’analyses de prévention pour que l’entreprise ou la collectivité demeurent assurées. Il existe une tendance, surtout du côté des entreprises, vers plus de conservation du risque et vers plus de nouveaux aléas qu’il faut savoir maîtriser. Je pense que bientôt les assureurs exigeront des entreprises de démontrer qu’elles ont mis en place suffisamment de sécurité avant d’accepter de les assurer. C’est d’ailleurs déjà le cas pour le risque cyber. Et ce qui est habituellement pratiqué par l’assureur avec les grandes entreprises va descendre progressivement vers les entreprises moyennes, les ETI, les PME…
« De plus en plus, les entreprises doivent se dire que le risque et la minimisation du risque font partie intégrante de leur activité. »
Peut-on dire que la préoccupation de sécurité, ou de gestion des risques, participe d’une vision éthique de l’activité économique ?
P. D. J’en suis persuadé. L’activité de CNPP est au cœur d’une préoccupation majeure de la société qui est la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) de tous les acteurs de la société, en particulier des entreprises et des collectivités locales. La prévention, c’est de la RSE naturelle. Car en évitant le sinistre ou en réduisant ses conséquences, on évite d’aller chercher de nouvelles matières premières pour racheter et changer le matériel sinistré. Et donc on réduit la consommation de ce qui est le plus précieux pour nous, notre planète. Auparavant réduite à un rapport annuel rédigé par deux ou trois personnes en silo, la RSE devient de plus en plus partie intégrante de la stratégie. Cette notion, qui existe depuis longtemps dans les grandes entreprises industrielles et l’administration, tend à se répandre dans le reste du tissu économique et devient multidimensionnelle. De plus en plus, les entreprises doivent se dire que le risque et la minimisation du risque font partie intégrante de leur activité.
Signé en octobre 2023, le partenariat entre CNPP et MRN a pour but de développer les bonnes pratiques et la résilience des industriels à l’égard des risques naturels et du risque NaTech.
Au premier plan : Pierre Lacoste, président de MRN (à gauche), Patrick Degiovanni (à droite). Crédit : CNPP
CNPP noue des partenariats avec d’autres entités, comme récemment l’AFPCNT[2] ou la MRN[3]. Quelle est la dynamique à l’œuvre ?
P. D. Ce mouvement est lié à l’émergence de nouveaux risques et au besoin des entreprises d’être accompagnées de façon plus globale. Si CNPP veut continuer à se développer, il a deux obligations : ouvrir de nouveaux champs d’investigation et être capable d’avoir une approche globale. Cela a poussé CNPP à développer des savoirs liés à la transition écologique – panneaux photovoltaïques, batteries ou hydrogène – à la cybersécurité ou encore au risque climatique. Une fois que l’on a défini ce besoin en terme stratégique, un deuxième élément consiste à s’interroger sur ce qui fait la réputation de CNPP aujourd’hui. La réputation de CNPP, c’est son niveau d’expertise. La qualité des femmes et des hommes qui composent CNPP fait qu’être accompagné par le groupe se fait dans un environnement de confiance. Actuellement, nous sommes en présence d’une sorte d’urgence pour CNPP qui consiste à entrer sur de nouveaux marchés, sans perdre ce qui fait l’une de nos forces majeures, notre expertise. La seule façon d’accélérer, c’est de s’allier à des entités ayant une expertise qui va compléter la nôtre.
[1] Fonds de garantie pour les assurances obligatoires de dommages
[2] Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques
[3] Mission risques naturels
CNPP, en bref
- 440 collaborateurs ;
- CA : 39,9 millions d’euros (2022) ;
- Plus de 13 000 clients ;
- Métiers : conseil et formation ; test, inspection, certification ; édition et presse ;
- Domaines d’intervention : gestion des risques et des crises, cybersécurité, hygiène-sécurité-environnement, incendie-explosion, sûreté ;
- Un site de 240 ha basé à Vernon (Eure), des antennes régionales (Ile-de-France, Normandie, Ouest, Méditerranée, Sud-Ouest, Centre-Est, Est, Nord) et internationales (Afrique…).
Vue du plateau technique du Groupe CNPP à Saint-Marcel, à 80 km de Paris, un ancien site pétrolier de 240 ha qui comporte des laboratoires de tests et des infrastructures de formation.
Article extrait du n° 602 de Face au Risque : « Les Pfas dans les rejets acqueux » (juillet-août 2024).
Bernard Jaguenaud – Rédacteur en chef
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