Centre Leclerc, un incendie peu clair
L’année 2024 est à peine entamée que, déjà, les sapeurs-pompiers du Calvados sont alertés pour un feu au centre Leclerc de Honfleur (Calvados). D’emblée, l’origine criminelle est privilégiée, alors même que les soldats du feu ne sont pas encore sur les lieux.
Il est 4 h 29 le 1er janvier 2024. Le Codis (Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours) est alerté par la Police, elle-même initialement appelée par le gardien du centre Leclerc de Honfleur qui a détecté la présence d’intrus.
L’établissement est répertorié et un groupe de trois engins-pompes, un bras élévateur et un Vsav (véhicule de secours et d’assistance aux victimes) sont déclenchés. À l’arrivée du premier engin, l’ensemble des bureaux du premier étage est en feu et le gros du sinistre se développe alors sur le tiers nord du magasin.
Une première lance est établie en protection d’un dépôt de bois en plein air sur lequel des nuées de brandons sont poussés par le vent, tandis que sur un deuxième engin, deux lances, dont une sur échelle, protègent le cabinet vétérinaire mitoyen.
Les flammes dévorent la surface de vente
4 h 49, confirmation de l’événement par le premier engin de Honfleur : « Violent feu d’ERP ». Ce message sera confirmé par un second, à 5 h 11, décrivant une surface de vente de 5 400 m² totalement embrasée, signifiant la fulgurante vitesse de développement du feu dans ce volume d’un seul tenant.
Il existe deux poteaux d’incendie sur 400 m. Le réseau sur cette portion ne peut délivrer qu’un débit de 120 m3/h. La zone est fortement irriguée, marécageuse, mais il n’existe pas de point de mise en aspiration stable sur un sol dur. Il va falloir établir 1 100 m de gros tuyau de 110 mm pour bénéficier d’un point pérenne à partir d’un bassin du port.
Et pendant ce temps, le feu galope. Il occupe la totalité de la surface de vente et la réserve de 1 800 m² est fortement menacée… De l’Eure et de Seine-Maritime, les renforts affluent en soutien aux moyens du Calvados.
Toutes tentatives de couper la propagation au niveau du mur coupe-feu, tout en préservant les porte-lances, sont vaines. L’attaque à partir de la périphérie est inefficace à cause des écrans formés par les stockages. Même une tentative au canon échoue.
Au petit matin, c’est la réserve qui prend feu
Vers 7 h 30, la réserve s’embrase. La violence du feu et les surfaces en jeu ont raison du dispositif de sept lances, dont trois lances-canons, établies au plus fort de l’attaque qui compte alors 30 engins et 65 sapeurs-pompiers. La réserve sera même le siège d’explosions de bouteilles de gaz projetant des éléments de parpaings à 25 m ! Un bras élévateur évacue la cour. Alors que le feu décroît dans la surface de vente, deux nouveaux fronts vont s’ouvrir. Les mesures de toxicité de l’air (le vent a changé deux fois de direction) et la nature des rejets d’eau d’extinction incitent à « choisir » alternativement entre pollutions par les fumées ou par l’eau, en réduisant le débit d’eau… Un réseau de mesures est installé par la CMIC qui ne révèlera rien de significatif.
Peu avant 8 h, une ligne haute tension de 20 000 V, bordant les réserves, est coupée. Les poteaux très espacés, la fumée et l’obscurité n’ont pas permis de la déceler plus tôt. Risquant l’amorçage par les fumées, elle est consignée par RTE.
Au cours de la matinée, l’action va se concentrer sur les réserves qui finiront par disparaître totalement dans les flammes.
Sur la surface de vente, réduite à un enchevêtrement de poutrelles et de plaques de tôles tordues, les derniers foyers sont traqués sous les bardages effondrés.
Le feu ne sera déclaré éteint que le 2 janvier à 4 h 30, soit presque exactement 24 heures après son début.
Le système sprinkleur à l’arrêt
À la suite d’une fuite de la cuve sprinkleur, ayant occasionné une inondation partielle du magasin le 16 novembre 2023, le système d’extinction automatique avait été isolé.
La poursuite de l’activité était subordonnée à une mesure compensatoire imposant deux agents de sécurité incendie durant les heures d’exploitation. Un agent de sécurité avait été ajouté hors exploitation.
Si la cause de l’incendie est soumise à enquête judiciaire, son origine criminelle ne fait aucun doute, l’agent de sécurité affecté sur le site 24 h/24 s’étant trouvé en présence d’hommes cagoulés au niveau de l’accès principal.
Il prévient immédiatement la Police, alors que le directeur du magasin, alerté d’une intrusion par la télésurveillance à 4 h 20, se présente sur les lieux vers 4 h 30. L’incendie se développe déjà. Les sapeurs-pompiers, alertés quant à eux à 4 h 31, dépêchent un premier engin-pompe qui se présente quelques instants après. La violence confirmée du feu en cours de généralisation entraîne la demande de nombreux renforts, l’établissement étant répertorié.
Mais la cause est déjà perdue pour la surface de vente dont des pans entiers de toiture chutent dans le brasier poussé par le vent. Sans recoupements autres que des écrans de cantonnement existant au niveau des longues poutres en treillis, le feu bute rapidement sur les façades qui se replient sur lui.
Les besoins en eau
En attente de l’établissement de moyens en eau pérennes et puissants, les premières actions vont se concentrer sur la réserve, encore préservée à l’arrivée des secours, sur le cabinet vétérinaire, partiellement imbriqué dans la structure du magasin, et sur la façade couverte de bardage bois.
Bien que le magasin soit entouré de zones très irriguées, il n’existe pas de zones d’approche de plans d’eau aménagées pour la mise en aspiration des engins-pompes. Le temps de mise en œuvre d’un dispositif de gros tuyaux sur une grande longueur n’est pas en adéquation avec la rapidité de développement de ce type de feu.
Ces sinistres sont si violents que les flammes décroissent souvent d’elles-mêmes lorsque le dispositif complet est en œuvre.
Si le cabinet vétérinaire est sauvé (il n’abritait pas d’animaux), les réserves, dont il semble que l’une des portes coupe-feu soit restée ouverte (volontairement ou coincée ?), ne pourront l’être, inexorablement envahies par les flammes.
N’existant pas de plans d’eau aménagés pour la mise en aspiration des engins-pompes, les sapeurs-pompiers ont dû mettre en place un dispositif de gros tuyaux sur une grande longueur.
Les incendies volontaires des grandes surfaces
Les symboles forts ne manquent pas sur ce sinistre… Nuit de la Saint-Sylvestre choisie, incendiaires cagoulés surpris, arrêt de l’extinction automatique (les incendiaires en étaient-ils informés ?), ouverture d’un nouveau magasin à proximité, réhabilitation et réaffectation de l’ancien magasin… Quelques pistes s’offrent aux enquêteurs !
La plupart des feux criminels de grandes surfaces de vente relatés dans nos colonnes sont initiés à l’extérieur, préférentiellement le long d’un mur de réserve. C’est en effet là que l’on va trouver le combustible initial nécessaire à un développement du feu suffisant pour faire rougir la façade puis se transmettre à l’intérieur. Dans plusieurs cas relatés, quelques bouteilles de gaz de 13 kg étaient mêlées aux palettes de marchandises. Ils sont souvent commis de nuit : le temps pour les pompiers d’utiliser des moyens de forçage ou de découpe, le feu prend une longueur d’avance et gagne très vite l’ensemble de la réserve… La suite dépend de la bonne tenue du mur coupe-feu conçu « dans les règles de l’art », de la fermeture des portes CF sans entrave (ou sans blocage volontaire) et du bon fonctionnement du désenfumage. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on peut espérer sauver la surface de vente. Mais, très souvent a minima enfumée, celle-ci voit tout son contenu perdu ou déclassé par l’empreinte de la fumée.
Clôturage efficace, détection de présence, surveillance vidéo, tout existe aujourd’hui pour sécuriser un site. Sauf si l’intrus connaît les lieux, les dispositifs et leurs faiblesses éventuelles… Il faut bannir les stocks contre le bâtiment, les bennes ou compacteurs à cartons et les bouteilles de gaz placés trop près…
Lors d’un feu de dépôt de recyclage de papier et chiffons, à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), un incendiaire avait provoqué cinq départs de feux simultanés embrasant quatre entrepôts, le dernier brasier étant réservé à la centrale sprinkleurs… Sur la vidéosurveillance visionnée dans les bureaux, tandis que le feu faisait encore rage, on voyait l’incendiaire coiffé d’une casquette, porteur d’un sac à dos, déambulant calmement, un camping-gaz à la main, allumant à son gré la base des piles de papier… On le voit agir ainsi jusqu’à ce que l’on distingue par les fenêtres les lueurs bleues du premier engin arrivant sur place ! La qualité moyenne des images n’avait pas permis de l’identifier. Quel sang-froid ! On dit parfois que les commanditaires font appel à des hommes aguerris ayant pratiqué leur spécialité dans d’autres circonstances, plus guerrières.
On parle d’incendie volontaire ou criminel. Le terme de criminel est plus approprié : celui qui allume un incendie tel que celui-ci fait le choix d’occasionner des blessures graves ou même la mort de sapeurs-pompiers. Il ne contrôle rien. Un éclat de bouteille de gaz qui explose, un mur ou une poutre qui s’abat sur les hommes ou les femmes qui luttent pied à pied, une mare d’eau à traverser dans laquelle va tomber un fil sous tension… Les exemples ne manquent pas.
Parfois, ce sont les incendiaires inexpérimentés, tardant trop à allumer la flaque qu’ils ont répandue dans un milieu mal ventilé, qui seront les premiers brûlés lors du flash. On les retrouve parfois, non loin de l’incendie, souffrant, divaguant dans une rue voisine… signant ainsi leur forfait.
Du chômage technique pour les salariés
À Honfleur, sans extinction automatique depuis un mois et demi, ce magasin vieillissant devait être déporté à quelques centaines de mètres, en février, dans un bâtiment flambant (!) neuf. En attendant, les quelque 140 collaborateurs sont placés en chômage technique.
La partie administrative du magasin n’a pu être sauvée. En mezzanine, sous la toiture, elle est souvent la première atteinte par le front de feu et très difficile à protéger. La perte de l’informatique devrait compliquer la gestion du basculement d’un magasin sur l’autre. En principe, dans un établissement de cette importance, une sauvegarde est régulièrement effectuée.
Article extrait du n° 600 de Face au Risque : « Ingénierie de sécurité incendie » (mars-avril 2024).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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