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« Nous sommes en train de créer les difficultés opérationnelles de demain »
Construction bois, véhicules électriques, JOP 2024 : le lieutenant-colonel Fabien Moigne, chef du Bureau Prévention de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) nous présente le fonctionnement du Bureau, son équipe et les enjeux auxquels ils sont confrontés.
Pouvez-vous présenter le Bureau Prévention ? Quelles sont ses missions ?
Fabien Moigne. Au sein de la BSPP, le Bureau Prévention, composé de près d’une centaine de sapeurs-pompiers, a cinq missions :
- Les études des demandes d’urbanisme et d’aménagement, qui relèvent essentiellement du traitement du risque bâtimentaire et constituent notre activité principale (environ 12 000 études par an sur les quatre départements – Paris et petite couronne). Si ces dossiers concernent essentiellement les ERP et IGH, nous étudions également les permis de construire des bâtiments d’habitation sur demande des mairies et des bâtiments à usage professionnel (BUP), les demandes environnementales des ICPE en lien avec la Drieat. En outre, nous réalisons les études spécifiques aux tunnels routiers, ferrés, transports guidés comme le Grand Paris Express ;
- Les visites des commissions de sécurité (presque un millier en 2023) ;
- Le suivi de la défense extérieure contre l’incendie (Deci) en lien avec les mairies. Nous avons réalisé dans ce cadre près de 400 reconnaissances opérationnelles initiales qui correspondent en grande partie des créations de nouveaux points d’eau incendie ;
- L’opérationnel avec six piquets de garde armés 24h/24, dont l’officier de garde prévention, qui conseille le commandant des opérations de secours (COS) sur les installations techniques, les équipements d’alarmes, le désenfumage, les dispositifs hydrauliques à mettre en place…, ou encore l’officier sécurité qui s’assure du respect de la sécurité des intervenants ou les investigateurs et équipiers de recherche des causes et circonstances d’incendie. ;
- Les actions de formation internes et externes, notamment à l’Ensosp.
Quels sont les sujets d’actualité pour le Bureau Prévention ?
F. M. À l’heure de la densification urbaine, des véhicules électriques, des matériaux biosourcés, des grands entrepôts, les sujets ne manquent pas. Le Bureau Prévention est toujours sollicité pour participer aux différents groupes de travail techniques et nationaux. Nous nous faisons un devoir d’être présents pour porter notre voix et accompagner l’évolution des textes. Les réflexions nationales ont été bousculées par le bois. En 2023, un grand nombre de groupes de travail majeurs étaient ainsi en sommeil sauf ceux relatifs aux ensembles démontables (ajustements de l’arrêté à temps pour les JOP 2024) et aux constructions en matériaux biosourcés (GT Bois).
Ce GT Bois va se poursuivre en 2024 et nous appelons de nos vœux que d’autres soient relancés, notamment celui sur les immeubles de moyenne hauteur dans le cadre de la loi Elan et surtout celui sur les parcs de stationnement afin, nous l’espérons, d’uniformiser les trois réglementations BUP, habitations et ERP sur la base des recommandations du rapport IRVE[1] (infrastructures de recharge pour véhicules électriques) de juillet 2022. Les véhicules électriques dans les parcs de stationnement concernent tout le territoire. S’agissant des parcs anciens, nous veillons à ce qu’ils présentent une stabilité au feu suffisante pour supporter des sinistres d’une durée potentiellement plus longue et, dans l’idéal, nous souhaiterions que l’extinction automatique à eau soit généralisée pour les parcs équipés d’IRVE. Ensuite, nous attendons toujours que les dispositions validées lors du GT relatif à la loi Essoc paraissent enfin. Une partie seulement du Code de la construction et de l’habitation a été modifiée, mais l’autre partie reste en suspens. Sans cela, les solutions d’effet équivalent prévues par la loi demeurent inapplicables. Enfin, d’autres groupes de réflexion vont travailler sur de nouveaux sujets comme l’habitat inclusif.
« Le GT Bois va se poursuivre en 2024 et nous appelons de nos voeux que d’autres soient relancés, notamment celui sur les immeubles de moyenne hauteur dans le cadre de la loi Elan et surtout celui sur les parcs de stationnement. »
Où en sont les discussions concernant le GT Bois ?
F. M. Le sujet est complexe et très politique, car les enjeux économiques sont importants. Après l’échec des discussions interministérielles, chaque ministère concerné travaille sur le texte qui le concerne, à savoir celui des ERP pour le ministère de l’Intérieur et celui des bâtiments d’habitation pour le ministère chargé de la construction. Alors que le texte ERP allait être proposé, le CSTB a été missionné pour se prononcer sur quelques points de divergence. Ceci a gelé la diffusion du texte ERP qui doit, à présent, être revu. Les discussions se poursuivent, mais font parfois l’objet de vifs échanges entre membres du GT. Pour notre part, nous nous battons pour que les dispositions prises permettent aux occupants d’évacuer de manière satisfaisante et aux services de secours d’intervenir en sécurité.
Quelles seront les conséquences sur vos interventions ?
F. M. Demain, nous aurons des bâtiments en bois, bas carbone tout du moins, avec autour des parterres végétalisés, des installations de panneaux photovoltaïques, des bornes de recharge électrique… Tout ceci va nous conduire à faire évoluer nos tactiques d’intervention. Affronter un incendie développé lorsque le contenant lui-même brûle et amplifie le développement du feu, les phénomènes thermiques, la propagation, etc., sera bien différent. Nous serons confrontés à des risques de ruines, au moins partielles, soit en phase active du feu, soit en phase de refroidissement. Cette dernière n’est pas prise en compte aujourd’hui dans les réflexions, à l’exception de quelques trop rares consortiums scientifiques qui ont compris que c’était un enjeu majeur pour les secours. Ainsi, nous nous intéressons aujourd’hui à la résistance à la ruine d’un bâtiment – et ce, quel que soit le matériau de conception. Ces travaux me semblent primordiaux, car ils démontrent que les sapeurs-pompiers ne sont pas à l’abri d’un phénomène de ruine même après l’extinction de l’incendie. Hormis quelques cas particuliers, nous n’avons pas connu ce phénomène jusqu’à présent, car lorsque le béton cesse d’être soumis aux effets de l’incendie, il retrouve ses propriétés. Avec les matériaux biosourcés, le phénomène d’incandescence implique que le feu continue de grignoter la structure. Ces feux couvants sont extrêmement difficiles à repérer, même avec nos caméras thermiques, car celles-ci ne font qu’une lecture de surface.
Nous en avons fini avec les bâtiments conçus avec des coefficients de sécurité surdimensionnés. Nous nous attendons donc à intervenir dans des bâtiments à la stabilité au feu taillée au plus juste. Celle-ci est en grande majorité d’une heure, ce qui devient trop peu. C’est pourquoi, faute de prise en compte suffisante des points que je viens de décrire, il faudra, à mon sens, revoir les durées de stabilité au feu à la hausse pour assurer la sécurité des occupants et celles des intervenants. Il serait désastreux que les secours se retrouvent confrontés à des impossibilités opérationnelles dans des bâtiments d’habitation ou des ERP ou qu’ils se retrouvent prisonniers de l’incendie.
Le village olympique a été construit principalement en bois. Quel a été votre rôle ?
F. M. Une partie des bâtiments du village olympique a été conçue selon les guides de France Bois 2024 et s’est limitée à des constructions bois de la 3e famille (inférieur à 28 m). Une commission spéciale de sécurité incendie, la CSSI, a été créée. Elle a émis un avis sur le permis de construire double état, c’est-à-dire en phase JO et phase héritage (le plus souvent habitation), et a ensuite réceptionné les bâtiments. En interne, nous avons mis en place une équipe spécialisée JO. En collaboration avec le Laboratoire central de la préfecture de Police, cette équipe a fait une fiche de visite type et a formé les membres du LCPP à la particularité des contrôles des bâtiments d’habitation. Ensuite, nous avons réalisé des visites tests (une par village) pour nous assurer que le format de visite (à savoir une moyenne de 5 cages d’escalier par jour) était bon. La préfecture du 93, en lien avec la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), a organisé l’agenda des visites, initialement prévues entre octobre et mars. Certains travaux ayant pris du retard, de nombreux bâtiments ont dû faire l’objet d’une contre-visite et, au mois d’avril, il ne nous restait plus que quelques bâtiments à visiter sur la commune de L’Île-Saint-Denis. Le village des médias, conçu sur le même principe, n’a fait l’objet d’aucune difficulté et a pu être réceptionné en début d’année. Il restera sur les deux villages une centaine de petits ERP à ouvrir à partir du mois de juin.
« Demain, nous aurons des bâtiments bas carbone avec autour des parterres végétalisés, des panneaux photovoltaïques, des bornes de recharge électrique… Tout ceci va nous conduire à faire évoluer nos tactiques d’intervention. »
Quelles sont vos autres missions liées aux JOP ?
F. M. En parallèle, nous traitons tous les dossiers d’aménagement des Jeux. Il y a la coexistence de bâtiments nouveaux, comme l’Adidas Arena – projet qu’on a accompagné dès le début et réceptionné –, de sites existants comme le Parc des Princes, et l’adaptation de certains sites comme Paris-la-Défense Arena (U Arena) qui va accueillir deux piscines olympiques, ou la nef du Grand Palais qui accueillera des aménagements spécifiques. Cela entraîne de nombreuses études pouvant intégrer de l’ingénierie de sécurité incendie et des dossiers d’homologations. Tout ceci est très complexe. Et enfin il y a les Jeux dans la ville. De nombreuses installations provisoires seront implantées sur différents sites comme sur la place de la Concorde, l’esplanade des Invalides, le Trocadéro. Il faut allier les impératifs de sûreté (barrières…), de sécurité pour le public (évacuation) et l’accès pour les secours. Associé aux contraintes des organisateurs, cet ensemble de facteurs aboutit à une équation très complexe et implique un nombre colossal de réunions, discussions techniques et échanges formels ou informels qui se poursuivront jusqu’à l’ouverture des sites, notamment pour la cérémonie d’ouverture. 12 km de rives, un travail de logistique, de sécurité, de sûreté : ce projet est hors normes. Les sollicitations sont quotidiennes et il faut répondre vite.
Quel va être l’impact sur votre organisation ?
F. M. Le Bureau Prévention doit répondre à un double défi : celui majeur d’instruire tous les dossiers et d’ouvrir toutes les installations avant les Jeux, avec un nombre de commissions de sécurité qui va être colossal et concentré sur une très courte période. Une vague dont on ne peut pas aujourd’hui mesurer la hauteur. Pour cela il va falloir s’adapter. Très possiblement, à certains moments, nous ne ferons que cela. Prenons l’exemple de la cérémonie d’ouverture : une commission de sécurité sur un linéaire de 12 km, c’est du jamais vu. Et durant les Jeux, il va falloir poursuivre l’instruction des dossiers, monter nos gardes opérationnelles tout en faisant en sorte que chacun puisse se reposer un peu pour, dès le 9 septembre, reprendre toutes les visites périodiques qui n’auront pas été faites en juillet-août et étudier les dossiers de l’été. Il faudra aussi peut-être revisiter le village olympique pour la phase héritage. Je pense qu’on ne retrouvera notre rythme habituel qu’au début de l’année 2025.
[1] Le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale de l’administration ont diligenté une mission relative aux mesures de protection contre l’incendie à prendre lors de l’installation d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE) dans les parcs de stationnement couverts.
Article extrait du n° 601 de Face au Risque : « JOP 2024 : à vos marques, prêts ? » (mai-juin 2024).
Gaëlle Carcaly – Journaliste
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