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Assurer la transition énergétique, la responsabilité des assureurs en question
Nouvelles activités, nouveaux produits, nouveaux matériaux : trop souvent les efforts des entreprises pour favoriser la transition énergétique se heurtent à la frilosité des assureurs qui invoquent un manque d’historique et de connaissance sur la sinistralité.
« Les entreprises s’engagent dans la lutte contre le réchauffement climatique et la décarbonation. Mais comment développer des initiatives en faveur de la transition écologique lorsqu’il est quasiment impossible d’assurer des bus à hydrogène ou de nouveaux matériaux de construction plus écologiques ? Il faut que les assureurs fassent bouger les lignes entre ce qui est assurable, ce qui ne l’est plus et ce qui ne l’est pas encore », alerte Michel Josset, directeur Assurance et Prévention chez Forvia.
Effectivement, les exemples sont légion. Les risques d’incendie et d’infiltrations sont invoqués depuis plusieurs années par les assureurs pour expliquer leur réticence à assurer les panneaux photovoltaïques installés sur les toits. Les choses ne risquent pas de s’arranger, alors que certains grêlons tombés pendant les orages de juin 2022 dépassaient la taille maximum fixée par les normes de résistance.
« Les assureurs ont été prompts à supprimer l’assurance des centrales à charbon, mais je n’en vois aucun qui développe une vraie stratégie en faveur des nouvelles technologies ! »
David Gierski, directeur dommages EMEA chez Aon.
Nouvelles énergies : « les assureurs ne jouent pas le jeu »
David Gierski, directeur dommages EMEA chez Aon, s’agace : « Les assureurs ne jouent pas le jeu. Ils ont été prompts à supprimer l’assurance des centrales à charbon, mais je n’en vois aucun qui développe une vraie stratégie en faveur des nouvelles technologies ! Les bus électriques à batterie lithium ne sont plus assurables. Quand les batteries sont remplacées par du stockage d’hydrogène, le risque de détonation de ce gaz volatil est invoqué comme un frein à l’assurance… Comment assurer les nouveaux modes de transport ? »
« Lafarge, qui fabrique des produits ou des matériaux bas carbone qui peuvent sortir du champ normatif, peine à trouver des assureurs qui accordent une garantie sur ce type de produits, indique Arnaud Bergauzy, responsable du département risques et assurances de Lafarge. La consultation que je mène pour assurer ces nouveaux matériaux nécessaires à la transition énergétique nous a amenés à interroger la quasi-totalité du marché et, sur 26 sollicitations, personne n’a souhaité répondre sur la première ligne ! »
Souvent, le manque d’historique sur la sinistralité est invoqué par les assureurs. « Je m’interroge, car la norme Solvabilité II, à laquelle sont soumis les assureurs, demande aux compagnies de modéliser les risques qu’elles souscrivent. Et pour modéliser, il leur faut des statistiques. Sur un plan réglementaire, peut-être une solution consisterait à faire une exception en allégeant les obligations des assureurs, ce qui leur permettrait de prendre plus de risques lorsqu’ils vont dans le sens de la transition énergétique », propose David Gierski.
En matière de nouveaux matériaux et de nouvelles activités, pour améliorer la prévention sur le plan technique, la solution réside dans la mise sur pied de labellisations systématiques. Mais il faudra du temps.
LES RÉPONSES DE L’ASSURANCE
Christophe Delcamp
directeur des assurances dommages et de responsabilité chez France Assureurs, membre du conseil scientifique de l’Amrae, répond à nos questions.
Les entreprises et les courtiers comprennent la réticence des assureurs à assurer les activités carbonées, mais ils leur reprochent leur frilosité à souscrire des risques liés aux activités, aux équipements et aux matériaux développés pour la transition énergétique. Que leur répondez-vous ?
Christophe Delcamp La réticence des assureurs à assurer des activités fortement carbonées s’inscrit dans un contexte de décarbonation des activités économiques. Elle répond au contexte réglementaire européen : la taxonomie définie par les instances européennes et la directive CSRD s’imposent à tous. Par ailleurs, la question de souscrire ou non de nouveaux risques encore peu connus, dans ce cas d’espèce liés à la transition énergétique, n’est pas si nouvelle ! Au XIXe siècle, quand les filatures se sont développées, les incendies y étaient tellement fréquents qu’il était trop difficile et coûteux de les assurer. Une parade a été inventée avec le sprinkleur. Nous vivons le même changement de paradigme, mais certains voudraient que ce changement s’opère du jour au lendemain. Un assureur ne peut pas assurer un nouveau risque si celui-ci n’est pas sécurisé. La réticence des assureurs envers les panneaux photovoltaïques est souvent évoquée, mais le problème est clairement posé : en dix ans, il y a eu quatre alertes de sinistres sériels sur des panneaux photovoltaïques. D’autres se sont aussi avérés être défectueux à cause de problèmes de connectique. Les assureurs savent que la loi Climat et résilience impose la pose de panneaux sur certains immeubles, mais ils veulent être sûrs que ceux-ci sont conformes, ainsi que la façon dont ils ont été posés. Ce n’est pas toujours le cas, loin de là.
S’agissant de nouveaux risques, l’absence d’historique de sinistralité est souvent invoquée, comment les assureurs travaillent-ils à surmonter cet écueil ?
C. D. Pour assurer un risque, il faut le connaître. Faute de données historiques, il faut pouvoir garantir un niveau de sécurité minimum. France Assureurs travaille avec les différentes filières et les pouvoirs publics sur le sujet. Des concertations sont menées sur les panneaux photovoltaïques, les batteries, la construction bois, les matériaux renouvelables, etc. Mais pour envisager une telle démarche, il faut au préalable que la filière s’organise. La profession travaille sur le long terme, alors que certains acteurs voudraient des réponses immédiates.
Les assureurs ne doivent-ils pas aider à la prévention pour minimiser le risque ?
C. D. Quand ils sont confrontés à un problème, ils formulent des préconisations au cas par cas. J’ai récemment dû traiter le sujet de mesures proposées pour limiter le risque d’incendie lié au stockage de batteries lithium-ion. Le problème est alors de rendre compatibles les contraintes économiques des clients avec les mesures de prévention demandées par l’assureur.
Article extrait du n° 601 de Face au Risque : « JOP 2024 : à vos marques, prêts ? » (mai-juin 2024).
Article publié initialement dans Atout risk manager n° 38 – Automne 2023.
Séverine Charon – Journaliste
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